Édition du 16 avril 2024

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Arts culture et société

Platon : Philèbe (Texte 53)

Ou Sur le plaisir ; genre éthique

Dans le livre Philèbe, Platon veut identifier la source principale du « souverain bien ». De quoi est faite la « vie heureuse » (11d) ?

Est-ce des plaisirs, de la jouissance (la thèse hédoniste) ou de la sagesse, de la réflexion (la thèse que nous qualifions « d’ascétisme socratique ») ? Il ne s’agit pas, dans ce dialogue, de définir le plaisir et l’intelligence, bien plutôt de trouver comment ces deux éléments interviennent — c’est-à-dire se relient, se complètent, s’opposent ou s’excluent — dans la définition de la « vie heureuse » ou du « souverain bien » ou encore du « mode de vie heureux ».

Chez Platon, le « souverain bien » est défini comme correspondant à un bien inconnu capable de répondre à tous nos besoins et de remplir toutes nos facultés ; il est par conséquent réputé autosuffisant, indépassable, perfection par nature et puissance causale. Le bien est également la finalité pour toutes choses, étant objet ultime du désir car il est bon. En résumé, le bien se caractérise par trois choses : il est parfait, autosuffisant et universellement désirable[1]. Est-ce alors un mode de vie axé autour de la recherche du plaisir et (ou) sur la pratique exclusive de la sagesse (de la réflexion) qui répondent positivement à ces trois critères ?

Ce livre nous met en présence de trois personnages : Socrate, Protarque et Philèbe. Il s’agit d’un dialogue rédigé durant la troisième période de Platon (la vieillesse), écrit juste avant les célèbres Lois, qui se compose de cinq grandes parties : premièrement, une classification par laquelle la vie « mélangée » ou « mixte » obtient priorité (11a-23b) ; deuxièmement, un autre exercice du genre donnant cette fois-ci la supériorité à l’intellect (ou à l’intelligence dans ce cas-ci) sur le plaisir (23b-31b) ; troisièmement, un processus analytique par lequel le plaisir est décortiqué (31b-55c) ; quatrièmement, cette analyse se porte ensuite sur la réflexion, en rapport avec l’intellect, les sciences et les techniques (55d-59d) ; et cinquièmement, une conclusion accordant le titre d’une « bonne vie » au mélange du plaisir et de la réflexion (59d-67b) (Platon, 2002, pp. 16-18).

1. La supériorité de la vie « mélangée »

Le récit s’amorce sur un échange toujours en cours entre Socrate et Philèbe au sujet de ce que doit être le but ultime de la vie. Si le second mentionne qu’il s’agit du plaisir (tout être humain recherche selon lui cet état), le premier défend plutôt la cause de la réflexion (à savoir la sagesse et l’intelligence) (11b). Philèbe, le jeune entêté, n’en démord pas, il maintient fixement et fermement son point de vue (12a) et renonce à converser avec Socrate, celui qui aux yeux de Platon est l’incarnation même de la sagesse et de l’amour de la vérité. Puisqu’il en est ainsi, Socrate poursuivra la discussion avec le modeste Protarque qui a l’esprit plus ouvert que Philèbe. Ces derniers s’engagent donc à ne pas abandonner la discussion, tant qu’il n’aura pas été démontré d’une manière satisfaisante, à partir d’un raisonnement irréfutable, si c’est le plaisir (« jouir ») ou, à l’opposé, la sagesse (« réfléchir » (11d)) qui est « la fin » à poursuivre durant notre existence. Protarque interviendra dans la discussion en défendant bien sûr la thèse de Philèbe — qui se met en retrait[2] (11c).

Cette première section se conclut autour de l’hypothèse de la supériorité de la vie mélangée, c’est-à-dire une existence à l’intérieur de laquelle se mélange le plaisir, l’intellect et la réflexion (22a). Pourquoi donc ? Justement parce que ni l’un ni l’autre seuls ne peuvent représenter le bien, soit une hypothèse développée plus tard qui n’empêchera point Socrate de continuer à défendre l’idée que « le bien » se trouve dans « l’intellect véritable et divin » (22c).

2. La supériorité de l’intellect sur le plaisir (de l’origine du plaisir et les quatre genres d’étants)

Socrate poursuit la discussion en avançant qu’il faut diviser « la totalité des choses qui existent actuellement dans l’univers » (23c), d’abord en « deux », ensuite en « trois » et finalement en quatre « espèces »[3], à savoir l’illimité, la limite, le mélange des deux premières espèces et enfin la cause créatrice (23c-d).

