Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Montréal solidaire

Samedi le 21 février dernier se tenait à Montréal l’assemblée annuelle de l’Association régionale de Montréal (ARM) de Québec solidaire. L’ARM regroupe 15 associations de circonscriptions (sur les 28 que compte la métropole), dont évidemment celles représentées à l’Assemblée nationale par Françoise David (Gouin), Amir Khadir (Mercier) et Manon Massé (Sainte-Marie/Saint-Jacques). La présence de QS est forte à Montréal et des percées sont possibles dans plusieurs autres comtés, notamment Hochelaga-Maisonneuve, Crémazie, Laurier-Dorion, Rosemont. Évidemment, rien n’est donné, et c’est ce qui motive les militants et militantes de Montréal à continuer le dur travail amorcé depuis quelques années. C’est ainsi que l’ARM et les associations de comptés veulent continuer la mobilisation en vue de consolider les avancées, d’ouvrir de nouvelles portes et de placer QS dans une meilleure posture lors de la prochaine campagne électorale qui s’en vient rapidement (2018).

Il est notamment question de rendre plus visible la présence de QS dans les luttes sociales actuelles, non pas pour se substituer aux mouvements populaires, mais pour lier davantage l’action politique aux revendications émanant des résistances anti-austérité et des propositions alternatives qui permettraient aux 99 % d’améliorer leurs conditions de vie. Lors de l’assemblée de l’ARM, les membres du comité exécutif présidé par l’avocat et syndicaliste Noël Saint-Pierre ont souligné les changements en cours dans le niveau de mobilisation des mouvements populaires (à la hausse !) et même dans l’opinion des citoyens et des citoyennes « ordinaires », ce qui a été encore une fois illustré par la résistance opiniâtre des employés-es du secteur public durant l’automne et le printemps 2015. À Montréal, on a également observé une grande mobilisation des parents (« Ne touchez pas à nos écoles »), ainsi que des usagers et travailleurs-euses des CPE à travers des mouvements qui mettent de l’avant la défense du secteur public et du bien commun.

Et ça continue…

Un vaste territoire est donc ouvert pour l’avancement de propositions progressistes. Cela est renforcé par d’autres facteurs, telle la glissade en apparence irrésistible du PQ vers la droite, comme l’a souligné André Frappier, responsable national des communications de QS. Lors de l’assemblée de l’ARM, d’autres interventions ont souligné la possibilité pour QS de marquer sa présence au sein des communautés culturelles qui représentent à Montréal une très grande partie de la population.

Sur la base des acquis actuels, QS pourrait en effet avancer considérablement à Montréal. Cependant, il y a quelques « angles morts ». Depuis son avènement, QS a toujours été relativement tiède face à la scène municipale. Ce n’est pas que les questions prioritaires auxquelles s’adresse QS ne comportent pas d’enjeux municipaux (pensons notamment au transport public), mais on a décidé de se tenir relativement loin des enjeux politiques concernant non seulement Montréal, mais les villes en général. Comme on le sait, ce n’est pas la tradition des partis de gauche un peu partout dans le monde. Au Brésil, en Italie, en France et ailleurs, la gauche s’est fait politiquement connaître en gagnant des élections municipales, en gérant des ensembles urbains, souvent en confrontation avec les gouvernements nationaux de droite. Au Brésil en tout cas, c’est ce qui est survenu avec la conquête par le Parti des travailleurs (PT) de plusieurs municipalités au tournant des années 1990, bien avant donc, la victoire de Lula aux élections présidentielles de 2002.

Si cette évolution s’est faite dans plusieurs pays, c’est qu’il y a des raisons. La première raison est évidemment que les enjeux urbains sont souvent très importants du point de vue des revendications populaires (logement, transport public, sécurité, écoles, etc.). Des mouvements populaires mènent des luttes sur ces terrains et il est donc normal que le lien se fasse avec des partis politiques progressistes. La deuxième raison est que la gauche est souvent perçue comme une bande de braillards et de « criticailleux » qui ne savent pas « faire les affaires » ni gouverner concrètement. C’est bien sûr une image construite par les médias-mercenaires, mais on ne peut pas dire que cela n’a pas d’influence sur la population qui peut penser que la gauche, ce sont de « bons jacks », mais qu’on ne peut pas leur confier la gouvernance. En améliorant la condition de vie dans les villes et en les gérant de manière juste et équitable, la gauche gagne la confiance des citoyens et des citoyennes.

