Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Le PQ devant l’échec

Malgré les discours fanfarons de notre ami Jean-François Lisée, la défaite du PQ le 7 avril dernier est très grave. Je reste convaincu qu’une « ligne rouge » a été franchie, et qu’il n’y aura pas de retour en arrière, même si la descente prévue et déjà amorcée de ce parti qui a dominé l’imaginaire québécois pendant 60 ans sera longue, tortueuse et imprévisible. Sans avoir de boule de cristal, on peut essayer de comprendre au moins les termes du débat en cours et à venir dans le PQ et au sujet du PQ.

Les « continuistes »

Une partie importante de la députation et des membres continue de penser que la débâcle aura été un dur moment « conjoncturel », provoqué par un « alignement des astres » négatif, et finalement par une série de mauvais débats sur le referendum, la Charte, la politique économique, etc. Le glissement des votes vers le PLQ, la CAQ et QS, leur semble momentané, ce qui pourrait être changé par une « ressaisie » autour des grandes « valeurs » qui ont fait le PQ depuis les années 1960 : une optique de centre-gauche, pas tout à fait social-démocrate, mais à « gauche » de l’éventail politique québécois et canadien, + une affirmation nationale axée sur la souveraineté comme projet souhaité et souhaitable. Il y a des personnes de bonne volonté qui veulent revenir à cet « essentiel » (pensons par exemple à Véronique Hivon), quitte à voir ce qui peut être fait pour se rapprocher des mouvements populaires et même de QS. Cette optique serait également celle de certains vieux péquistes (Bernard Landry par exemple), et de quelques jeunes, plus ou moins dans l’orbite d’Option nationale, maintenant tentés de « rentrer au bercail ». Quel est leur grand défi ? La perspective dominante dans nos pays capitalistes actuellement va à l’encontre d’un retour mitigé aux politiques keynésiennes, à une social-démocratie (même « soft ») et à l’affirmation des valeurs d’un État nation. Il n’y a pas d’« acheteur » pour cela du côté de Québec inc (et encore moins chez Canada inc) qui dispose comme on l’a vu d’une bonne base populaire réactionnaire, qui ressemble (sans être identique) au Tea Party, qui manipule une clientèle ethnicisée et ghettoïsée, et enfin qui bénéficie d’un énorme véhicule via les médias, surtout (mais pas exclusivement) les médias-poubelles. Devant tout cela, il sera très difficile de remettre le PQ « à l’endroit » en reconstituant la base sur laquelle il était assis depuis 60 ans.

Les « révolutionnaires »

Ceux-ci sont d’accord que la réinvention du PQ est indispensable, mais ils veulent procéder en dehors des cadres qui ont été à l’origine et qui ont marqué l’évolution du « parti de René Lévesque ». Sans doute que leur chef de file potentiel est PKP, mais il y a plus de péquistes qu’on ne le pense qui sont prêts à flusher ce qu’ils considèrent le « gauchisme » du parti pour relancer un projet sur de nouvelles bases (pensons à l’ancien ministre Jacques Brassard). Mais voilà que ce projet a aussi beaucoup d’eau dans la cale. Tel que dit auparavant, il est peu probable que Québec inc change de fusil d’épaule, avec ou sans PKP. Deuxièmement, l’espace pour un tel projet est occupé par la CAQ. Ce n’est plus vrai que le PQ pourra aller chercher une grande alliance « arc-en-ciel » comme on l’avait vu en 1995. Une « porte de sortie » qui n’en est pas une serait d’éradiquer l’objectif de la souveraineté, pour se replier sur un nationalisme autonomiste, comme le suggèrent d’ailleurs les intellectuels de droite comme Joseph Yvon Thériault. Si cette évolution pourrait être « rationnelle », elle ne pourrait pas passer la rampe dans le moment actuel. Autre facteur plus étroitement conjoncturel : il est improbable que François Legault se laisse berner, d’autant plus que pour le moment, il pense que c’est lui qui va absorber les débris du PQ, et non l’inverse ! Enfin, la bonne vieille base populaire du PQ, déjà déchirée depuis l’arrivée en scène de PKP, va résister becs et ongles. Bonne chance Pierre-Karl !

