Édition du 16 avril 2024

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Québec

Regards sur la CAQ — Fiche technique de l’IRIS

Tarifs d’Hydro-Québec : les client·e·s recevront-ils un cadeau ?

En juin dernier, le gouvernement caquiste a déposé le projet de loi 34 inti-tulé Loi visant à simplifier le processus d’établissement des tarifs de distri-bution d’électricité (1). Ce projet comporte trois modalités importantes.

Tiré du site de l’IRIS.

1. modifier le processus servant à fixer les tarifs d’Hydro-Québec en faisant passer l’examen des demandes d’une fois par année à une fois aux cinq ans ;

2. fixer l’augmentation des tarifs d’électricité au niveau de l’inflation pour les cinq prochaines années, ce qui représente selon Hydro-Québec une économie « de près de 1 G$ pour la clientèle (2) » ; et

3. remettre 500 M$ directement aux clients de Hydro-Québec en 2020, une somme constituée du solde actuel des comptes d’écart dû aux clients.

Selon le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonathan Julien, ce programme permettra une plus grande prévisibilité des tarifs d’Hydro-Québec sans nuire aux consommateurs. Pour soutenir cette affirmation, le ministre souligne que les hausses tarifaires annuelles d’Hydro-Québec ont été à peu près équivalentes à l’inflation en moyenne au cours des derniers 15 à 40 ans (3).

La présente fiche socioéconomique sert à vérifier le bien-fondé de ces affirmations et à évaluer si le projet de loi proposé sera à l’avantage des consommateurs et consommatrices.

Faits saillants

14 Les 500 M$ qui seront redistribués en 2020 selon les modalités du projet de loi 34 (PL 34) ne sont ni un cadeau ni un rabais offert aux consom-mateurs, mais plutôt de l’argent qui est dû à ses clients par Hydro-Québec et qui leur aurait été remis de toute façon.

16 Au cours des dernières années, la Régie de l’énergie a considérablement limité les hausses de tarifs réclamées par Hydro-Québec.

18 La prétention voulant que le gel tarifaire de 2020 produise des économies additionnelles de 1 G$ au cours des quatre années suivantes ne repose sur aucune démonstration valide. Au contraire, tout indique que les hausses tarifaires seraient plus faibles si la Régie de l’énergie continuait de déterminer les tarifs plutôt que d’augmenter les tarifs en fonction de l’inflation comme le propose le gouvernement.

Mise en contexte

01 La Régie de l’énergie en bref01 La Régie de l’énergie est un tribunal administratif de régulation économique dont le rôle est de surveiller le secteur énergétique. Elle a notamment le mandat de fixer annuellement les tarifs et les conditions de services de vente d’électricité d’Hydro-Québec à la clientèle québécoise.

02 Seules les activités de transport et de distribution d’Hydro-Québec sont soumises à la Loi sur la Régie de l’énergie (LRÉ). Lorsque la Régie fixe les tarifs d’électricité dans le cadre d’une cause tarifaire, elle détermine les coûts de distribution et de transport de l’électricité, mais n’a pas d’autorité sur les coûts d’approvisionnement (Hydro-Québec Production). De 2007 à 2019, les coûts d’approvisionnement ont représenté de 44,6 à 52,6 % de la facture des clients d’Hydro-Québec.

03 Lors d’une cause tarifaire, Hydro-Québec Distribution présente les montants qu’elle juge nécessaires pour la livraison d’électricité à sa clientèle (les reve-nus requis) et les tarifs qui en découlent4. La Régie examine cette demande afin de s’assurer que les dépenses et revenus prévus sont justifiés et qu’il en résulte des tarifs justes et raisonnables. La Régie effectue ensuite une répar-tition tarifaire des revenus requis de sorte que les différentes catégories de clients assument une part relativement équitable des coûts d’Hydro-Québec.

