Plusieurs questions surgissent : certaines sont économiques, d’autres morales. Nous nous permettons de les énumérer ici pour encourager une discussion plus sereine sur un sujet qui pourrait facilement déraper.
1. À qui appartiennent les ressources naturelles ? S’il est vrai qu’elles appartiennent à tous les Québécois, comment se fait-il qu’il n’y ait pas un monopole de l’État pour les gérer ? Si, par contre, elles appartiennent au propriétaire du claim (ou du permis), quel montant l’État doit-il exiger en redevances et/ou pour la vente desdits permis pour que l’ensemble de la collectivité en profite équitablement ?
2. À partir de quand juge-t-on que les populations locales subissent plus que leur lot d’inconfort pour le bien commun et le développement économique ? Voudrait-on reproduire à plusieurs échelles l’expérience désastreuse de la mine à ciel ouvert d’Osisko ? Accepterait-on soi-même de vivre à proximité d’un puits de pétrole, comme ce pourrait être le cas à Gaspé, ou d’une mine d’or, comme on en exploite en Abitibi ? Dans la négative, peut-on l’imposer à autrui ? Quelle distance raisonnable devrait séparer les forages et les mines des résidences les plus rapprochées ? Est-il acceptable de déplacer les habitants d’un territoire pour en exploiter les ressources ? Et, le cas échéant, que doit-on proposer en compensation aux personnes déplacées ? Qui doit payer ? L’État (soit tous les contribuables) ou la compagnie exploitante ?
3. Si l’on s’aperçoit qu’une activité industrielle rend les gens malades parce qu’elle pollue l’air qu’ils respirent ou l’eau qu’ils boivent, doit-on arrêter la production ? Combien de travailleurs doivent tomber malades avant qu’on juge qu’une exploitation est trop néfaste pour se poursuivre ?
4. Qu’est-ce qui en définitive vaut plus : l’eau ou le pétrole ? À quel niveau de risque est-on prêt à exposer les nappes phréatiques pour exploiter les ressources fossiles ? S’il arrive un accident et que les sources d’eau sont contaminées, que feront les résidents privés d’eau ? Combien vaut une maison, même luxueuse, sans un puits d’eau potable (en Pennsylvanie, plusieurs maisons ont vu leur valeur marchande plonger à la suite de la contamination de leur source d’alimentation en eau potable) ? Qui paie ? Qui est responsable ?
5. Quelles sont les externalités (éléments non monétaires, comme l’environnement, la santé des populations et la menace contre certaines espèces animales) acceptables d’une activité industrielle ? Qui sera responsable de la décontamination et de l’entretien des puits après leur exploitation ? L’industrie ou l’État ? Des décisions comme le bannissement de l’amiante ou du nucléaire dans certaines parties du monde doivent-elles nous inspirer ? Acceptera-t-on de couvrir à même la CSST tous les soins dont auront besoin les gens affectés par les opérations de l’industrie pétrolière (quand on connaît les coûts à long terme engendrés par les conséquences de l’exploitation de l’amiante, qui compteraient pour 20 % des indemnités de décès demandées à la Commission de santé et sécurité au travail)2 ? Enfin, qui paiera pour l’entretien des puits après leur fermeture ?
Si messieurs Landry, Bouchard, Boisclair et consorts, qui ont indéniablement à cœur le bien commun des Québécois, peuvent répondre sans détour à l’ensemble de ces questions, peut-être convaincront-ils les écologistes et les citoyens du bien-fondé de leurs choix énergétiques. En attendant, il ne semble y avoir aucune raison valable de procéder à la fracturation hydraulique dans un avenir prévisible.
Marie-Ève Mathieu, présidente du comité contre les gaz de schiste de la Vallée des Patriotes