Édition du 23 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet du 21 août

La bourde de Mulcair

Le chef du NPD en a surpris plusieurs, y compris parmi les députéEs de son parti, en annonçant la formation d’un NPD-Québec qui contesterait les élections provinciales. Alexandre Boulerice, présent à l’université populaire des NCS la fin de semaine passée, nous a dit que (1) cela n’avait jamais été discuté et qu’il faudrait une approbation des instances du parti pour aller de l’avant ; (2) qu’une proposition dans ce sens avait été débattue et rejetée par les membres du NPD en 2006 ; et (3) qu’il pensait que le NPD avait assez de travail pour faire échec à Harper …

Merci Alexandre.

Pourtant, cela reste à voir car on sait que Mulcair est particulièrement opiniâtre. D’emblée, cette idée serait très mauvaise pour la gauche au sens large du terme. Cela raviverait toutes sortes de fractures qui ont été refermées dans le cadre de Québec Solidaire grâce à une plateforme unitaire et pluraliste pour tout le monde, qui refuse le néolibéralisme et qui veut construire des alternatives. Tant qu’à moi, ce pluralisme, qui inclut des social-démocrates, des socialistes et des libertaires nous convient très bien. Nos désaccords comptent moins que nos convergences et une fois dit cela, il y a moyen d’en débattre. Il faudrait être pervers pour affaiblir cela.

Mulcair en annonçant son mauvais scoop pense à autre chose. Il veut démontrer au Canada anglais qu’il « tient bien » le Québec, que le Québec est devenu fédéraliste et que tout va rentrer dans l’ordre s’il devient le Premier Ministre. Compte tenu de l’ignorance abyssale qui sévit au Canada anglais sur le Québec (y compris au sein de la gauche canadienne), il peut espérer leur faire passer cette attrape. En réalité, Mulcair ne « tient » pas le Québec. Le vote de mai dernier était davantage un triple non (non à Harper, non aux Libéraux, non au Bloc québécois) qu’un vote pour lui et même pour son parti qui avait été « révélé » à la population québécoise grâce à un seul passage de Jack Layton à « Tout le monde en parle ».

D’autre part, le Québec n’est pas devenu fédéraliste, la population francophone étant largement souverainiste (à des degrés divers). Comme on le sait, QS a eu l’intelligence de réaffirmer le projet de l’indépendance, mais pas en le « désincarnant » comme les fanatiques de la chose (dans et à l’extérieur du PQ), en le liant donc à un projet de société, et en le plaçant dans un large processus populaire dont le mandat serait de définir le pays qu’on veut (et non de « gagner » un référendum). La justice sociale, l’écologisme et le féminisme restent les socles de QS, de même que la défense des droits nationaux du peuple québécois.

Enfin, ce n’est pas vrai que tout va « rentrer dans l’ordre » si le NPD gagne les prochaines élections. Le problème de notre société, au Québec comme au Canada, dépasse de loin les solutions plutôt « soft » envisagées par Mulcair. Certes il existe des gens de gauche au NPD, comme Alexandre Boulerice par exemple (la députée de Vancouver Libby Davies également). Une victoire sur Harper serait un bon coup, mais cela ne serait pas la fin de l’histoire, en tout cas pas au Québec. Par rapport au statut du Québec, on arrivera à rien avec des petits changements bric-à-brac et à la pièce, compte tenu de la nature profonde de la confédération canadienne dont le but a été dès l’origine de « mâter » les QuébécoisEs et les autochtones. Une « refondation » de l’espace canadien passerait probablement par une négociation d’État à État où deux États pourraient choisir de s’associer (une souveraineté-association de gauche !), notamment pour se défendre face à l’Empire états-unien. Je sais, je rêve, mais il faut rêver parfois…

En attendant comme le dit Boulerice, Mulcair serait bien avisé de résister au bulldozer conservateur. Dans les mois précédents, le NPD a effectivement tenté de le bloquer, notamment lors du débat de la loi omnibus qui a changé plus de 90 législations, toutes dans le sens de rendre le Canada conforme au projet réactionnaire de Harper. Le NPD a également travaillé avec les Postiers et le syndicat d’Air Canada, donc oui ce parti est utile à Ottawa. Et il était normal, nonobstant les déclarations injurieuses de Gille Duceppe, que plusieurs QuébécoisEs lui aient confié le mandat. Mais cet appui n’est pas établi une fois pour toutes. Et si Mulcair vient emmerder la gauche québécoise, le coût pourrait être élevé.

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