Édition du 11 novembre 2025

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Québec

La Caquistocratie* attaque la classe ouvrière

*Emprunté au grec ancien kakistos (« pire »), avec le suffixe -cratie (« gouvernement »). Le choix de la graphie est délibéré. Il vise à dénoncer la CAQ.

Tiré du site web Campagne rosa

avec la permission de l’autrice
Publié le : septembre 14, 2025 Rédigé par : Alix Parent

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement caquiste, les travailleuses et travailleurs du Québec font face à des attaques sans précédent. Déjà, en 2020, Jean Boulet, ministre du Travail, déposait le projet de loi 59. Cette très mal nommée « loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail » propose plutôt des reculs par rapport au régime en vigueur, notamment pour les femmes. La loi classe des secteurs à prédominance féminine comme étant à faible risque et prévoit des contraintes additionnelles au programme « maternité sans danger ». Heureusement, la mobilisation de la classe ouvrière a permis d’éviter les pires reculs.

La loi est sanctionnée en octobre 2021 (maintenant loi 27, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail) et il est prévu que les nouvelles dispositions de loi entrent en vigueur petit à petit jusqu’en octobre 2025. À cette date, toutes les dispositions et nouveaux règlements doivent être en vigueur. Pendant cette période de 4 ans, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) doit rédiger et faire approuver de manière paritaire les règlements. En d’autres termes, les organisations patronales et les organisations syndicales discutent pour obtenir un consensus. Ces mécanismes sont bien loin d’être parfaits – et plusieurs voix s’élèvent pour critiquer le déséquilibre que ça représente pour la classe ouvrière. Cependant, les principes de ce partenariat social sont très imprégnés dans la vision québécoise des relations de travail et les centrales syndicales s’y conforment.

Mais le saccage des lois du travail orchestré par le ministre Boulet – qui est, dans la vie civile, un avocat patronal – ne s’arrête pas là. En février 2025 il dépose le projet de loi 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock­­-out, et en avril 2025 le projet de loi 101, Loi visant l’amélioration de certaines lois du travail. Il faut souligner que d’autres projets de loi du même acabit ont été déposés par le ministre et ses sbires, mais nous nous concentrerons ici sur ces deux dernières lois.

Le projet de loi 89

Jean Boulet, employé du mois de la chambre de commerceLe ministre n’a pas consulté, ni même informé les organisations syndicales de l’imminence du dépôt du projet de loi 89. Ce projet de loi vient limiter encore plus le droit de grève et le droit d’association. Pourtant, le droit de grève est déjà très limité au Québec : seul·es les travailleuses et travailleurs syndiqués y ont accès (40%) et uniquement lorsque la convention collective est échue. Et à condition de ne pas être dans un domaine où il y a des services essentiels. Avec cette loi, le ministre va pouvoir s’immiscer dans la négociation et forcer un retour au travail sous prétexte de protéger la population. Même aux États-Unis, les travailleuses et travailleurs non syndiqués ont le droit de faire un arrêt de travail concerté si l’employeur a des pratiques abusives en tout temps.

Pour les organisations et groupes qui représentent des travailleuses et travailleurs, il n’y a qu’une réponse possible : abroger cette loi et faire campagne pour permettre à la classe ouvrière de faire grève quand elle veut !

Le projet de loi 101

Le projet de loi 101 va modifier 9 lois relatives au travail, dont les lois en santé-sécurité du travail, incluant la pourtant très récente loi 27. Ce nouveau projet de loi attaque la classe ouvrière sur plusieurs aspects. Nous n’en couvrirons que quelques-uns ici.

Et, malgré le fait que François Legault ait choisi de proroger la session parlementaire, les rumeurs vont bon train et tout laisse croire que ce projet de loi sera repris lorsque le gouvernement retournera au travail.