Les étants sont soit illimités, soit limités. En ce sens, le chaud et le froid, le grand et le petit, le rapide et le lent, le sec et l’humide sont des étants qui n’ont aucune limite précise ; se voulant alors inachevés et indéfinis. Pour le déterminer d’une manière plus appropriée, il faut introduire une échelle de mesure comprenant une unité et des nombres. Il faut également établir une certaine quantité qui permet de passer du chaud au froid, du rapide au lent, du petit au grand ou vice versa… Par conséquent, les nombres et les mesures correspondent à des étants qui introduisent certaines limites, voire une rupture dans le continu, sinon un changement qualitatif dans le quantitatif. En définitive, toutes les choses dans lesquelles nous retrouvons à la fois de l’illimité et du limité (voir à ce sujet les corps sensibles) correspondent au troisième type d’étant, tandis que la cause de ce mélange, qui produit le corps mixte, en constitue le quatrième type.

En considérant ces quatre éléments, où se situe donc le « plaisir » ? Quelle est sa place dans ce qui nous fait du bien et nous mène à la vie jugée comme étant « bonne » ? Quel est son rôle dans la recherche et l’atteinte d’une vie heureuse ? Voilà quelques interrogations qui seront par la suite approfondies par nos deux interlocuteurs. Mais dans l’immédiat, Socrate maintient toujours fermement sa position de la supériorité de la réflexion dans l’atteinte de la vie heureuse. Il postule que « l’intellect est le roi de notre ciel et de notre terre » (28c), c’est lui qui par conséquent ordonne et gouverne « toutes choses » (28d-e). Car au fond cet exercice de classification par les étants vise la persuasion : il laisse présager que le plaisir seul ne peut apporter le bien suprême, puisqu’il exige d’être dosé par l’intellect (ou l’intelligence), ramenant ainsi la distinction entre le corps et l’âme. Et si le corps a pu être formé grâce aux matériaux disponibles dans l’Univers, l’âme l’est tout autant en raison du fait que tout ce qui a été créé provient d’une cause commune. Puisque cette cause est responsable de l’âme, elle l’est aussi de l’intellect qui s’y retrouve, et ce, avant le plaisir.


3. L’analyse du plaisir

Comment se produit le plaisir ? En s’appuyant sur les connaissances médicales de son époque, Socrate épouse l’opinion voulant que le plaisir représente la restauration de l’équilibre du corps après une rupture responsable de l’apparition d’une souffrance (31c) (voir à ce sujet l’ouvrage Phédon, lorsque Socrate est libéré de ses fers par ses gardiens). La mémoire[4] et l’anticipation entrent en ligne de compte dans l’actualisation ou l’atteinte du plaisir. Chez Socrate, les sensations sont nécessairement des phénomènes conscients ; la mémoire représente le siège des sensations conscientes, tandis que la réminiscence désigne le rappel par l’âme de ce qu’elle a éprouvé précédemment. En complément, le désir, notamment la faim (ou la soif), s’explique par un vide pour le corps (34d-e) dont la satisfaction recherchée provient de la mémoire. Voilà pourquoi il faut l’intervention de l’âme, afin de justifier le désir, car un corps vide, en lui-même, ne désire rien.

Qui plus est, les plaisirs peuvent être soit bons, soit mauvais, voire même se tromper sur leur objet. Se pourrait-il alors qu’ils puissent être vrais ou faux (36e) ? À ce sujet, Protarque et Socrate vont évidemment soutenir deux points de vue opposés : le premier énonce qu’une erreur sur l’objet du plaisir ne survient pas en raison d’une fausseté, mais d’une opinion personnelle par rapport à l’objet, tandis que le second associe à l’opinion fausse ou erronée la possibilité d’une image fausse, comme dans un mirage, supposant donc que l’image, au même titre que l’opinion, peut être vraie ou fausse selon qu’elle corresponde ou non à ce qui est vu directement ou indirectement. À titre de comparaison, il en va de même pour ce qui relève de l’espoir, puisque sa nature « vraie » s’accompagne normalement de sa réalisation, tandis que l’espoir « faux » ne se réalisera jamais. Il existe, par conséquent, des espoirs qui portent sur des choses réelles et d’autres sur des choses illusoires, futiles ou chimériques.