Les « nationalistes »

Restent les fanatiques du nationalisme, qui glissent dans l’ethnisme, voire le racisme et la haine des « autres ». C’est ce que les p’tits malins comme Drainville et Lisée espéraient motiver avec leur charte. Sur leurs sites internet et à travers leurs réseaux, ils diffusent, encore plus depuis le 7 avril, un discours qui frôle l’appel au meurtre contre les « étudiants de McGill », les musulmans, les femmes voilées, et, devinez qui ? Québec solidaire. Ils seraient risibles si leur essor ne correspondait pas à un véritable appel d’air populiste et réactionnaire qui surgit partout dans notre monde capitaliste, et où les déclassés de tout genre sont convaincus que leur malheur vient des immigrants et des gauchistes, et non du capitalisme globalisé. Une partie des intellectuels de droite tente de finasser avec ce nationalisme ethnique, de lui donner des airs de noblesse, mais plus souvent qu’autrement, c’est l’expression d’une colère réactionnaire qui pourrait devenir dangereuse si on ne fait pas attention. Sauf qu’encore là, ce nationalisme ethnique se heurte à de gros obstacles, en partie parce qu’il ne correspond pas à l’esprit du temps imposé par le capitalisme globalisé, en partie parce qu’il est combattu par tout ce que la société compte de mouvements populaires. Cette alliance inavouable entre la droite « respectable » et la gauche sert d’argument pour les Christian Rioux et Mathieu Bock-Côté de ce monde qui en profitent pour cracher leur venin sur la gauche.

La traversée du désert

On le constate, d’un côté comme de l’autre, il faudra non pas un, mais plusieurs miracles, pour changer le cours. Certes, il y a plein d’inconnues qui peuvent faire une grosse différence. D’abord, il faudra voir ce que va faire la droite « traditionnelle », celle du PLQ. Il se pourrait qu’elle soit incapable de gérer ses « vieux démons » : une agressivité sans nuance contre l’ensemble des acquis de la révolution tranquille, la haine forcenée contre les mouvements populaires, la voyoucratie (le royaume des p’tits copains), le mépris de la culture québécoise et de la langue française. En réalité, les décideurs du PLQ constituent un repère de bandits et de réactionnaires qui détestent le peuple et même le Québec, ce qui n’est pas une base solide pour « gouverner ». On verra ce que Couillard fera avec cela. Pourra-t-il berner la population longtemps ? Il ne faut pas oublier qu’il est un éminent membre du 1 % qui a mis son argent dans les paradis fiscaux, qui a fait son fric sur le dos des esclaves qui subissent la torture et le viol en Arabie saoudite, qui rêve de privatiser encore plus la médecine et qui a comploté avec les appareils sécuritaires de l’État canadien pour punir, surveiller et réprimer. Et oui, cela est vrai, même si les médias poubelles et les médias tout court font tout pour occulter ces tristes réalités. À un autre niveau, il y le mur imposé par les dominants à l’échelle canadienne, et qui refusent globalement des accommodements même « raisonnables ». Harper a au moins l’honnêteté de dire que le Québec est devenu un gros irritant. Mais Trudeau et même, d’une façon paradoxale, Mulcair et ses amis du NPD hors Québec, veulent tout simplement, aujourd’hui comme avant, remettre le Québec dans son bon vieux rôle provincial.

On peut tout prévoir sauf l’avenir

Bref, les dominants sont capables de tout, y compris de se tirer dans le pied, comme ils l’avaient d’ailleurs fait dans les années 1990. S’ils se laissaient aller, cela pourrait causer beaucoup de dommage, et par implication, créer une marge de manœuvre inespérée pour le PQ.

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