Édition du 23 avril 2024

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Canada

Le mouvement pour la justice climatique ébranle le Nouveau Parti Démocratique

Tiré de Life on Left

Appliquant une étonnante rebuffade à la direction du parti, les déléguéEs au congrès fédéral du NPD qui se réunissaient à Edmonton du 8 au 10 avril, ont voté pour le rejet de Thomas Mulcair comme dirigeant de leur parti en même temps qu’ils commençaient à réorienter leur parti afin qu’il devienne un leader dans le mouvement pour la justice climatique.

De façon écrasante et à la face de l’opposition véhémente de l’illustre première ministre de l’Alberta Rachel Notley, ils ont endossé le Manifeste pour un bond en avant (Leap Manifesto) , une déclaration radicale qui s’oppose à l’industrie pétrolière albertaine et aux oléoducs, prônant une « grande transition » dans la conversion énergétique -un saut- « afin de nous prémunir de la catastrophe du réchauffement climatique. » Le manifeste dénonce le bilan du Canada en ce qui concerne les changements climatiques comme « un crime contre l’avenir de l’humanité. »

Le vote des congressistes a correctement été interprété comme un « virage à gauche » dans les médias d’affaires, lesquels à l’instar des leaders du NPD, avaient ignoré le manifeste, publié au milieu de la dernière campagne électorale fédérale.

Comme le dit le manifeste : « Ce bond doit commencer par respecter les droits ancestraux et le titre des premiers gardiens de cette terre. Les communautés autochtones ont été aux premières lignes de la défense des cours d’eau, des berges, des forêts et des terres contre l’activité industrielle débridée. »

« Inspirés par les traités qui constituent la base juridique de ce pays et nous enjoignent à partager la terre « aussi longtemps que le soleil brillera, que l’herbe poussera et que l’eau coulera », nous exigeons des sources d’énergie qui ne s’épuiseront jamais, pas plus qu’elles n’empoisonneront la terre. Les avancées technologiques ont mis ce rêve à notre portée. En effet, de récentes études montrent que dans 20 ans, le Canada pourrait puiser 100 % de son énergie électrique de sources renouvelables ; dès 2050, nous pourrions avoir une économie propre. »

Parmi ses revendications, le Manifeste lance l’appel à « un programme universel visant à construire des maisons écoénergétiques … juge essentiel que les employéEs des secteurs d’emplois à forte émission de carbone aient accès à une formation et aux ressources adéquates afin qu’ils et elles aient la capacité de contribuer à la mise en place d’une économie énergétique verte, revendique le passage à un système agricole beaucoup plus local et axé sur des impératifs écologiques et qu’un frein soit mis aux accords commerciaux qui donnent aux entreprises le pouvoir de s’ingérer dans les efforts que nous déployons pour reconstruire les économies locales. »

« Nous voulons rééquilibrer la balance de la justice pour que soient garantis à toutes les travailleuses et à tous les travailleurs, le statut d’immigrant et la protection qui en découle. Compte tenu de l’implication du Canada dans les conflits armés et de sa contribution aux changements climatiques — deux facteurs à l’origine de la crise globale des réfugiés —, nous sommes dans l’obligation d’accueillir des migrants à la recherche de sécurité et des conditions de vie meilleures. »

Le Manifeste un Bond vers l’avant, a suscité un large intérêt et a conduit à la mise sur pied de campagnes pour la justice climatique parmi les travailleurs et les travailleuses. La campagne lancée par le très militant Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes afin de convertir les bureaux de poste en un lieu révolutionnairement écologique est un bon exemple. Le syndicat a proposé par exemple de convertir la flotte de véhicules vers une flotte 100% électrique, la création de bornes de recharge dans les aires des bureaux de poste, de concert avec un service bancaire qui fournit un service dans des communautés nos desservies par un tel service et permet un crédit à faible coût pour l’installation d’énergies renouvelables.(1)

