Édition du 23 avril 2024

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Québec

Québec, ville carte postale

Le tourisme représente comme on sait une source importante de revenus pour la Ville de Québec. On vante dans les dépliants et sur internet ses « charmes », les distractions qu’elle offre et son côté « Nouvelle-France », bref sa dimension historique. Les édiles municipaux et les publicitaires prétendent qu’elle allie l’ancien et le moderne.

La classe politique municipale et ses alliés provinciaux cultivent cette image flatteuse. Mais correspond-elle à la réalité ? Et à quel prix social et architectural fut atteinte la « modernisation » de la Colline parlementaire, par exemple ?

Une chose me frappait toujours lorsque je revenais visiter ma ville natale durant les années 1980 et 1990 dans un autocar Voyageur : en approchant du pont Pierre-Laporte sur l’autoroute 20, j’apercevais de loin la silhouette isolée du Complexe G (appelé officiellement « l’édifice Marie-Guyart ») qui se dressait comme un doigt d’honneur à l’égard des arrivants.

Québec est une ville pleine de complexes : non seulement le Complexe G, mais aussi en vrac le Complexe du Parlement, le Complexe sportif de Rochebelle, le Complexe Jean-Paul Nolin, le Complexe les trois Glaces et le Complexe sportif Desjardins de Wendake. Il se peut que d’autres aient échappé à mon examen.

Le réaménagement brutal de la Colline parlementaire durant les années 1960 et 1970, sous l’impulsion du gouvernement libéral de Jean Lesage et du maire d’origine montréalaise Gilles Lamontagne a complètement modifié le visage de la haute ville, et ce à un coût social énorme. Plutôt que de modernisation, il faudrait plutôt parler de défiguration. Le maire Lamontagne aussi a imposé sa conception de l’urbanisme municipal avec la collaboration empressée de son conseil et des capitalistes régionaux, qui ont flairé là la bonne odeur de multiples contrats de construction. Le gouvernement provincial a pris une part majeure de responsabilité dans l’édification de tous ces édifices gouvernementaux, qui sont en fait des entrepôts à fonctionnaires. On a transformé le modeste et charmant boulevard Saint-Cyrille, en autoroute, rebaptisée en 1992 le boulevard René-Lévesque. Les successeurs de Lamontagne ont continué dans cette voie, malgré l’opposition croissante de groupes de citoyens et de citoyennes, en particulier d’organismes communautaires voués à la défense du droit au logement et à la protection du patrimoine bâti.

On a entamé le charcutage de la haute-ville par la démolition accélérée d’un vaste stock de logements convenables à prix abordable pour construire les édifices gouvernementaux, en plus d’édifices culturels comme le Grand Théâtre ; on a finalement remplacé les maisons démolies par le parc de l’Amérique française, qui sépare le Grand Théâtre à l’ouest des édifices gouvernementaux à l’est. L’autororoute René-Lévesque traverse la Colline parlementaire en séparant le côté sud (vers la Grande-Allée) de la partie nord qui mène à la rue Saint-Jean en contrebas.

D’un quartier fonctionnel, caractérisé par une certaine mixité sociale, on a fait une caricature de développement urbain qui tient du grand vide. Les côtés nord et sud du boulevard communiquent difficilement. Les principales victimes de cette vaste opération qui touchait à la mégalomanie (c’était l’époque de la Révolution tranquille, ne l’oublions pas) furent les multiples locataires au sud de ce qui était encore appelé le boulevard Saint-Cyrille, et aussi des ensembles architecturaux, comme le Couvent des Soeurs du Bon-Pasteur dont les derniers bâtiments disparurent sous le pic des démolisseurs en 1974. Il n’en subsiste plus maintenant qu’une petite partie (transformée en coops d’habitation), sauvée par des militants et militantes de groupes communautaires qui les occupaient depuis plusieurs semaines pour en empêcher la destruction, lorsque le Parti québécois est arrivé au pouvoir en novembre 1976. Le nouveau gouvernement Lévesque a alors décidé de préserver ces derniers édifices patrimoniaux,vestiges de l’ensemble religieux du Couvent des soeurs. Ils furent sauvés, si l’on peut dire à la dernière minute, par la cloche péquiste. Ils sont encerclés par les mastodontes gouvernementaux sans âme.