Toujours en lien avec les plaisirs vrais ou faux, cette distinction s’avère nécessaire en raison du fait que l’intensité ressentie en matière de plaisirs et de douleurs augmente quand ils vont ensemble[5] (41d). Ainsi, le plaisir d’anticiper la nourriture augmente proportionnellement à la faim, et la faim à son tour augmente proportionnellement à l’anticipation du plaisir. Dans ce cas, la part de l’augmentation attribuable à l’imagination est considérée comme un faux plaisir ou, à l’opposé, à une fausse douleur, à savoir une circonstance qui s’ajoute bien entendu au vrai plaisir et à la vraie douleur exprimant l’état du corps.

Le plaisir ne peut pas être défini comme un état assimilable à une absence ou à une « disparition de douleurs » (44c), ce qui signifie que la thèse du mobilisme permanent (tout change, tout bouge, rien n’est immuable ou constant) impose une autre définition rendant compte du caractère dynamique de l’état d’une personne. En ce sens, le corps est perçu comme agité par différents processus composés de douleurs ou de plaisirs (44b). Mais le plaisir n’est jamais un état neutre ; en effet, les personnes qui s’imaginent éprouver du plaisir en l’absence de la douleur errent plutôt, car leur plaisir en est un faux qui résulte d’un état neutre. À l’inverse, les « vrais plaisirs » (44d) sont ceux qui ne sont pas accompagnés de la douleur et ne répondent à aucune souffrance par le rétablissement d’un équilibre rompu. Ces plaisirs peuvent aussi être associés à la beauté des images, des sons, des parfums, voire même de la connaissance. Leur absence toutefois n’ajoute rien à l’humaine condition. C’est par analogie avec la blancheur (53a) que Socrate affirme que le blanc est plus vrai qu’une couleur mélangée, insinuant donc qu’un plaisir vrai se manifeste seulement s’il n’est mélangé à rien d’autre. Se dégage ici l’intuition que le « vrai plaisir » en est un pur ; autrement dit, là où il y a réplétion sans souffrance au départ.

Si la vie heureuse en est une dite mixte, de quelle mixité s’agit-il ? Jusqu’à quel point le plaisir s’identifie-t-il au plus grand bien pour une personne ? Disons qu’à partir du moment où il est reconnu et admis que le plaisir n’est ni la réplétion ni le retour à l’équilibre, bien plutôt le processus de réponse à la douleur, c’est-à-dire le fait de manger ou de boire et non l’absence de faim ou de soif, il faut alors le concevoir non pas comme un état mais un devenir (genesis). Le plaisir est une venue à l’être et ne doit pas être confondu avec le bien ; il représente l’une des fins qui mène à celle ultime. De plus, il existe plusieurs choses reconnues comme étant bonnes (par exemple, le courage, l’intelligence et les vertus en général) qui ne constituent pas pour autant des plaisirs. De là, l’argument voulant que le plaisir ne coïncide pas avec le bien. Si tel est le cas pour celui-ci, qu’en est-il maintenant de l’intelligence et de la science ? Ont-elles davantage de capacité d’autosuffisance et de vérité pour s’identifier, jusqu’à se confondre, au bien ?

4. L’analyse de la réflexion (l’intellect, les sciences et les techniques)

Platon commence par établir, à travers Socrate, des distinctions dans toutes les techniques impliquant une connaissance entre les données sensibles et la mesure exacte (le calcul). Après donc avoir distingué les arts mécaniques, l’éducation et la culture, puis établi dans chacun d’eux des subdivisions entre les arts du calcul, de la mesure, du poids, de la musique, de la médecine, de l’agriculture et de l’art militaire notamment, pour juger que les sciences précises, comme l’architecture, sont peut-être supérieures pour leur justesse mais ont tendance à se cloîtrer dans le monde physique, au final la science la plus vraie demeure la dialectique (57e). Pourquoi ? Parce qu’aucune science appliquée au devenir ne peut atteindre un degré de vérité comparable, parce que « sur des choses qui n’ont aucune consistance, comment pourrait-il naître en nous quoi que ce soit de ferme ? » (59b). Sur cette base, le débat se dirige désormais vers sa conclusion.

5. Le mélange de la réflexion et du plaisir (la vie « bonne »)

Cela dit, le plus grand bien est défini comme un achèvement, comme quelque chose qui ne manque de rien. Il faut désormais vérifier si la vie mixte (le plaisir + l’intelligence) présente les caractéristiques les plus achevées à la vie bonne. Socrate et Protarque se sont mis d’accord sur le fait que les sciences (et les arts) sont toutes nécessaires à celle-ci. Pour ce qui est des plaisirs, par contre, il semble possible de se contenter des plaisirs sans mélange et de ceux mélangés mais nécessaires (en songeant à la santé). Reste à savoir maintenant dans quelle proportion ce mélange permet d’atteindre le plus efficacement le « bien en soi ».

