Édition du 16 avril 2024

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Opinion

Le détournement des mots

Comment la droite manipule la population

« Y a les mots » chantait si bien Francine Raymond. En la paraphrasant, j’ajouterais : Y a les mots trompeurs, ceux qui nous induisent en erreur. La plus grande réussite de la droite, c’est d’utiliser de beaux mots, les mots de la gauche, parlant de justice, de droits, de liberté, et de les travestir pour y faire passer leurs idées néolibérales.

Ces mots que la droite détourne de leur sens sont nombreux, très nombreux. Pour le moment, je vais me contenter d’en décortiquer un seul. Le mot responsabilité. Qui oserait s’élever contre cette notion de responsabilité dont tous reconnaissent la valeur morale et sociale ? Chaque parent rêve que ses enfants soient responsables.

Pourtant la droite utilise ce mot, pour discréditer les Québecois qui défendent leurs biens publics : systèmes de santé et d’éducation, Hydro-Québec, etc. Mario Dumont utilisait cette méthode tordue notamment en déviant ainsi le mot "responsabilité". Avec son masque de droite, il est alors souvent accolé au mot État-providence pris dans un sens péjoratif.

Dans son sens originel, État-providence est la traduction de welfare state, c’est-à-dire un État préoccupé pour le bien-être de tous ses citoyens, y compris les plus démunis.

Les gens de droite s’emploient à discréditer l’État-providence comme étant le fait d’un gouvernement qui encourage la dépendance, traite les citoyens en enfants gâtés, empêche les gens de prendre leur responsabilité en leur garantissant des services publics universels. La droite martèle sur toutes les tribunes qu’il est plus que temps que les citoyens réalisent que les services publics ne sont pas gratuits et qu’il est urgent qu’en citoyens responsables, ils se « grouillent le cul » et travaillent pour assumer leur part du financement public, au lieu d’attendre que « tout leur tombe tout cuit dans le bec »

Pour la droite est « responsable » celui qui appuie la taxe santé, le ticket modérateur, la hausse des tarifs d’Hydro, comme le propose le dernier budget Bachand. Irresponsable celui qui veut sauvegarder nos services publics à la portée de tous, sans exclure personne. Le citoyen « responsable » (version de droite) doit donc travailler pour payer « sa part » des services de santé et du système d’éducation, et les tarifs d’Hydro "au prix du marché". Si son maigre salaire ne lui permet pas d’assumer ces frais sans l’étrangler, tant pis. Il n’a qu’à travailler plus, être plus compétitif dans son domaine, ou étudier plus et se trouver une job plus payante. S’il ne réussit pas à « se payer » les assurances et soins médicaux privés, ou payer les frais de scolarité toujours en hausse, c’est de sa faute ; il ne travaille pas assez, il est responsable de son malheur.

Pour la droite, « responsabilité » rime avec compétitivité. C’est le chacun pour soi, l’individualisme. Tout comme Mme Tachcher qui disait « There is no such thing as society », la droite s’avère incapable de saisir le concept de solidarité, fondement de toute société.

Malheureusement, bien des citoyens honnêtes vont acheter ce discours sans détecter la manipulation derrière ce beau mot : responsabilité. C’est ainsi que la droite prépare le terrain, c’est-à-dire les mentalités, pour justifier l’invasion toujours plus grande du privé dans la sphère publique.

Évidemment, ils ne vont pas dire clairement les choses : « Nous souhaitons que se multiplient les services privés de santé, car nous récolterons alors des milliards. Nous ne voulons plus payer d’impôt, nous voulons garder toute la richesse (richesse accumulée grâce aux travailleurs) pour nous. » Pour convaincre la population, ils doivent cacher leur véritable agenda sous des mots nobles, ceux de la gauche. C’est ce qu’on appelle le détournement des mots.

Ce détournement des mots a des conséquences tout aussi dramatiques que le détournement des avions. Comme ses drames liés aux inégalités dans notre société, ne sont pas aussi spectaculaires, se vivent souvent incognito, s’échelonnent dans le temps, ils ne font pas l’objet de nouvelles sensationnelles,

Tout le monde sait bien que ces services ne sont pas gratuits. Les gens ne sont pas idiots, ils savent bien qu’ils ont choisi de s’offrir ces services par le moyen des impôts, et ce pour le mieux-être de tous. Un sondage a révélé que « lorsqu’ils devaient choisir entre des baisses d’impôt et une amélioration des services en santé et en éducation, 27 % seulement des Québécois indiquaient une préférence pour la première option, contre 70 % en faveur de la seconde » [1] Ceux, pour qui l’argent est la priorité, n’en revenaient pas ; cela dépassait leur entendement ! Même résultat dans un sondage réalisé en 2001 par la commission Séguin. [2] La population refuse donc des baisses d’impôt sachant qu’ils sont nécessaires pour assurer la qualité de leurs services publics. Irresponsables tous ces gens ?

Pour la gauche, il n’est pas responsable d’accepter que quelqu’un doive s’endetter pour se faire soigner, ou souffre le martyr, meurt prématurément faute d’argent. Il n’est pas responsable d’accepter qu’une petite clique fassent des milliards avec la souffrance des autres.

Pour les gens de la gauche, responsabilité se conjugue avec solidarité.


[1Le Devoir, 18 juillet 2007, Alain Noël, Mais qui donc veut des baisses d’impôt ?

[2Ibidem

Françoise Breault

Après une carrière en enseignement, dont un an avec les Échanges France-Québec, j’ai poursuivi en travail social auprès des familles. Vers l’âge de cinq ans, je me demandais pourquoi il y avait des pauvres et ce que je pouvais faire. Sans en prendre pleinement conscience, cette interrogation m’a habité toute ma vie. Une année en Amérique du Sud ne m’avait toujours pas apporté de réponse. Cela m’a pris du temps à voir clair... Maintenant que la lumière est allumée, je ne peux et ne veux la refermer... Tous les faits, toutes mes lectures me confirment comment le système économique actuel contribue à ce fossé grandissant entre riches et pauvres. Me voici maintenant à ma 3e carrière, celle où je peux mettre tout mon temps et énergie à sensibiliser les gens aux graves enjeux d’aujourd’hui, afin de vivre dans un monde plus juste... « mais nous, nous serons morts mon frère... ».

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