Édition du 16 avril 2024

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La république de Platon

Résumé du Livre VII (Texte 12)

Socrate, dès le début du Livre VII, décrit une grotte obscure dans laquelle réside un groupe de prisonniers. Ils sont enchaînés. Ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie. Ils sont par conséquent forcés de regarder la paroi du fond de la prison en face d’eux.

Un feu reflète les ombres sur ce mur. Ayant toujours vécu dans la grotte, ils sont convaincus que les ombres sont vraies. Un jour, un prisonnier est libéré. Il découvre que les ombres ne sont qu’illusion. En sortant de la grotte, il est instantanément aveuglé par la lumière. Retournant dans la grotte, il communique aux autres prisonniers sa vérité. Ces derniers rient à ses dépens et ne croient pas un mot à son histoire. Aux yeux de Socrate, ce prisonnier libéré est le vrai philosophe. Riche de la vérité, il doit répandre ses connaissances auprès de ceux qui vivent dans les ténèbres.


L’allégorie de la caverne et l’Idée du Bien

« Maintenant, repris-je, représente-toi de la façon que voici l’état de notre nature relativement à l’instruction et à l’ignorance. Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte quʼils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les monteurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. […] Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, des statuettes d’hommes et d’animaux en pierre, en bois, et en toute espèce de matière ; naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.  » (p. 273). Voilà une mise en scène singulière, comme le sont également les spectateurs soumis à cette projection presque sans fin, dans la totale ignorance de la réalité des personnages-vedettes qui défilent sur le mur, telles des formes spectrales…

Chez Platon, le monde se divise en deux. Il y a au départ la perception de la réalité (le monde des « ombres ») et le monde vrai (celui des « Idées »). Dans un premier temps, nous nous retrouvons dans la position de ces prisonniers enchaînés dans une caverne. Nous vivons dans un monde fait d’illusions tout en pensant que c’est le monde vrai. Nous prenons les ombres pour la réalité.
Nous percevons de la réalité que des ombres projetées par la lumière de l’extérieur sur le mur. Si on libère le prisonnier de ses chaînes et on lui explique la vérité, il aura du mal à comprendre qu’il ne voyait que des ombres. Ce ne sera qu’en le sortant de la caverne et surtout en lui donnant du temps pour s’adapter à la lumière du jour qu’il pourra s’accoutumer à cette région supérieure pour ensuite pouvoir contempler le soleil lui-même. Il sera dès lors en mesure de saisir que l’astre est le principe de tout ce que les personnes voient dans la caverne.

L’allégorie de la caverne révèle une chose importante aux yeux de Platon : l’importance de l’idée du bien. C’est l’idée de bien qui produit la vérité et l’intelligence. Il faut garder les yeux sur cette idée pour se conduire avec sagesse dans la vie privée et la vie publique ; or « il faut la voir pour se conduire avec sagesse dans la vie privée et dans la vie publique » (p. 276).

Pourquoi le philosophe serait-il plus à même que quiconque de diriger la Cité ? Parce qu’il est en fait « le seul » qui est en mesure d’accéder par la dialectique ascendante à la contemplation de l’Idée du Bien. Par conséquent, par la dialectique descendante, il peut décider si telle loi est plus apte que telle ou telle autre à instaurer la justice et le bien dans la Cité.
L’homme sorti de la caverne, correspond à l’idée que se fait Platon du philosophe. Il rechigne à redescendre dans les affaires humaines. Pour lui, rien n’est plus pénible que de discourir sur les ombres. Mais il n’a pas le choix. S’il veut aider les autres prisonniers de l’ignorance à accéder à la lumière de la vérité, il doit y revenir et trouver le moyen de rendre crédible ce qu’il a vu lui-même.

Le rôle de l’éducation dans la découverte de la vérité

Chez Platon, trouver la vérité n’est pas une question de capacité, mais une question d’éducation :

«  L’éducation est donc l’art qui se propose ce but, la conversion de l’âme, et qui recherche les moyens les plus aisés et les plus efficaces de l’opérer : elle ne consiste pas à donner la vue à l’organe de l’âme puisqu’il l’a déjà ; mais comme il est mal tourné et ne regarde pas où il faudrait, elle s’efforce de l’amener dans la bonne direction  » (p. 277).

