Édition du 26 mars 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Notre 180ième

Les dominants et leur État veulent nous faire « célébrer 150 ans de subjugation. Ils font leur (sale) boulot et c’est presque normal. Mais nous, qu’est-ce qu’on fait ? Je pense que c’est une bonne occasion pour réfléchir sur notre histoire. Le point de départ doit être 1837.

Depuis plusieurs années, les deux rives du Saint-Laurent étaient en feu. À répétition, la population élisait des députés patriotes dans une assemblée législative confinée à « aviser » le gouverneur colonial. Louis-Joseph Papineau était un leader « naturel » qui reflétait bien la composition du leadership patriote majoritairement composé de notables et de personnes des professions libérales. Mais ce groupe relativement restreint était aussi massivement appuyé par la population paysanne et urbaine. Juste avant l’insurrection, les électeurs et électrices avaient envoyé à cette assemblée plus de 80% des élus.

Par ailleurs, la vague de fond en faveur des Patriotes n’était pas seulement électorale. Des assemblées de plusieurs milliers de personnes, des pétitions, la mise en place d’administrations « parallèles » dans de nombreux villages démontraient l’essor d’un pouvoir populaire embryonnaire. Sûr de sa force cependant, le régime colonial ne céda en rien, même pas aux timides revendications pour un « gouvernement responsable » qui aurait maintenu le Bas Canada dans l’empire britannique, mais sur la base d’un parlement élu. Entretemps, plus de 6 000 soldats britanniques étaient dans la colonie. Autrement, le régime encourageait l’organisation de « milices loyalistes », composées surtout d’anglophones, qui semaient la terreur, notamment à Montréal. Papineau par exemple échappa de peu à ces voyous. Face à ce blocage, l’idée d’insurrection est apparue. Le programme était carrément républicain, et dirait-on avec les mots d’aujourd’hui, laïc. C’est explicite dans la déclaration d’indépendance rédigée par le patriote d’origine irlandaise, Robert Nelson. Cela vaut la peine d’en rappeler les grandes lignes :

De ce jour et à l’avenir, le peuple du Bas-Canada est libre de toute allégeance à la Grande-Bretagne, et que le lien politique entre ce pouvoir et le Bas-Canada, est maintenant rompu.

 La forme républicaine de gouvernement est qui celle convient le mieux au Bas-Canada.

 Les sauvages jouiront des mêmes droits que tous les autres citoyens du Bas-Canada.

 L’union entre l’Église et l’État est dissoute. Toute personne pourra exercer librement sa religion.

 La tenure féodale ou seigneuriale des terres est abolie.

 L’emprisonnement pour dettes n’existera pas excepté dans certains cas de fraude.

 La condamnation à mort ne sera plus prononcée ni exécutée, excepté dans les cas de meurtre.

 La liberté et l’indépendance de la presse existera dans toutes les matières et affaires publiques.

 L’éducation générale et publique est due au peuple par le gouvernement.

 Pour assurer la franchise électorale, toutes les élections se feront au scrutin secret.

 Le peuple choisira des délégués qui formeront une convention pour formuler une constitution suivant les besoins du pays.

 Toutes les terres de la Couronne, les Réserves du Clergé, et aussi celles de « La Compagnie des Terres de l’Amérique britannique du Nord » sont de droit la propriété de l’État du Bas-Canada,

 Les langues française et anglaise seront en usage dans toutes les affaires publiques.

En comparaison avec les projets et les constitutions républicaines en usage de l’époque, le projet des Patriotes était très avancé, nonobstant l’exclusion des femmes du droit de vote. Il fut fortement combattu, non seulement par le régime colonial, mais par une faction des notables canadiens-français, surtout dans la région de Québec, qui craignaient le changement. L’autre grand ennemi du projet était évidemment l’Église catholique qui menaçait de l’enfer éternel ceux et celles qui participeraient au mouvement.

La défaite des Patriotes fut un coup très dur contre la population du Bas-Canada. Quelques décennies plus tard, l’esprit de rébellion ressortit au grand jour, avec les grandes manifestations anti-impérialistes et le massacre des Métis de Louis Riel. Il y aurait plusieurs leçons à comprendre si l’histoire était enseignée convenablement aux jeunes (elle ne l’est pas).

 Le projet d‘indépendance des Patriotes était intiment lié à celui de la république. Il fallait libérer les paysans et séparer l’Église de l’État pour construire une structure démocratique. Bref, on ne crée pas un nouveau pays dans le vide. L’émancipation nationale, cela va de pair avec l’émancipation sociale. Il n’y a pas de raccourci.

 Les anciens colons français étaient devenus des canadiens-français et ils étaient métissés, avec les populations autochtones d’une part, et avec les nouveaux arrivants arrivés sur le territoire au 19ième siècle, notamment les Irlandais. L’identité était en changement, elle n’est jamais déterminée une fois pour toute comme le prétendent les nationalistes de droite depuis Lionel Groulx.

 Les Patriotes ne voyaient pas les non-francophones comme des ennemis (un tiers environ des leaders patriotes étaient d’ascendance irlandaise). Ils pensaient s’allier au Haut-Canada (l’Ontario aujourd’hui) où existait un courant républicain significatif (certes moins fort qu’au Bas-Canada). Pour dire les choses autrement, le projet patriote n’était pas « ethnique », si on emploie les mots d’aujourd’hui.

Alors 180 ans plus tard, on continue…

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