Prévention en milieux de travail

Les travailleuses de la santé, des services sociaux et de l’éducation auront un régime inférieur aux autres en matière de santé-sécurité du travail. En effet, leurs représentant·es en santé-sécurité auront moins de pouvoir et de temps pour faire de la prévention. Cette mesure avait été discutée et rejetée par les comités de la CNESST, car elle ouvre la porte à une discrimination systémique envers les femmes. En effet, le CA de la CNESST était arrivé à un consensus sur un règlement qui a été adopté par le conseil des ministres le 10 septembre. Toutefois, le projet de loi 101 va venir supprimer les mécanismes pour les travailleuses et travailleurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation. La majeure partie du personnel de la santé, des services sociaux et de l’éducation sont des femmes. Cette disposition de la loi vient invisibiliser les accidents et maladies du travail qui affectent les femmes. Et quand c’est invisible, le patronat a tendance à considérer que ça n’existe pas. Une fois de plus, le ministre Boulet montre qu’il n’a pas de problème à promulguer une loi sexiste.

Amendes

Les amendes imposées (négociations de mauvaise foi, grève ou lock-out « illégal », utilisation de scabs, etc.) tant aux travailleurs et à leurs organisations que celles du patronat vont être majorées. Toutefois, le taux d’augmentation est presque trois fois supérieur pour la classe ouvrière. Il s’agit clairement d’une stratégie pour limiter le pouvoir d’action des syndicats.

Griefs et arbitrage

Les délais de griefs et d’arbitrage seront réduits, voire imposés. En effet, la loi prévoit l’obligation de référer tout grief à l’arbitrage dans les 6 mois suivant le dépôt du grief. Si ce n’est pas fait, il y a une possibilité pour qu’il soit considéré que le syndicat s’est désisté du grief. Cette disposition augmente le fardeau financier et logistique d’un syndicat, sans compter qu’il n’y a pas suffisamment d’arbitres en poste pour assumer la charge supplémentaire au Tribunal administratif du travail (TAT). La CAQ met en place un système voué à l’échec visant à paralyser les syndicats sous la paperasse.

Facilitateurs

Il y a quelques mois, la CNESST a tenté de mettre sur pied un régime de « facilitateurs » qui permettrait aux travailleuses et travailleurs qui ont contesté une décision de négocier une entente. Plusieurs organisations ont fortement critiqué cette mesure qui n’était pas forcément à l’avantage des victimes du travail. Le ministre revient à la charge en l’enchâssant dans son projet de loi. Ce système est très problématique car il place la CNESST en position de juge et parti – n’oublions pas que la CNESST doit administrer les fonds d’indemnisation pour les victimes du travail, ce qui signifie qu’elle a tout intérêt à indemniser le moins possible. De plus, si le travailleur obtient une entente, celle-ci doit rester confidentielle et ne peut être contestée. Le fait de garder les situations secrètes fait en sorte qu’un problème collectif pourrait rester individuel et empêcherait la détection d’un pattern récurrent dans les politiques de l’entreprise. L’expérience nous démontre qu’en cas de contestation, les travailleurs et travailleuses obtiennent régulièrement une meilleure indemnisation que ce que la CNESST proposait.

Mépris envers la classe ouvrière

D’une main les gouvernements successifs viennent couper dans notre filet social et de l’autre ils mettent en place des lois liberticides pour nous empêcher de contester.

Les stratégies utilisées par le ministre pour outrepasser les institutions québécoises sont flagrantes. Il vient, seul, décider du sort de la classe ouvrière et se donne le droit de gérer tout conflit de travail à sa guise et ne fait même plus semblant de respecter les travailleuses et travailleurs.

Sachant que, dans à peine plus d’un an, auront lieu les prochaines élections provinciales et que la CAQ dégringole dans les sondages, c’est à se demander si Boulet n’est pas en train de se préparer deux ou trois petites lois qui vont plaire à ses amis patronaux, ce qui va lui garantir un pont d’or pour retourner à sa pratique d’avocat patronal.

Voyant le mépris dont fait preuve le ministre du Travail envers notre expertise dans les instances paritaires, est-ce encore nécessaire d’y siéger pour se faire cracher dessus ? Est-ce que le temps que nous passons à être les pions du partenariat social ne serait-il pas mieux utilisé pour informer massivement et mobiliser la classe ouvrière contre ses attaques ?

Une chose est certaine, nous devons refuser tout recul de nos droits avec toute la force de notre solidarité.

Alix Parent

Notes et références

https://fr.wiktionary.org/wiki/kakistocratie

https://uttam.quebec/chronique-MT/MT-femmes.php

https://www.theguardian.com/business/2018/sep/18/mcdonalds-walkout-workers-protest-sexual-harassment-epidemic

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