04 Le graphique 1 montre que, depuis 2007, les hausses de tarifs accordées par la Régie ont toujours été inférieures ou égales à celles demandées par Hydro-Québec Distribution. Cumulativement, si l’ensemble des demandes tarifaires du distributeur avaient été acceptées depuis 2007, les tarifs d’élec-tricité auraient augmenté de 32,8 %, alors que la Régie a accordé une hausse cumulative de 19,1 %.

Qu’est-ce qu’un trop-perçu ?

05 Les tarifs d’électricité sont fixés sur une base prévisionnelle pour l’année tarifaire qui vient.

06 Dans une cause tarifaire, Hydro-Québec Distribution présente ses prévisions de ventes pour l’année à venir (volumes d’électricité à fournir) et ses revenus requis (coûts des approvisionnements, coûts de transport et coûts de distribution). On compare ensuite les revenus requis, par exemple 12,1 G$, avec les revenus qui seraient générés aux tarifs actuels par les volumes de ventes prévus, par exemple 12 G$. Dans cet exemple, les tarifs actuels généreraient des revenus inférieurs aux revenus requis de la prochaine année par une marge de 100 M$. Les tarifs devraient donc être augmentés de 0,8 % en moyenne pour que les volumes de ventes prévus génèrent les revenus requis pour la prochaine année tarifaire (100 M$/12 G$ = 0,8 %).

07 Si, au cours de l’année tarifaire, les revenus réels sont plus élevés ou les dépenses réelles sont plus faibles que les chiffres prévus, il est possible que les bénéfices d’Hydro-Québec soient supérieurs à ce qui était jugé raisonnable et, donc, que le rendement réel soit plus élevé que le rendement autorisé. C’est ce qui s’appelle un trop-perçu.

08 À l’inverse, il y a un manque à gagner si les revenus réels sont plus faibles et/ou les dépenses réelles plus élevées que les prévisions et qu’il en résulte un rendement réel inférieur au rendement autorisé5.

09 Jusqu’à tout récemment, le cadre réglementaire applicable à Hydro-Québec ne comportait aucun mécanisme de traitement des écarts de rendement. Depuis 2018, la Régie de l’énergie prévoit que les écarts de rendement favorables au Distributeur (trop-perçus) soient remis aux clients et que les écarts de rendement défavorables (manques à gagner) soient récupérés auprès des clients par un ajustement des tarifs d’une année subséquente.

10 Toutefois, entre 2005 et 2017, les tarifs des clients d’Hydro-Québec ont généré un rendement plus élevé que celui autorisé par la Régie de l’énergie. La vérificatrice générale estime que, pour ces années, les trop-perçus ont atteint 1,5 G$ cumulativement, dont environ 1,1 G$ a été encaissé par le gouvernement du Québec à titre de dividendes versés à l’actionnaire6.

Impacts anticipés du projet de loi 34

11 C’est approximativement ce montant (1,5 G$) que le gouvernement caquiste prétend rembourser aux Québécois·es en vertu des dispositions du projet de loi 34. Voyons ce qu’il en est.

La remise de 500 M$ n’est ni un cadeau ni un rabais

12 La remise de 500 M$ qui est annoncée proviendra en réalité du solde cumulé des comptes d’écart et de report (CÉR), tel que le compte d’écart pour aléas climatiques par exemple. Ces comptes d’écart servent à neutraliser les écarts de certains postes de dépenses et de revenus par rapport aux prévisions utilisées lors de la fixation des tarifs.

13 Le solde créditeur des CÉR est constitué de sommes qui appartiennent aux clients d’Hydro-Québec et qui leur auraient été remises de toute façon, selon les modalités en vigueur, sur un horizon de trois à cinq ans plutôt qu’en un seul versement.

14 Ce crédit de 500 M$ n’est donc ni un cadeau ni un rabais. Le fait d’assimiler ce montant de 500 M$ au remboursement d’une partie des trop-perçus des années antérieures est une affirmation trompeuse.

Des économies additionnelles de 1 G$ ?