Le congrès s’est déroulé au milieu d’un large mécontentement concernant les résultats désastreux du NPD de la dernière campagne électorale fédérale en octobre dernier, qui est apparu être à la droite du parti libéral victorieux, changeant ainsi une de victoire qui semblait à portée de main en une troisième place d’opposition au parlement. La colère des membres a été envenimée par l’échec de Mulcair, qui jusqu’à la veille du congrès a refusé de reconnaître ses responsabilités pour ce revers. Le « rapport de campagne » présenté par la direction du NPD , était une analyse confinée dans une conception étroite qui a empêché d’apaiser les critiques, a ajouté à la critique.

Et ce congrès s’inscrivait dans le contexte d’une présence désastreuse aux élections provinciales de Saskatchewan, et suivait la précédente défaite du parti au gouvernement de la Nouvelle-Écosse, les résultats décevants tant en Colombie-Britannique qu’en Ontario, et avec la perspective d’une défaite probable du gouvernement NPD manitobain le 19 avril prochain. La seule exception au tableau a été l’élection surprise du gouvernement NPD en Alberta.

Mais le plaidoyer passionné de la première ministre albertaine aux congressistes en faveur de la promotion des oléoducs vers les voies maritimes, pour l’exportation des produits des sables bitumineux en a laissé plusieurs dubitatifs. (2)Tout autant que la performance de Thomas Mulcair qui, dans une tentative de dernière minute pour sauver sa peau, a promis d’endosser quelque programme que ce soit qui serait adopté par le congrès – même si cela devait inclure une opposition aux oléoducs Énergie est, qu’il avait pourtant toujours appuyés. La résolution d’appui au chef du parti Thomas Mulcair n’a recueilli que 48% d’appui. Les syndicats affiliés étaient divisés ; le président du Congrès du Travail du Canada Hassan Yussuf a appelé à la défaite de Mulcair pendant que plusieurs syndicats importants l’appuyaient publiquement.(3)

La prochaine course au leadership sera très difficile. Au bout du compte Mulcair était dans le cadre du NPD le meilleur leader possible en ce moment. Parfait bilingue, excellent dans les débats parlementaires, il était le leader dont ce parti parlementaire avait besoin en 2012, parti qui était devenu l’opposition officielle avec une majorité de députées nouvellement élues au Québec. Aucun des députés du NPD actuellement mis de l’avant dans les médias comme potentiels prétendants ne s’approche de lui sous ces aspects – et aucun d’entre eux et elles, n’a appuyé publiquement le manifeste pour un bond vers l’avant.

C’est le Manifeste un bond vers l’avant qui a dominé le programme de débats depuis le début du congrès d’Edmonton. Un groupe ad hoc « Les néo-démocrates pour le Leap Manifesto », s’était déjà formé afin de susciter l’intérêt et faire de ce Manifeste l’événement programmatique majeur de ce congrès. Environ deux douzaines d’associations l’avaient endossé dans une forme ou une autre. En réaction à cette situation d’autres néo-démocrates, dirigés par l’ex-député Craig Scott ((Toronto Danforth) et Libby Davies (Vancouver East), ont mobilisé afin d’appuyer une proposition pour reporter un endossement direct du Manifeste jusqu’à une discussion et un futur débat au prochain congrès de 2018.

Ils ont travaillé de près avec Avi Lewis, un coauteur du Manifeste, conjoint de la militante écologiste et auteure Naomi Klein, et fils de Stephen Lewis ancien leader du NPD Ontario et petit-fils de David Lewis ancien leader du NPD fédéral.(4)

La résolution finale adoptée au congrès louange le Manifeste comme étant « une déclaration de principes de haut niveau qui interpelle les aspirations, l’histoire et les valeurs du parti. » Mais il stipule que des politiques spécifiques défendues par le manifeste « peuvent et devraient être débattues et modifiées sur leur propre mérite et selon les besoins des communautés de toutes les parties du Canada. »

