Édition du 23 avril 2024

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L’Iran et la « guerre des civilisations »

Depuis quelques temps, les négociations ont redémarré entre l’Iran et les « puissances ». En fait, il y a une seule puissance et ce sont les États-Unis. Les autres sont des faire-valoir qui jouent au bon vieux jeu du « good cop bad cop ». Pour le moment, le bad cop, ce sont les imbattables socialistes français. Laurent Fabius en tête. Ils essaient d’être plus catholiques que le pape, comme on l’a vu récemment sur le dossier syrien, en préconisant des attaques illégales et meurtrières. Malheureusement pour Christian Rioux du Devoir qui dit que le gouvernement « socialiste » a raison de continuer la « guerre des civilisations » contre les méchants arabes et musulmans, cette posture guerrière ne passe pas la rampe, pas plus en France qu’ailleurs dans le monde. Mais aujourd’hui, les gouvernements ne se préoccupent pas de la dite opinion publique. Revenons à l’Iran.

Les compromis de l’Iran

Le gouvernement iranien actuel semble prêt à aller très loin pour obtenir un accord. Le compromis sera douloureux et coûteux, car il handicapera les capacités de l’Iran à long terme. Il inclut les éléments suivants :

 L’uranium ne sera pas enrichi (« purifié ») à plus de 5% (la fabrication d’armes nucléaires implique de l’uranium enrichi à 20%).

 Les réserves actuelles de l’Iran en uranium enrichi à plus de 20% seront rendues inutilisables.

 Les centrifuges IR-M2, celles qui peuvent enrichir l’uranium plus rapidement, seront mises au rancart.

 L’ONU sera autorité à multiplier les inspections non-annoncés.

 Le réacteur d’Arak capable de produire du plutonium ne sera pas mis en service.

Ce faisant, l’Iran s’enlève la possibilité d’utiliser ces capacités nucléaires autrement que pour produire de l’énergie et encore, d’une manière moins intensive et plus coûteuse que ce qui lui permettrait un développement accéléré. En passant, ceci contredit totalement le Traité de non-prolifération des armes nucléaires qui permet explicitement la production d’énergie nucléaire à des fins pacifiques (ce traité a été accepté par presque tous les États à l’exception significative d’Israël).

Le Président iranien, Hassan Rouhani, élu en juin dernier, a été le négociateur pour l’Iran pendant plusieurs années. Il connaît bien son dossier et il pense que les propositions actuelles devraient être acceptables pour les États-Unis. Durant sa campagne électorale, Rouhani a accusé l’ancien président Mahmoud Ahmadinejab d’avoir été intransigeant et inutilement provocateur. Il estime que son approche est plus susceptible de permettre une conclusion aux négociations. Plusieurs personnes en Iran, mais aussi ailleurs, pensent que c’est une attitude naïve.

La position des États-Unis

Pour le moment, les États-Unis et leurs larbins disent que la négociation va dans le bon sens, mais qu’ils ne sont pas encore convaincus. Ils promettent de dégeler les avoirs iraniens qui sont surtout concentrés dans les banques chinoises, coréennes et japonaises (plusieurs milliards de dollars) et d’alléger les sanctions commerciales qui affectent l’importation et l’exportation par l’Iran de métaux et de pétrole. Cet adoucissement des sanctions ne serait pas effectivement l’abolition des sanctions. Ainsi les capacités de l’Iran d’augmenter la production et l’exportation de pétrole resteraient sévèrement amoindries.

Selon diverses sources, les États-Unis affirment que l’Iran doit « faire ses preuves » avant que les sanctions ne soient réellement abolies. C’est d’ailleurs ce qui était arrivé en 2005 lorsqu’un accord avait été conclu sur des bases partielles. Même si l’Iran avait de facto accepté de limiter sa production d’uranium (et surtout de ne pas l’enrichir à plus de 5%), les États-Unis avaient conclu après une certaine période que l’Iran n’était pas de « bonne foi ». Dans les négociations actuelles, l’Iran insiste que la promesse de supprimer les sanctions soient écrites dans le texte de l’accord, ce qui n’avait pas été le cas en 2005.

En réalité, la négociation sur l’uranium n’est qu’une petite partie du bras-de-fer entre les États-Unis et l’Iran. Ce pays est devenu pratiquement le seul pays de la région qui n’a pas accepté d’être le « client » subalterne des États-Unis. Il mène sa propre politique étrangère, aussi bien dans la région que dans le monde, avec l’appui de la Chine et de la Russie, notamment. Sans cette opposition de l’Iran à la pax americana, les États-Unis pourraient procéder à la « réingénierie » qu’avait évoquée George W. Bush en 2003 et qu’Obama vise toujours à accomplir, même si les moyens ont « partiellement » changé.

Pas americana

Les éléments-clés de la politique de Washington demeurent les suivants :

 Le Moyen-Orient doit rester la « chasse-gardée » des États-Unis, c’est une zone stratégique, « non-négociable ». La capacité des États-Unis d’intervenir selon leur bon vouloir doit être maintenue grâce à un dispositif militaire totalement dominant. Présentement, les forces armées américains disposent de bases permanentes partout dans la région.

 Les pétromonarchies d’Arabie saoudite et du golfe doivent rester intactes et étanches, elles font partie du « périmètre » que les États-Unis ne vont pas lâcher. Il est inacceptable de laisser des forces démocratiques s’exprimer dans ces pays.

 Les autres pays de la région, l’Irak, la Syrie, le Liban, et à l’est, l’Afghanistan et le Pakistan, doivent également accepter leur subordination. Les États trop indépendants ou les populations récalcitrantes doivent être disciplinées, ou si cela n’est pas possible, isolés, encerclés et emmurés. Pire encore, ces États doivent être démantelés en unités fragmentées, comme c’est aujourd’hui le cas avec l’Irak, l’Afghanistan et la Palestine.

 Israël est l’allié stratégique, plus encore que les pétromonarchies. Les Palestiniens doivent accepter le bantoustan qui leur est offert comme strapontin d’État. Israël doit garder le monopole des armes de destruction massive, y compris au niveau nucléaire.

 Les autres puissances, notamment la Chine et la Russie, doivent accepter la mainmise américaine, ne pas s’engager dans des politiques ou des opérations indépendantes, et même appuyer la consolidation de l’Empire dans la région, sous peine de représailles commerciales et autres.

On comprend dès lors que les enjeux dépassent ce qui est présentement négocié. On comprend aussi pourquoi la grande majorité des États-membres de l’ONU, à part les États-Unis, Israël et leurs larbins comme le Canada, appuient la position iranienne. Presque personne ne le fait par « amour » de l’Iran ou encore moins du régime iranien, mais parce qu’un monde qui accepterait l’unilatéralisme américain deviendrait non seulement une prison, mais un terrain d’affrontements sans fin.

Il faut dire la vérité

L’Iran respecte les conventions internationales, alors que les sanctions américaines les violent, en conformité avec les orientations stratégiques de l’Empire. Pour les partisans de la « guerre des civilisations » comme Christian Rioux, le « monde civilisé », a tous les droits, alors que les « barbares » n’en ont aucun, sinon celui d’accepter la subordination. Ils endossent la politique du gros bâton de l’empire, quitte à présenter cela comme la défense des droits des femmes. Mauvaise nouvelle pour eux, ça passe de moins en moins.

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