Les édifices à logement démolis de 1963 à 1975 environ n’étaient pas des antiquités remontant aux régimes français et anglais, mais ils se caractérisaient par un style architectural assez joli et dans certains cas, somptueux. Ils avaient été construits pour la plupart entre grosso modo, 1890 et 1940. Au sud de Saint-Cyrille (aujourd’hui René-Lévesque), direction Grande-Allée, on les a rasés pour les remplacer par les complexes gouvernementaux. À l’ouest de la rue Claire-Fontaine, c’est le Grand Théâtre qui les a fait disparaître. Au nord, sur la pente, vers la rue Saint-Jean, le type d’édifices à logements qui subsiste fournit une idée assez fidèle de ce qu’était autrefois le quartier qui en formait comme le prolongement au sud de René-Lévesque (ou l’inverse). Tout ce quartier regroupait diverses catégories de locataires (petits fonctionnaires et employés subalternes, commerçants et quelques ouvriers spécialisés), plus certains proprios assez cossus (surtout près de la Grande-Allée). La différence entre les deux zones (nord et sud) est aujourd’hui flagrante et affligeante : la première zone (au nord) demeure vouée au logement et la seconde (au sud) est occupée désormais par de gigantesques édifices gouvernementaux et culturels, avec au milieu ce vide qu’on a prétentieusement nommé : « le parc de l’Amérique française ».

Le cerise sur le sundae : la récente démolition de l’église Saint-Coeur-de-Marie, à l’intersection de la rue de l’Amérique française et de la Grande-Allée, un joyau néo-byzantin vieux d’un siècle, sous prétexte de décrépitude avancée et de fermeture (depuis 1997). On aurait peut-être pu transformer cette ancienne église en centre culturel ou historique. Ce n’est pas le seul cas du genre à Québec.

Du côté de Place d’Youville, les choses ne se présentent pas sous un jour plus favorable : encore là, d’énormes édifices commerciaux la flanquent du côté ouest, non loin de l’aboutissement de l’autoroute René-Lévesque.

Tout ceci sans même mentionner la transformation du Vieux-Québec (aux alentours du port) en ce que d’aucuns qualifiaient déjà dans la décennie 1970 de « Disneyland historique » ; en effet, certaine vieilles habitations ont changé de vocation au fil des ans pour devenir des discothèques et des restaurants à la mode, afin d’attirer les touristes bien entendu.

La plupart des édiles municipaux de Québec vantent le « cachet historique » de la ville, mais ils et elles en entretiennent plutôt une notion carte postale. Ils n’hésitent pas à sacrifier des joyaux architecturaux au nom de la « modarnité », ce qui dénote de leur part une mentalité rustaude.

En tentant de singer Montréal, Québec vieillit ridiculement mal. Les deux villes diffèrent profondément, tant en nombre de population (la métropole sur ce plan est beaucoup plus imposante que la Vieille Capitale) que par la trame urbaine. Elles ont été fondées sur des principes et à des endroits très différents l’un de l’autre, elles ont évolué différemment et elles ne remplissent pas les mêmes fonctions. Elles n’ont pas non plus une histoire similaire.

Un point commun les relie toutefois : le creusement des inégalités sociales qui se traduit dans les deux cas par la « condoïsation » d’anciens quartiers ouvriers. Les quartiers de Saint-Roch et Saint-Sauveur (lequel a vu naître le romancier Roger Lemelin) dans la basse-ville Québec ont vu eux aussi leurs usines fermer et transformées en condos.

Il y aurait certainement eu moyen d’adapter l’évolution urbaine de Québec aux nécessités de la vie moderne de façon beaucoup plus harmonieuse et respectueuse de son véritable cachet patrimonial. Ce qui aurait sûrement été trop demander au gouvernement Lesage et à l’administration municipale de Gilles Lamontagne.

Sans vouloir me montrer trop désobligeant, Québec ressemble à la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf...

Jean-François Delisle

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