Ayant pour objectif de rassurer les critiques du Manifeste en Alberta ou ailleurs, cette formulation laisse peu de jeux pour les défenseurs des sables bitumineux et des oléoducs qui veulent reporter toute action significative du parti pour mettre fin à notre dépendance à l’énergie fossile. Cependant il apparaît indéniable que les militants et militantes environnementalistes et écosocialistes ont maintenant une ouverture pour approfondir le débat concernant la justice climatique autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du NPD. Une gauche écosocialiste peut possiblement se développer à l’intérieur et autour du NPD - une gauche composée de supporteurs qualitativement plus enracinéEs dans leurs communautés que l’ancien Socialist caucus qui s’est longtemps battu pour gagner l’appui et la reconnaissance dans le parti. ( le Socialist caucus a présenté non moins que 29 résolutions au congrès d’Edmonton, aucune d’entre elles ne faisait mention du Leap Manifesto, malgré que le Caucus ait inséré un feuillet qui l’endossait dans son pamphlet distribué au congrès).

Ce n’est pas la première fois dans l‘histoire du NPD que le parti devient la cible de mouvements militants. À la fin des années 1960, le Manifeste pour un Canada indépendant et socialiste ( le manifeste du Waffle) exprimait à l’intérieur du parti la radicalisation de la jeunesse stimulée en bonne partie par l’opposition à la guerre du Vietnam. Pendant que le Waffle était plus tard expulsé du parti ( sous l’égide du père d’Avi Stephen), son candidat Jim Laxer est arrivé tout juste derrière David Lewis ( et loin devant Ed Broadbent) au quatrième tour de scrutin lors de la course à la chefferie en 1971.

En 2001, le New Politics Initiative a gagné l’appui d’environ 40% des délégués au congrès fédéral du NPD. Cela reflétait la radicalisation qui se développait autour de la justice globale, le féminisme, les droits des gais et lesbiennes, et le mouvement environnemental. Malgré ce début prometteur, le NPI a été arbitrairement dissous par son comité de direction, sans même une consultation avec ses membres, lorsque ses leaders ont décidé d’appuyer la candidature de Jack Layton au poste de chef du parti fédéral.

Le Leap Manifesto subira-t-il le même sort ? C’est une question sur la table à cette étape. Tous les signes vont cependant dans la direction d’un approfondissement de la crise climatique et un accroissement de la compréhension parmi une large couche de la population de la nécessité de solutions radicales et anti-capitalistes. Cette évolution s’est reflétée par la victoire inattendue quoique fragile de Jeremy Corbyn à la direction du Labor Party britannique, et même par l’appui étonnant à Bernie Sanders et sa promotion socialiste dans les primaires Démocrates américaines.

Une forte présence écosocialiste dans les débats à venir au NPD pourrait apporter des réponses similaires ( et comme l’a démontré le congrès d’Edmonton, une opposition) au radicalisme anticapitalisme si quelques-unes des idées majeures esquissées dans le Manifeste pour un Bond en avant, peuvent être poursuivies dans le sens de développer explicitement une stratégie et un programme. Certainement que les écosocialistes ont tout intérêt à examiner et là où c’est possible de poursuivre ce développement dans les mois qui viennent.

Traduction André Frappier

Notes

(1) Voir aussi “Canada’s post office could get a revolutionary green make-over,” The Guardian, March 9, 2016
(2) Voir aussi “Notley calls on NDP to support new pipelines, takes aim at Leap Manifesto,” The Globe and Mail, April 9, 2016.
(3) Voir “NDP delegates divided on Mulcair ahead of leadership review,” The Globe and Mail, April 9, 2016.
(4) Avi Lewis’s father is Stephen Lewis, a former leader of the Ontario NDP (and former United Nations ambassador for Brian Mulroney’s Tory government). David Lewis, a former federal NDP leader, was Avi Lewis’s grandfather.

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