Édition du 23 avril 2024

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Financement axé sur le patient : chronique d’un échec annoncé

Pendant que la plupart d’entre nous profitions de l’été pour nous reposer, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a commencé à mettre en œuvre la troisième phase de la réforme Barrette. Je ne passerai pas par quatre chemins, l’implantation du financement axé sur le patient dans l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux, comme préconisée dans le présent projet expérimental, est une très mauvaise idée.

Ce mode de financement des établissements de santé est irréaliste et insensé à plusieurs égards. Prétendre pouvoir établir le coût de revient par usagère ou usager pour chacun des centaines de services reçus, et pour tous les parcours de soins, est tout simplement impossible et aberrant, et ce, dans un environnement scientifique, clinique, social, territorial et organisationnel en constante mutation !

Entrer des données ou soigner les patients ?

Le gouvernement doit sortir de cette logique contre-performante. Alors que l’on se trouve en pleine pénurie de personnel soignant dans les divers centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), on vient alourdir la tâche des intervenantes et intervenants en leur imposant de collecter des données plutôt que de soigner.

La collecte d’informations sans cesse croissante n’est ni justifiée d’un point de vue clinique ni réaliste. La lourdeur administrative qu’elle engendre nuit déjà à l’atteinte des objectifs fondamentaux de notre système de santé et de services sociaux, soit l’amélioration de la santé et du bien-être de la population. Pire, elle contribue directement à la détérioration de la qualité et de la sécurité des soins et des services, en accaparant toujours davantage de précieuses ressources et en créant l’illusion d’un meilleur contrôle de la qualité.

Le personnel de la santé doit déjà noter des milliers de données relatives au parcours de soin des patients. De surcroit, plus de 150 nouvelles données à saisir ont été ajoutées dans la dernière version du règlement, édictée le 17 juillet dernier ! En ajouter une couche était-il vraiment une priorité ?

Gagnant à vie ?

Les seuls qui vont vraiment tirer leur épingle du jeu de cette bureaucratie accrue sont les firmes qui vont être appelées à développer les systèmes informatiques qui sous-tendront ce bourbier administratif. Des firmes comme la société PowerSolutions Santé Canada inc. qui a obtenu un contrat de 44 millions de dollars sur 3 ans pour développer et déployer un logiciel permettant d’établir le coût par parcours de soins et de services pour le projet-pilote du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Entendons-nous, ces contrats sont, en quelque sorte, l’équivalent de remporter le gros lot à Gagnant à vie ! Certains auteurs ayant étudié la question affirment que les établissements feront appel à de multiples consultantes et consultants pour déterminer les pratiques qui permettront de dégager les plus grandes marges bénéficiaires. Les risques de nivellement par le bas de la qualité des soins font, notamment, partie des problèmes soulevés.

Des problèmes documentés

Outre les coûts informatiques astronomiques, diverses pratiques indésirables et certains effets inattendus, ayant tous un impact économique direct ou indirect, ont été associés à la mise en place du financement à l’activité et ont nécessité l’élaboration, par les pays qui l’ont expérimenté, de nombreuses règles budgétaires et de procédures de contrôle afin d’en limiter les effets pervers.

Parmi les effets problématiques, mentionnons :

 La sélection (écrémage) des patientes et patients ;

 La manipulation des données (surcodage) lors de la classification ;

 La fragmentation des épisodes de soins ;

 La prestation excessive de services insuffisamment justifiés sur le plan clinique (surtraitement) ;

 Les congés trop précoces entraînant des réadmissions en raison de complications ;

 La rétention de certains patients et patientes afin de conserver le financement ou, au contraire, la référence trop rapide vers d’autres établissements ;

 La complexification et une lourdeur administrative sans cesse croissante.

Les problématiques et les solutions organisationnelles sont connues. Le gouvernement doit cesser de chercher de nouvelles solutions hypothétiques. Le financement à l’activité ou axé sur le patient n’a pas fait ses preuves dans les pays l’ayant expérimenté et ne devrait pas être largement implanté dans le système de santé québécois.

Le gouvernement doit absolument revoir ses priorités et réinvestir davantage dans l’offre de soins et de services directs à la population, plutôt que dans des systèmes d’information de plus en plus onéreux qui ne font que complexifier et alourdir davantage la gestion du système de santé ainsi que réduire toujours plus le temps consacré aux activités cliniques.

Bref, nous croyons qu’un changement de vision s’impose, plus qu’un nouveau modèle de financement des établissements de santé. Voilà, le vrai défi que la ministre doit relever !

Pour lire l’avis de la CSQ.

Sonia Éthier

Présidente de la CSQ (2018-...)

Elle siégeait sur l’exécutif de la CSQ depuis 2015 à titre de première vice-présidente. Enseignante en adaptation scolaire auprès d’élèves en difficulté d’apprentissage, elle a été présidente du Syndicat de l’enseignement du Bas-Richelieu durant neuf ans. Elle milite au sein du mouvement syndical depuis plus de 30 ans.

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