Édition du 6 mai 2025

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Le blogue de Pierre Beaudet

Le charme discret du racisme anglo-canadien

Les Anglo-Canadien-nes sont des gens en général assez gentils et accueillants. C’est leur réputation et c’est aussi la réalité que j’ai constatée depuis 10 ans que je travaille à Ottawa. Un peu comme les Néerlandais et les Suédois, qui n’ont pas vécu, du moins dans leur histoire récente, de trop gros drames, relativement parlant.

Pourtant il y a dans l’histoire de ce pays des héritages « lourds », qui pénètrent, souvent sans que l’on ne s’en aperçoive, la culture et la sociabilité, et aussi les rapports aux « autres ». Pour la majorité des Canadien-nes, les « autres » sont ceux et celles qui ne font pas partie du « périmètre » traditionnel anglo-protestant, que l’on connaissait auparavant comme les WASP (White Anglo Saxon Protestant). Certes cette culture WASP reste très loin de ce qui sévit aux États-Unis sous la forme d’un racisme exacerbé, qui est même, parmi plusieurs secteurs de la population états-unienne, totalement assumée. Sans être aussi crue, cette culture est présente au Canada d’une manière plus subtile.

Je me suis pris à me surprendre que plusieurs de mes collègues à l’Université d’Ottawa, tous bien éclairés et informés, sont convaincus que la modernité et la démocratie ont été inventées en Angleterre, que la Magna Carta (négociée entre le roi et les seigneurs en 1215) est un document « fondateur », alors qu’en vérité, il traduit d’abord et avant tout un pacte entre les diverses classes dominantes. Plusieurs de mes collègues pensent que ce « modèle » britannique s’impose contre ce qu’ils considèrent comme des révolutions violentes et vulgaires, notamment en France en 1789. Ils pensent sincèrement qu’il y a une « supériorité naturelle » qui découle du « modèle » anglo-saxon.

Le grand philosophe anglais conservateur Edmund Burke (1729-1797) disait en gros que la démocratie devait être limitée aux classes « connaissantes », et qu’il fallait résister aux revendications des peuples, par essence « ignorants ». C’est ainsi que les traits fondamentaux de la modernité à la britannique ont été esquissés dans le cadre d’une démocratie (avec un petit « D »), où les parlementaires doivent se confiner à un espace politique et intellectuel restreint (on peut être dans l’opposition mais pas trop, en acceptant les règles du jeu), où le système électoral est fait pour limiter le débat à une « alternance » très limitée et où les citoyens peuvent, comme exercice de leur pouvoir, élire des représentants non-imputables pendant 4 ou 5 ans. Comme on le sait, le système canadien a été pensé dans la tradition de Burke. Le premier Premier ministre, John A. Macdonald (1815-1891), disait qu’il fallait « insulariser » les décideurs politiques de la populace.

Lors de la rébellion républicaine de 1837-38, ce qui a le plus effrayé le pouvoir colonial était justement ce désir du peuple de s’exprimer, de délibérer, de prendre des décisions dans le cadre de grandes assemblées où tout le monde avait le droit à la parole. Lord Durham dans son fameux rapport disait que les francophones ne pouvaient tout simplement pas comprendre qu’ils sont subalternes. Il concluait que la structure du Canada devait à tout prix minoriser cette population turbulente du Bas-Canada. Le résultat a été la « constitution » (qui n’en était pas une) de 1867.

Les gouvernants ont alors réussi à coopter un groupe de larbins canadiens-Français en leur donnant des pouvoirs subsidiaires et en gardant pour eux les véritables leviers de l’état. En même temps, ils ont procédé à un génocide culturel des autochtones en les isolant et en les clochardisant. Les autochtones à leurs yeux, comme les Canadiens-français, ne pouvaient faire partie du cercle du pouvoir.

150 ans plus tard, on pourrait penser que tout cela est de l’histoire ancienne. Mais malheureusement ce n’est pas le cas.

Je reviens à mes collègues d’Ottawa. Plusieurs, c’est peut-être une grosse minorité ou même la majorité, pensent comme Andrew Coine, le chroniqueur sans doute le plus important au Canada anglais. Coine a dit, plusieurs fois plutôt qu’une, que le peuple québécois était « congénitalement » incapable de se gouverner. Comme Andrew Porter de l’Université McGill lui-même chroniqueur à la revue Maclean’s dirigée par ailleurs par le même Coine. Porter disait avant d’être éjecté de McGill que « comparativement au reste du pays, la société québécoise est presque aliénée pathologiquement, démontre un faible niveau de confiance et est déficiente dans plusieurs formes d’interaction sociale (social capital) que d’autres Canadiens tiennent pour acquis ». Dans cet imaginaire anglo-canadien, le Québec est un cas désespéré. Au mieux, il faut savoir le « gouverner », à sa place, voire le « civiliser ». C’est d’ailleurs ce que pensait Pierre Elliott Trudeau…

Au niveau « populaire », la perception du Québec dans ce même Canada est partagée entre un mépris spontané mêlé de compassion : « Pauvres d’eux ». Il faut dire que ce racisme québécois n’est pas unique : il y aussi les « pôvres » Newfies, les « pôvres » Jamaicains, etc.

Il y a aussi un autre regard. Que j’ai observé parmi des jeunes : le Québec est le meilleur endroit au monde pour faire la fête. C’est là où on boit, on sort tard, et où les femmes sont plus libres. Il est arrivé que des étudiants me disent cela pour me faire plaisir, comme si c’était un compliment. Mais en réalité, ils voient un Québec folklorique, un peu déluré, qui sait avoir du « fun », mais qui est pour eux, sans qu’ils ne le disent, une société qui ne sait ni travailler, ni faire des affaires, ni gouverner.

Coine et la droite dure à qui il se réfère pense que la meilleure solution pour le Canada serait d’en finir une fois pour toutes avec cette province de demeurés. Au pire, il serait prêt à accepter l’indépendance du Québec, comme Preston Manning, l’ancien chef du Parti réformiste (où Stephen Harper a fait ses classes). « Bon débarras. Qu’ils s’en aillent et qu’ils nous permettent de faire du Canada un véritable État « WASP ».

On dit parfois que le Canada n’est pas raciste, qu’il accepte l’« autre », et qu’un ministre peut porter son turban sans être importuné. Cette tolérance a toutefois ses côtés pervers, puisque l’accueil, via l’idéologie multiculturelle, conduit souvent à figer les identités et les différences, d’où la propension anglo-canadienne à créer des ghettos ethniques. C’est ainsi que Toronto est une galaxie de zones urbaines ethnicisées, par exemple.

Avant que vous ne pensiez que cette réalité est sans espoir, je terminerais en vous disant qu’il y a eu et qu’il y a encore des Anglo-Canadiens qui ne pensent pas comme cela, qui sont conscients que la « démocratie » canadienne a eu pour fonction de subalterniser les Québécois et de coloniser les autochtones, et qui se battent contre cela.

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