15 S’appuyant sur un scénario prévisionnel d’Hydro-Québec (présenté au graphique 2), le gouvernement prétend que le gel tarifaire proposé en 2020, suivi d’une augmentation des tarifs équivalente à l’inflation (1,7 %) pour les quatre années suivantes, se traduira en économies additionnelles de 1 G$ pour les clients d’Hydro-Québec par rapport aux résultats « attendus » de la fixation des tarifs par la Régie.

16 S’il est vrai que la hausse annuelle moyenne des tarifs a été à peu près équivalente à l’inflation pendant les 17 années où la fixation des tarifs d’Hydro-Québec relevait de la Régie de l’énergie (donc depuis 2003), la Régie n’est pas responsable de cette situation pour les raisons suivantes :

 »Les hausses des dernières années résultent principalement de décisions du gouvernement qui ont accéléré la croissance des coûts de production (barrages privés, quotas d’énergie éolienne, indexation du bloc patrimonial, etc.), par ailleurs non réglementés par la Régie.

 »Les effets de ces décisions sont déjà intégrés dans la structure de prix actuelle et on ne s’attend pas à ce qu’il y ait d’autres facteurs qui poussent de manière significative à la hausse le coût de l’électricité.

 »Sur cette période, la Régie a contenu la croissance des coûts sur lesquels elle a une juridiction, le transport et la distribution, bien en deçà du niveau de l’inflation. D’ailleurs au cours des quatre dernières années la Régie a autorisé des augmentations tarifaires de 0,65 % en moyenne annuellement, soit moins de la moitié de l’inflation sur la même période.

17 D’autre part, si la Régie de l’énergie fixait les tarifs d’Hydro-Québec pour l’année 2020, il n’y aurait vraisemblablement aucune augmentation tarifaire ; en fait, il y aurait probablement un rajustement à la baisse des tarifs. Différents facteurs baissiers jouent en effet simultanément :

 »une augmentation des volumes de ventes de près de 5,5 TWh d’ici la prochaine année et demie, liée à l’usage cryptographique, ce qui générera des revenus additionnels d’environ 125 M$ par an (nets des coûts d’approvisionnement) avec une incidence d’environ - 1,0 % sur les tarifs 7 ;

 »la reprise des activités de l’aluminerie ABI de Bécancour, qui ramènera des volumes de ventes de 4,3 TWh dont Hydro-Québec était privée depuis plus de 18 mois, ce qui se traduira par une utilisation presque complète du volume d’électricité patrimoniale et une incidence de - 0,15 % sur les tarifs 8 ;

 »la croissance du nombre de clients qui se poursuit, en particulier dans le secteur résidentiel, permettant de répartir les coûts fixes de transport et de distribution sur un plus grand nombre d’abonnements.

 »La croissance du parc de véhicules électriques et de la consommation associée.

18 Ainsi, un examen tarifaire conventionnel par la Régie serait aussi avantageux, et probablement plus, que le gel tarifaire proposé par le gouvernement pour 2020. Il n’est donc aucu-nement justifié de prétendre que la Régie accorderait des augmentations tarifaires de 1,7 % par an. En fait, la prétention selon laquelle le gel tarifaire de 2020 produirait des économies additionnelles de 1 G$ au cours des quatre années suivantes ne repose sur aucune démonstration valide.

19 Bref, l’affirmation du gouvernement de François Legault voulant que les dispositions du projet de loi 34 donnent lieu à une remise de 1,5 G$ au bénéfice des consommateurs est mensongère.

Recommandations

20 Avant la mise en place de la Régie de l’énergie, la société d’État ne rendait des comptes qu’en commission parlementaire. Les faibles connaissances des député·e·s en matière de tari-fication laissaient un pouvoir démesuré à Hydro-Québec. Ce déséquilibre a été corrigé par la mise en place de la Régie de l’énergie, dépolitisant les décisions relatives à la fixation des tarifs d’électricité.