Il sera convenu que c’est de la qualité du mélange, de la proportion des ingrédients, de la mesure de toutes choses, qu’il est possible d’accéder au « bien en soi ». Si la beauté et la vérité s’intègrent à des ingrédients qui y contribuent le plus, l’intelligence pour sa part contient plus de mesure, de beauté et de vérité que le plaisir. De là apparaît un classement établi par ordre d’importance ou de valeur pour les cinq composantes incontournables au mélange authentique du mode de vie heureux, c’est-à-dire, en première place, le bien en soi (65a) ; en second, la beauté, la proportion (la mesure) et la vérité nécessaires pour l’atteinte du bien (65a-b) ; en troisième, l’intellect et la réflexion (66b) ; en quatrième, les autres sciences et techniques, les arts et les opinions droites (66b-c) ; et finalement, en cinquième et fin de parcours, les « plaisirs purs » (66c).

En bref, les plaisirs doivent être réglés sur l’intelligence en fonction de valeurs supérieures, telles que la beauté et la vérité. Cette conclusion représente évidemment le résultat d’un compromis entre deux thèses ou prises de position bien nettes. On aura remarqué que la thèse de Socrate l’emporte au final, en raison d’un argumentaire insérant successivement des éléments de celle-ci tout au long du débat et surtout dans la mise en forme d’une définition du mélange ou de la mixture.

La méthode suivie par Platon dans Philèbe

Philèbe vise pour l’essentiel à répondre à la double interrogation suivante : de quoi précisément est faite la vie heureuse ? De plaisir (la jouissance) ou d’intelligence (la réflexion) ? La méthode à suivre, pour déterminer si c’est le plaisir ou la sagesse qui est la source du souverain bien, consiste à étudier leur nature distinctive. Il est établi que tout en étant un, le plaisir et la science comportent plusieurs espèces ; les deux étant par conséquent un et multiple. Chez Platon, la nature a unifié le fini et l’infini : au départ, il y a dans chaque chose une idée, c’est-à-dire le genre ; ensuite, s’ajoute le compte des espèces qu’on retrouve dans le genre avant d’arriver finalement aux individus dans leur infinité. En bref, la méthode suivie par Platon a pour nom la méthode analytique ; elle part de l’Idée pour se rendre jusqu’aux individus, par opposition à la méthode synthétique qui elle part des individus pour remonter jusqu’aux Idées.

Mais l’opposition entre les deux points de vue (plaisir versus réflexion) est rapidement infirmée en raison du fait que l’intelligence est également source du plaisir. Plus fondamentalement encore, le plus grand bien se confond avec ce qui est complet (c’est-à-dire ce qui est parfait, autosuffisant et universellement désirable). Nous pouvons alors nous demander ce que serait le plaisir sans la réflexion : d’ailleurs, est-ce cette dernière qui permet de constater que nous sommes en présence du plaisir ? En effet, la réflexion ou l’opinion vraie favorise l’identification du plaisir ou du moins aide à discerner sa présence, signifiant donc que la bonne vie — ou le mode de vie heureux — ne peut en être qu’une à l’intérieur d’un mélange d’intellect et de plaisirs.


Conclusion

Dans le Philèbe, nous apprenons que le bien n’est pas réductible au seul plaisir et il en va de même pour l’intellect. Ce constat nous pousse alors vers cette hypothèse selon laquelle le bien ou la vie bonne serait plutôt le résultat d’un mélange des deux. D’ailleurs, Platon tente une démonstration en renouant avec sa cosmologie dont quelques attributs peuvent être utilisés ici, précisément en rappelant les quatre éléments fondamentaux présentés dans le texte et possibles de retrouver au sein de l’Univers, c’est-à-dire : l’infini (ou l’indéterminé), le fini (le déterminé), le mélange de l’un et de l’autre, et finalement la cause créatrice du tout. La cause dans le Philèbe se résume dans l’Idée du bien qui est source de perfection. Par un jeu de déduction, l’intelligence devient ensuite un facteur surpassant le plaisir lorsqu’il est question d’atteindre la vie bonne ou la vie heureuse ; car c’est elle qui dirige le monde, étant inséparable de l’âme. De son côté, le plaisir, du genre infini et sans limite, lui est subordonné en raison du fait qu’il peut donner lieu à des dérapages importants.

