Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Blogues

Le blogue de Pierre Beaudet du 28 août

Qui sème le vent …

Les leaders du PQ et leur cercle rapproché ne sont pas de bonne humeur car aujourd’hui, à moins d’un virage imprévisible, il y aura un gouvernement minoritaire le 4 septembre. Ce sera un véritable cauchemar, mais aussi toute une humiliation, compte tenu que le PQ pensait voguer facilement vers le pouvoir en face du gouvernement le plus impopulaire de l’histoire du Québec.

Sur le plan social comme sur la question nationale, un gouvernement péquiste minoritaire sera confronté à une CAQ agressive et prête à tous les coups, comme un requin autour d’un nageur blessé. Legault et ses acolytes vont jouer dur pour précipiter le chaos dont ils ont besoin pour se présenter comme les sauveurs autoritaires.

Le gouvernement péquiste pourrait, en principe, s’appuyer sur la gauche (QS) et les mouvements sociaux, mais cela irait à l’encontre du point de vue « lucide » qui domine le parti depuis si longtemps. En tout cas pour le moment, Gilles Duceppe, Jean-François Lisée et d’autres ont décidé de lancer une campagne de salissage contre QS, l’identifiant comme le gros méchant responsable de l’impasse. On peut se demander si c’est seulement une tactique, surtout pour l’ancien chef du Bloc qui voudrait bien prendre la tête du PQ éventuellement. Cela peut aussi révéler le désarroi d’une certaine classe politique péquiste qui est arrivée au bout de son rouleau.

Le PQ a créé lui-même cette situation consternante. Il faut remonter aux lendemains du référendum perdu de 1980, alors que René Lévesque avait adopté en même temps que la stratégie du « beau risque » (trouver un compromis avec l’État fédéral) la ligne dure néolibérale contre le mouvement populaire. Cette inflexion vers la droite a été accentuée par Pierre-Marc Johnson (qui avait succédé à Lévesque). Johnson était un des nombreux conservateurs recyclés dans le péquisme des années 1970, mais il était resté profondément ancré dans la même vision du nationalisme frileux de ses traditions (1). Avec lui, le projet d’émancipation nationale et sociale, héritier de la révolution pas-si-tranquille, était remis à la semaine des quatre jeudis.

À la fin de la décennie 1990 jusqu’au deuxième référendum, le PQ a connu cependant un rebond sous l’impulsion de Jacques Parizeau. Pur produit des années héroïques, Parizeau qui n’était pas à gauche avait au moins le courage de ses convictions indépendantistes et il savait que pour y arriver, il fallait travailler avec et non contre le mouvement populaire (notamment les syndicats). Mais ce fut l’échec que l’on sait. Certes, on peut dire que la coalition des dominants et de l’État fédéral fut l’architecte de cette défaite crève-cœur.

Immédiatement après le départ de Parizeau, le PQ a été repris en mains par le conservateur Lucien Bouchard. Les éléments plutôt réformistes, y compris Pauline Marois, ont encaissé tous les reniements, aussi bien sur les questions sociales que sur les questions nationales. Après le départ de Lulu (2), la même politique s’est imposée avec Bernard Landry, le champion québécois du libre-échange. Lors de la dernière administration du PQ jusqu’à 2003, les politiques néolibérales se sont imposées bien que Marois notamment a tenté de les humaniser tout en réalisant quelques bons coups comme la création des CPE.

Dans l’opposition, le PQ a subi une autre humiliation avec la loufoque ascension d’André Boisclair, un aventurier sans foi ni loi. Boisclair faisait partie des « politiciens professionnels » embauchés par la direction du PQ pour se « rajeunir », mais qui en fait n’avaient ni la conviction ni surtout le courage des fondateurs (3). Au fil des années, le PQ a constaté l’érosion de son membership et de sa direction originale, au profit d’avocassiers, de lobbyistes et de maniganceux patentés quelque fois issus de mouvements sociaux embarqués dans l’idéologie de la « concertation » et du « partenariat » et qui voyaient le PQ comme un véhicule adéquat pour leur ascension sociale. Ce groupe encore occupe un poids important dans l’appareil et le cercle rapproché du PQ.

Malheureusement pour le parti, les « experts » tournent en rond. Aucun travail sérieux de renouvellement de la pensée et de la stratégie n’a été effectué malgré les propositions dans ce sens de quelques députés réformistes (la plupart ont démissionné). Parmi les incapacités du PQ de sortir de la boîte, notons entre autres le refus de proposer une véritable réforme du système politique pourri qu’on endure au Québec. Il est vraiment malhonnête de la part de Marc Laviolette de blâmer QS de nuire au PQ alors que des transformations dans le système (qui auraient évité les tensions actuelles) étaient à portée de la main du PQ lorsqu’il était au pouvoir. L’arrogance du PQ et sa prétention à monopoliser la lutte nationale ont été de pitoyables erreurs dont le coût sera élevé.

Face à l’élection de 2012, le choix des stratèges du PQ a été de minimiser le message, en misant sur une seule chose, soit l’impopularité du PLQ (le Bloc a fait cela lors de la dernière élection fédérale, avec le résultat que l’on connaît). Cette approche s’est révélée problématique. Pauline Marois a été souvent obligée de dire une chose et son contraire, notamment sur la question nationale. Une partie importante de sa base, désarçonnée par tout cela lui dit pourtant, « c’est pour cela que vous existez ! ». Sur les questions sociales, c’est le même ballet d’hésitations et de voltes-faces, en contradiction avec les attentes des gens, mais en conformité avec la décision des stratèges. Gilles Duceppe a encore contredit Pauline en affirmant que le PQ ne devait être « ni de gauche ni de droite ». En désincarnant la question nationale, cette stratégie est perdante car un pays sans projet n’a pas de sens.

On va donc surveiller les jours qui s’en viennent. Il serait surprenant que le PQ sorte réellement revigoré de la campagne actuelle. Certes, le PQ pourrait gagner les élections simplement sur la base du rejet de Charest (et de la CAQ), c’est d’ailleurs le seul message qui est martelé cette semaine. À plus long terme, il est probable que la lente descente d’un parti qui a déjà porté un grand projet ne pourra pas être éternellement contournée par des « spins » et des « formules ».

Notes

1Ȁ Aujourd’hui P.M. Johnson est mandaté par Charest pour « négocier » l’accord de libre-échange avec l’Union européenne, un autre projet qui va enfoncer le Québec dans la prison néolibérale.

2Ȁ Pour ceux et celles qui ne le sauraient pas, Lulu depuis son départ de la politique active est revenu à ses anciennes amours comme avocat patronal mandaté pour briser des syndicats. Récemment, il est devenu le représentant des entreprises minières et pétrolières qui veulent imposer le forage du gaz de schiste sur la rive-sud de Montréal.

3Ȁ Boisclair est également un lobbyiste pour les firmes pétrolières.

Sur le même thème : Blogues

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...