Édition du 19 août 2025

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Éducation

La haine des jeunes

Avril 20, 2012

Depuis des années qu’on déblatère contre les jeunes : sont apolitiques apathiques, pas d’idéal, pas d’idées, perdent leur langue, zont arrêté de rêver, tout ce qui les intéresse, c’est gagner de l’argent, consommer et texter. Mais voici que, tout à coup, ils ont des idées, peut-être même un idéal. Et quelle est la réponse des cinquante ans et plus ?
(sur un ton jouissif, dans le micro tendu par un journaliste complaisant) : “Ils gagneront pas pis chus ben content ! Bien fait pour eux autres !”

La haine des jeunes par les plus vieux est un phénomène normal, eh oui, une réaction naturelle, sinon très saine, presque un réflexe. Après tout, ce sont eux qui avec l’arrogance de leur 20 ans tout en se faisant une place au soleil nous poussent vers la tombe, et dans le derrière, sur l’autoroute. Ils sont plus beaux, plus en forme, plus… jeunes, tout simplement.

En misant sur cette haine des jeunes, en la réveillant, en l’encourageant, en en faisant le sous-texte de sa politique de relations publiques dans le conflit qui l’oppose aux étudiants, le gouvernement du Québec a montré un visage très peu reluisant. Oui, j’emploie le mot “haine” plutôt que mépris ou condescendance, parce que ceux-ci semblent des truismes, tellement chargés d’évidence qu’ils en deviennent inutiles et comme redondants dans le débat actuel.

Et quelle extraordinaire école de langage d’ailleurs que cette grève (oui, grève, et non boycott) : de nombreux étudiants en littérature sont en train de découvrir le poids politique des mots, et que les mots ne sont pas toujours des jouets, peuvent devenir des armes. N’en déplaise aux stratèges de l’ombre, à la valetaille communicationnelle et aux journalistes dociles, une grève politique, qui vise un gouvernement en tant que représentant du peuple plutôt que simple employeur, ça se peut. C’est dans le dictionnaire. Mais boycott fait tellement plus… (prononcer à l’anglaise) merchandisable, you know ? On boycotte un fabricant de bière ou de barres de chocolat.

Voir aussi tout le débat sémantique autour de l’utilisation des mots “dénoncer”, “condamner”, “se dissocier”… Autre leçon : l’art de la nuance. Pourquoi ai-je l’impression que la véritable éducation est, en ce moment même, dispensée dans la rue ? Pourquoi ai-je cette impression que la littérature elle-même est aujourd’hui descendue dans la rue ? Réponse : parce que tout ce que la littérature incarne à mes yeux et doit incarner est en ce moment dans la rue : la liberté, l’esprit critique, l’émotion, l’intelligence, le risque, le défi, la générosité, et même… oui, la beauté.

Mais ce n’est pas tout d’avoir raison sur le plan esthétique, ou dans la subtile querelle du sens des mots. Savez-vous à combien se chiffre la dette totale des étudiants américains ? Un trillion. Mille milliards de dollars US. Think Big ! Dix fois plus qu’il y a 15 ans ! Le grand responsable ? La hausse des droits de scolarité. Et qui voit-on s’inquiéter, là-bas, de cette spirale ascendante des droits de scolarité et de l’endettement étudiant ? Sans doute, comme ici, une minorité irresponsable de jeunes foxeurs de cours manipulés par des gauchistes et encouragés par leurs professeurs syndicalo-crypto-trotskystes et par des parents qui se pensent encore dans une commune à fumer de la pelure de banane séchée ? Eh bien non. C’est le Barron’s, l’hebdomadaire financier que publie la compagnie Dow Jones, qui s’inquiète, à la une de son dernier numéro, des effets sur l’économie du pays de la baisse constante du financement public des universités, qui pousse les universités à augmenter leurs droits de scolarité, qui poussent les étudiants à s’endetter, toujours plus… “Ce fardeau, écrit le Barron’s, écrase les perspectives d’avenir des étudiants gradués et constitue un boulet pour l’économie.” Le coupable, encore une fois : des droits de scolarité hors de contrôle.

Baisse du financement public, hausse des droits, endettement étudiant : le couple Beauchamp-Charest s’est sans doute dit : “les Amaricains, ils l’ont l’affaire, stie…”

Travailler sciemment à dresser la population plus âgée contre les futures forces vives de la société peut sans doute être vu comme une tactique de bonne guerre de la part de notre premier ministre et de sa… (ici, les mots me manquent :) ________ ministre de l’Éducation, mais il pourrait aussi s’agir d’une sérieuse hypothèque contractée sur l’avenir.

“Ils gagneront pas, pis chus ben content ! Ben fait pour eux autres !”

C’est vrai. Vous allez sans doute perdre. Vous avez peut-être même déjà perdu. Mais quelle grande école de politique, quelle grande fabrique de citoyens pour demain que ce qui se passe en ce moment au Québec. Vous ne serez pas les premiers à perdre une bataille, ni les derniers à devoir perdre une bataille pour arriver à comprendre que la vie peut devenir ce combat.

Le jour où vos impôts et vos dettes serviront à payer les soins de longue durée et les existences artificiellement prolongées de ceux qui aujourd’hui vous crachent sur la gueule, on ose presque espérer que vous vous en souviendrez, les jeunes.

Louis Hamelin

Écrivain en résidence

Université McGill

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