Par ailleurs, Platon approfondit aussi la thèse brièvement énoncée dans Phédon au sujet du couple plaisir/douleur qui relève, chez les êtres animés, du genre mixte et a été formé de l’union du fini et de l’infini. C’est au moment où l’harmonie est détruite que surgit la douleur, mais lorsque rétablie, cette dernière cède la place au plaisir, en songeant à l’exemple donné par Platon sur la faim (un état de vide) comprise tel un état douloureux, tandis que le manger produit la réplétion (remplir un organe) et du plaisir. Cela dit, le plaisir et la douleur de l’âme sont imputables à la mémoire et à la sensation ressentie par les affections que le corps éprouve par moment. Par contre, il faut savoir distinguer la réminiscence (l’acte volontaire de l’âme) et la mémoire (qui s’explique par le désir) ; si la première permet de se gouverner soi-même, la seconde associe plaisirs et peines au désir qui interpelle la réminiscence et la vie morale. De là se justifient aussi des questionnements sur la valeur « vraie » ou « fausse » du plaisir, tout dépendant s’il provient de ressentis réellement vécus ou d’illusions. D’où pourquoi une vie de plaisir a besoin de réflexion, d’autant plus que sans intellection elle n’est nullement désirable.

Selon Platon, le corps est réputé être habité provisoirement par une âme qui n’occupe pas nécessairement toujours le poste de commande en raison des désirs. Un travail quotidien d’équilibre s’impose donc à toute personne à qui revient le devoir de réflexion.

Si l’opinion droite est conforme à la réalité, le raisonnement vrai en diffère cependant, puisque celui-ci consiste à réfléchir en étant à la recherche d’une justification. À l’aide de raisonnements, le philosophe peut ainsi se remettre en question et changer d’avis, soit une position refusée par Philèbe qui a préféré se cloîtrer dans sa thèse dogmatique (ce qui est bon pour tous les êtres humains reste bon peu importe et ne peut être changé), empêchant de ce fait toute discussion, figeant sa pensée, négligeant un apprentissage sinon une évolution pour son âme.

Socrate finit par adhérer à la thèse selon laquelle la vie heureuse ou le bien serait le résultat d’un mélange mixte : le plaisir et la réflexion. Ce qui permet d’apprécier un mélange ou le caractère d’une personne, ce sont la mesure et la proportion. Si le caractère d’une personne résulte de traits stables et s’exprime par la manière d’intervenir dans la discussion, l’action et la justification de ses actions, son caractère se présente plutôt comme un équilibre entre les différentes vertus attribuées à l’âme (la sagesse, le courage, la tempérance et la justice) dues à l’effort personnel et à l’éducation. Ce raisonnement, qui s’applique à l’individu, vaut mutatis mutandis à la société. Une bonne société l’est aussi politiquement dans la mesure où elle contribue à soigner, à guérir et à soulager certains maux qu’on observe chez ses membres. À l’instar du médecin, le politique peut agir à titre de « soigneur du troupeau bipède » (Goldschmidt, 1971, p. 242). Au final, l’atteinte de la vie bonne ou du bonheur en société implique nécessairement et par conséquent un mélange de politique et d’éthique.

Yvan Perrier

Guylain Bernier

Références

Dixsaut, Monique. 1998. « Platon ». Dans Dictionnaire des philosophes. Paris : Encyclopaedia Universalis/Albin Michel.

Goldschmidt, Victor. 1971. Les dialogues de Platon : Structure, et méthode dialectique. Paris : Presses universitaires de France, p. 235-256.

Platon. 2002. Philèbe. Traduction et présentation par Jean-François Pradeau. Paris : GF Flammarion, 343 p.

Platon. 2020. « Philèbe ou Sur le plaisir ». Luc Brisson (Dir.), Platon oeuvres complètes. Paris : Flammarion, p. 1299-1365.

[1] Goldschmidt (1971, p. 239) mentionne les trois critères suivants : « 1) parfait, 2) suffisant, 3) universellement éligible ».

[2] Protarque dira en effet : « […] Philèbe nous fait défaut » (11c). Voilà ce qui explique pourquoi il restera sur sa position.

[3] Ou « genres » (23c-d).

[4] Socrate définit la mémoire comme suit : « sauvegarde de la sensation » (34c).

[5] Selon Socrate : « […] les douleurs et les plaisirs existent simultanément, et les sensations qu’on en a sont simultanées et opposées […]. […] Que tous deux, la douleur et le plaisir, admettent le plus et le moins, et qu’ils comptent parmi les illimités. » (41d)

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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