Il ne s’agit pas d’ʼacquérir l’habileté technique des sophistes. Il faut plutôt porter l’âme vers la lumière et lʼy maintenir, le plus tôt possible dans la vie. Par conséquent, les personnes sages ont un but fixe qui sert de principe directeur à leur existence.

Socrate estime qu’il faut forcer les gardiens de la cité à redescendre dans les affaires humaines. Les législateurs de son État parfait doivent mettre au-dessus de tout le bonheur de la collectivité. Ils sont moralement tenus de redescendre parce qu’ils ont été formés pour cela. C’est la contrepartie de la sagesse quʼils doivent à l’État :

« Mais vous, nous vous avons formés dans l’intérêt de l’État comme dans le vôtre, pour être ce que sont les chefs et les rois dans les ruches : nous vous avons donné une éducation meilleure et plus parfaite que celle de ces philosophes-là, et vous avons rendus capables d’allier le maniement des affaires à l’étude de la philosophie. Il faut donc que vous descendiez, chacun à votre tour, dans la commune demeure, et que vous vous accoutumez aux ténèbres qui y règnent ; lorsque vous vous serez familiarisés avec elles, vous y verrez mille fois mieux que les habitants de ce séjour, et vous connaîtrez la nature de chaque image, et de quel objet elle est l’image, parce que vous aurez contemplé en vérité le beau, le juste et le bien  » (p. 278-279).

Pour bien gouverner la société et préserver son harmonie, les philosophes devront bannir l’ʼambition. La sagesse et la vertu suffiront, selon Platon, à leur bonheur :

« Oui, repris-je, il en est ainsi, mon camarade ; si tu découvres pour ceux qui doivent commander une condition préférable au pouvoir lui-même, il te sera possible d’avoir un État bien gouverné ; car dans cet État seuls commanderont ceux qui sont vraiment riches, non pas d’or, mais de cette richesse dont l’homme a besoin pour être heureux : une vie vertueuse et sage. Par contre, si les mendiants et les gens affamés de biens particuliers viennent aux affaires publiques, persuadés que c’est là qu’il faut en aller prendre, cela ne te sera pas possible ; car on se bat alors pour obtenir le pouvoir, et cette guerre domestique est intestine perd et ceux qui s’y livrent et le reste de la cité » (p. 279).

Il faut donc, en toute logique, confier le pouvoir aux hommes qui ne cherchent pas à améliorer leur statut social. Le philosophe authentique méprise le pouvoir, méprise la richesse pécuniaire. La seule chose qui l’intéresse est d’élever son âme à la vraie lumière.

Socrate dresse le programme de formation des futurs gardiens de la cité. Ils devront s’exercer, dès leur jeunesse, au métier des armes. Il faut leur enseigner la dialectique ascendante et les initier aux sciences, qui ne sont que des préalables à la dialectique. C’est à travers ce processus qu’ils s’habitueront à se tourner vers le monde intelligible. Platon nomme ici les disciplines suivantes : l’arithmétique et la géométrie. Ces deux sciences sont connaissance de ce qui est toujours, et « développent cet esprit philosophique qui élève vers les choses d’en haut les regards que nous abaissons à tort vers les choses d’ici-bas » (p. 286), ainsi que l’astronomie.

La dialectique

Platon définit la dialectique de la manière suivante : « essayer sans l’aide d’aucun sens mais au moyen de la raison d’atteindre à l’essence de chaque chose et ne pas s’arrêter avant d’avoir saisi par la seule intelligence l’essence du bien » ( p. 291).

Un interlocuteur demande à Socrate de préciser davantage le contenu de cette science. Il lui répond que cela est impossible : «  tu ne serais plus capable de me suivre, car ce ne serait plus l’image de ce dont nous parlons que tu verrais mais la réalité elle-même » (p. 291).