21 En soustrayant Hydro-Québec à l’autorité de la Régie quatre années sur cinq et en fixant d’avance les tarifs sans tenir compte de l’évolution des coûts, le projet de loi 34 priverait les consommateurs d’un acquis important, soit la possibilité d’avoir une analyse annuelle experte et indépendante de la tarification d’Hydro-Québec.

22 Bien des abonné·e·s d’Hydro-Québec se sont sentis floués par les anciens gouvernements et par la société d’État au cours des dernières années. Contrairement aux affirmations du gouvernement, le projet de loi 34 ne corrigerait aucunement la situation.

23 Puisque le projet de loi 34 n’offre dans les faits aucun avantage aux consommateurs d’électricité, puisqu’il les expose à de futures augmentations tarifaires arbitraires et coûteuses et puisqu’il les prive d’un chien de garde — la Régie de l’énergie — qui garantit l’indépendance et la rigueur dans la fixation des tarifs d’Hydro-Québec, nous recommandons que ce projet de loi soit retiré.

Notes

1 Assemblée nationale du Québec, Projet de loi n° 34 : Loi visant à simplifier le processus d’établissement des tarifs de distribution d’électricité, Éditeur officiel du Québec, 2019, 20 p., en ligne, www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-34-42-1.html ?appelant=MC.

2 Hydro-Québec, « Tarifs d’électricité : une approche simplifiée qui garantira de bas tarifs », Communiqué de presse, Montréal, 12 juin 2019, en ligne, nouvelles.hydroquebec.com/fr/communiques-de-presse/1510/tarifs-delectricite-une-approche-simplifiee-qui-garantira-de-bas-tarifs.

3 RDI Économie, Entrevue avec Jonathan Julien, Radio-Canada, en ligne, ici.radio-canada.ca/tele/rdi-economie/site/segments/reportage/121693/rdi-economie—entrevue-avec-jonatan-julien-.

4 Les revenus requis d’HDQ couvrent les coûts d’approvisionnement, les coûts de transport et les coûts de distribution. Le coût du service de distribution comprend des dépenses d’exploitation, des charges financières et des dépenses d’investissements

5 La Régie reconnaît à Hydro-Québec le droit de faire des bénéfices (rendement autorisé) d’un maximum de 8 % sur la portion capitalisée des actifs.

6 VGQ, Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2018-2019 ; Établissement des tarifs d’électricité d’Hydro-Québec et autres sujets d’intérêt, chapitre 8, mai 2018, p. 3, en ligne, vgq.qc.ca/fr/fr_publications/fr_rapport-annuel/fr_2018-2019-mai2018/fr_Rapport2018-2019-mai2018-Chap08.pdf

7 Régie de l’énergie du Québec, Faits saillants de la décision d-2019-052 de la Régie de l’énergie : Demande de fixation de tarifs et conditions de service pour l’usage cryptographique appliqué aux chaînes de blocs, Dossier R-4045-2018, 29 avril 2019, 39 p., en ligne, publicsde.regie-energie.qc.ca/projets/457/DocPrj/R-4045-2018-A-0104-Dec-Piece-2019_04_29.pdf.

8 Avec l’augmentation des volumes de vente résultant de l’arrivée des utilisations cryptographiques et de la reprise des activités de l’aluminerie ABI, la proportion d’électricité patrimoniale (à un coût d’environ 3 ¢/kWh) passera de 90,8 à 91,3 % des approvisionnements totaux, et la part d’électricité post-patrimoniale (à un coût de plus de 10 ¢/kWh) diminuera dans les proportions inverses. Voir Marceau, Marilyn, « Après 18 mois de conflit, ABI relance ses opérations », Radio-Canada, 26 juillet 2019, en ligne, ici.radio-canada.ca/nouvelle/1236913/abi-lock-out-retour-travail-formation-parc-industriel-aluminium-becancour

Jean-François Blain

Chercheur à l’IRIS.

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