Dans un sens, c’est ce sentiment qui avait conduit, il y a quelques décennies de cela, plusieurs réseaux militants à s’investir, à Montréal même, dans les aventures du FRAP et du RCM, à l’initiative de plusieurs militants et militantes comme Paul Cliche, Sam Boskey, Léa Cousineau et tant d’autres. Certes, ces expériences n’ont pas été tout le temps concluantes. Sous son administration dans les années 1990, Jean Doré avait édulcoré plusieurs des revendications qui avaient mené le RCM à gagner les élections. Des conflits avaient éclaté autour des questions de logement et d’aménagement urbain (la lutte des résidents d’Overdale, par exemple). L’espoir qu’avaient exprimé des secteurs importants de la population pour la mise en place d’un nouveau style de gouvernance basé sur la transparence et la démocratisation s’est estompé et à la fin, un RCM disloqué a été absorbé par des partis clientélistes traditionnels.

Aujourd’hui, la situation de Montréal se présente assez négativement du point de vue des couches moyennes et populaires. Malgré le discours populiste (de droite) du maire Coderre, la ville est encore une fois la proie de « développeurs », à la fois corrompus et corrupteurs et sans foi ni loi, qui veulent embourgeoiser la ville et la transformer en un immense terrain de jeux pour les privilégiés du monde entier. Les pauvres doivent se tasser, les travailleurs et les travailleuses peuvent dire bye bye à des emplois stables pour glisser dans le merveilleux monde de la précarité. Les gens du secteur public sont attaqués chaque jour qui passe par les médias-mercenaires, et j’en passe. Pendant ce temps, les infrastructures de base (logement, transport public, écoles) sont à la dérive, ce que démontrent des tas d’études savantes.

La ville va mal ; qui s’en surprendrait dans notre monde mené par le 1 % ?

Notre chance, c’est d’avoir un riche tissu d’organisations communautaires qui résistent, qui s’organisent, qui réussissent de temps en temps à faire assez de pression pour infléchir les pouvoirs. Sans cela, on serait comme à Détroit, une ancienne ville prospère où on vit aujourd’hui comme au Guatemala. Même à cela, souvent, les décisions échappent au monde « ordinaire » et c’est pour cela que dans le temps, les mouvements populaires avaient créé le FRAP et le RCM. Alors, que faire maintenant ?

Il y a quelques années, des gens bien intentionnés ont créé Projet Montréal. Ce n’était pas en continuité avec les expériences antérieures, mais au moins, ce parti proposait de mieux gouverner la ville secouée par les scandales. Des technocrates intelligents comme Richard Bergeron ont donné une impulsion à ce niveau. Cependant, le problème de Montréal, ce n’est pas un problème « technique ». Ce n’est pas une question qui peut être seulement réglée par de meilleures règles de fonctionnement et des analyses plus raffinées. Le problème de Montréal, c’est un problème politique où se confrontent des projets totalement différents, j’oserais dire des projets de classes. En refusant de porter le débat à ce niveau, Projet Montréal n’a pas fait lever un mouvement comme celui qui avait animé le FRAP et le RCM. En se disant « apolitiques », on finit par être cooptés par le jeu de ceux qui dominent réellement, très souvent de manière invisible. Maintenant que Bergeron a été coopté par Coderre et qu’il a délaissé Projet Montréal, peut-être que cela peut changer. On entend entre les branches que quelques dizaines de membres de ce parti sont en appétit pour revoir leur place dans la société. On leur souhaite bonne chance.

En attendant, il me semble urgent et nécessaire que les mouvements populaires et la gauche, dont QS est le point de rassemblement, se mettent à réfléchir à nouveau. Il ne s’agit pas de réinventer la roue et beaucoup de travail a déjà été fait, y compris à QS, également à travers des initiatives comme les cinq Sommets citoyens qui avaient réuni plusieurs centaines de personnes il y a quelques années. Une initiative intellectuelle et politique dans cette direction est celle lancée récemment par Jonathan Durand Folco et Thomas Deshaies (« Prenons la ville » !) et qui est de penser un nouveau projet politique au niveau municipal. La réflexion de Jonathan et de Thomas part entre autres de l’expérience de PODEMOS, un parti qui agit au niveau de toute l’Espagne, mais qui a eu récemment l’audace de susciter des coalitions progressistes qui ont connu des succès fulgurants à Barcelone, Madrid, Valence et plusieurs autres villes. Dans ce contexte, la capacité des progressistes de proposer des alternatives réelles sur la base d’une affirmation nette et claire à changer les règles de la gouvernance se déploie en parallèle et en complémentarité, tant à un niveau (national) que l’autre (local).

Il me semble donc que la piste est ouverte pour d’éventuels Montréal solidaire, Trois-Rivières solidaire, Rimouski solidaire et plein d’autres cités et patelins solidaires, dans une dynamique impulsée par les citoyens et les citoyennes, en lien (mais sans dépendance) avec les efforts de QS un peu partout dans notre province/pays-pas-encore-né.

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