Pour Platon, la seule méthode qui permet d’accéder à l’essence des choses est la dialectique :

« Au moins, repris-je, il est un point que personne ne nous contestera : cʼest qu’il existe une autre méthode (en dehors de celles que nous venons de parcourir) qui essaie de saisir scientifiquement lʼessence de chaque chose. La plupart des arts ne s’occupent que des désirs des hommes et de leurs goûts, et sont tout entiers tournés vers la production et la fabrication, ou lʼentretien des objets naturels et fabriqués. Quant à ceux qui font exception, et qui, avons-nous dit, saisissent quelque chose de l’essence — la géométrie et les arts qui viennent à sa suite — nous voyons qu’ils ne connaissent l’être qu’en songe, et qu’il leur sera impossible d’en avoir une vision réelle tant quʼils considéreront les hypothèses dont ils se servent comme intangibles, faute de pouvoir en rendre raison  » (p. 292).

La méthode dialectique a la particularité de pouvoir écarter les hypothèses et d’aller droit à l’essence des choses. Le dialecticien est « celui qui rend raison de l’essence de chaque chose » (p. 293).

La dialectique est pourtant souillée par les sophistes. Ils la réduisent à un simple jeu. Elle est utilisée par eux dans des joutes oratoires et vise uniquement à contredire avec brio son interlocuteur. Activité qui n’a rien de noble.

«  Mais un homme plus âgé ne voudra point tomber dans une pareille manie ; il imitera celui qui veut discuter et rechercher la vérité plutôt que celui qui s’amuse et contredit pour le plaisir ; il sera lui-même plus mesuré et rendra la profession lieu de la rabaisser  » (p. 298).

Car la dialectique est un parcours qui consiste à éliminer les faussetés. Ainsi l’intelligence, alliant le savoir et la pensée, s’oppose ici à l’opinion, dans ses convictions et ses ressemblances. Autrement dit, le parcours dialectique tente d’oppresser l’opinion par des assauts volontaires destinés à mettre en lumière l’intelligence, grâce à laquelle se découvre le savoir et non pas une simple conviction. De là se justifie le système d’éducation des membres de la cité, dans une conversion au goût de la réflexion et des efforts, afin qu’ils ne se contentent plus de l’opinion ; parce que la découverte du savoir est essentielle à l’élévation de l’âme, de l’homme et de la femme, voire de la Cité.

Les six grandes phases dans le processus d’éducation des gardiens

Platon a prévu six grandes phases dans le processus d’éducation des futurs gardiens de la cité :

Dans l’enfance ils étudieront les sciences ; à l’adolescence ils se consacreront, durant deux ou trois années, à la gymnastique ; à 20 ans les meilleurs reprendront l’étude des sciences en les mettant en rapport les unes avec les autres ; à 30 ans les meilleurs poursuivront durant cinq ans l’étude de la dialectique ; à 35 ans ils retourneront dans la caverne durant 15 ans pour y occuper la fonction de militaires et accumuler de l’expérience et à 50 ans, les meilleurs accéderont à l’exercice de fonctions associées à l’administration et à la responsabilité gouvernementale.

Ce programme de formation et d’éducation tel que présenté ici par Socrate s’adresse autant aux garçons qu’aux filles :

« Ils sont tout à fait beaux, Socrate, s’écria-t-il, les gouvernants que tu viens de façonner comme un sculpteur ! Et les gouvernantes aussi, Glaucon, ajoutai-je ; car ne crois pas que ce que j’ai dit s’applique aux hommes plutôt qu’aux femmes j’entends à celles qui auront des aptitudes naturelles suffisantes » (p. 299).

Platon adhère au régime monarchique

C’est à la fin de ce VII Livre que Platon se prononce en faveur du régime qui sera en mesure de rendre le peuple « heureux ». Ce régime est celui d’un seul homme : un régime monarchique. Ce seront ceux et celles qui à l’âge de cinquante ans redescendront pour gouverner, parce qu’ils et elles auront été forméEs pour la tâche, ayant profité d’une ascension pour connaître le Bien et ainsi ramenéEs avec cette lumière nouvelle pour éclairer les leurs encore coincés dans leur caverne.

Yvan Perrier

Guylain Bernier

24 octobre 2020

yvan_perrier@hotmail.com

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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