Édition du 26 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Un Québec inclusif, démocratique et en français

Les peuples qui n’ont pas leur souveraineté sont souvent fragiles. Les forces qui les contrôlent non seulement les dominent économiquement, politiquement et militairement, mais elles cherchent à les anéantir de l’intérieur, en leur faisant perdre leurs points de repères, leur culture, leurs valeurs, de sorte que les dominés finissent par se croire inférieurs. C’est ainsi que le dispositif du pouvoir fonctionne.

Une des dimensions de cette « guerre culturelle » est la langue. Un peuple à qui on a enlevé sa langue est atrophié. Les élites des pays dominés deviennent étrangères à leur propre peuple, comme on le voit beaucoup en Afrique, Pendant des centaines d’années, les dominants anglais ont tenté d’anéantir les langues en Écosse et en Irlande (ils ont réussi, même si ces peuples ont continué de se battre pour leurs droits). Jusqu’à très récemment, parler basque ou catalan vous menait en prison dans l’État espagnol. Au Canada, on a tout fait pour arracher les enfants autochtones à leur langue. « Enlever l’Indien dans la tête de l’Indien », disaient les mercenaires du pouvoir.

Dans certains cas, comme cela au Québec, des batailles incessantes ont réussi à protéger la langue. Mais l’État canadien a adopté une politique hypocrite, soi-disant pour faire du Canada un pays bilingue. Entretemps, tout a été fait pour réduire les francophones au Canada, leur refuser des services scolaires adéquats et surtout, interdire pratiquement le français comme langue de travail. Une chance qu’il y a encore des braves Acadiens et des braves Franco-Ontariens qui maintiennent la flamme, tout en constatant les statistiques effarantes sur les taux d’assimilation.

Au Québec, on a été jusque dans les années 60 dans le territoire du « speak white ». Le français était une langue minorisée, déqualifiée. On ne l’interdisait pas, mais tout le monde comprenait que ce n’était pas un bon outil pour progresser dans la vie. De facto, la langue était appauvrie, la littérature et la production culturelle en français étaient limitées. Et puis est venue la révolution pas-si-tranquille. La lutte pour émancipation sociale s’est combinée à la lutte pour l’émancipation nationale. Et à travers des batailles prolongées, on est sortis de la grande noirceur, y compris sur le plan linguistique. On l’oublie, mais une bonne parti de cette lutte s’est faite dans les lieux de travail où des syndicats qui se tenaient debout ont imposé la fin du régime du speak white, comme à General Motors.

Finalement le projet colonial a reculé, mais sans abandonner la partie. En 1976 avec l’élection du PQ, un nouvel épisode s’est joué. D’une part, Ottawa (Trudeau papa) a développé une stratégie à plusieurs volets pour empêcher l’accession à l’indépendance en employant tous les moyens (chantage, répression, espionnage, campagne de peur, etc.). On a répété le même stratagème en 1995 avec le référendum volé. D’autre part, on a mis en place un ensemble de dispositifs pour miner, diminuer et bloquer le projet de la loi 101.

Ils ont réussi, mais nous, on n’a pas lâché non plus.

Ça fait maintenant 40 ans que ça dure.

Avec le PLQ, on a tout essayé pour détruire les quelques acquis hérités de la période péquiste. Avec les nationalistes de droite de la CAQ, on lance des ballons tout en sachant que le processus de défrancisation est bien entamé dans le cadre d’une stratégie de l’État fédéral, de l’élite économique du Canada et même du Québec, et des institutions très protégées qui prétendent représenter la minorité anglophone.

Les mesures dérisoires annoncées par Ottawa récemment n’y changeront rien. Les acteurs économiques ne sont pas intéressés à endurer une langue et une culture qu’ils considèrent comme « perdantes ». Le transfert linguistique vers l’anglais continuera de s’accentuer avec les immigrant-es via l’éducation post-secondaire et la réalité du monde du travail où, dans le secteur privé, mais aussi dans le vaste réseau public fédéral au Québec, la « vraie » langue d’usage, c’est l’anglais. Blâmer les immigrants pour cela est pure hypocrisie, car ils constatent eux-mêmes qu’ils sont pénalisés s’ils ne fonctionnent pas en anglais. Ils voient aussi comment les service dits de francisation sont moches, malgré les efforts des gens qui y travaillent.

Du côté de Québec, on attend, mais en vérité, ça va être la même chanson. On va faire des entourloupettes. François Legault parlera avec émotion et au total, on ne fera pas grand-chose. Confronter l’anglicisation voudrait dire confronter les puissances qui dominent des secteurs névralgiques de l’économie, sans compter l’État fédéral. Peut-on imaginer la CAQ faire cela ? Poser la question, c’est d’y répondre.

En attendant, que faire ?

Il n’y aura jamais de solution à ce « problème linguistique » tant qu’il n’y aura pas l’indépendance du Québec. Vous allez penser que c’est un peu gros. Certes, il y a moyen d’améliorer la situation actuelle en marge. Mais les obstacles levés par le dispositif du pouvoir (du vrai pouvoir) sont trop grands, tant du point de vue juridique que politique.

Néanmoins, il vaut la peine de se battre maintenant, par exemple pour une loi imposant (en principe) la prédominance du français sur les lieux de travail. Mais attention, cela ne peut pas se faire sur le dos des immigrants. Il faudra donner un sérieux coup de barre avec des services et des appuis suffisants pour leur donner les outils nécessaires, au lieu de se contenter de leur apprendre à dire « Hi-bonjour ».

Dans les services de santé et d’éducation en anglais, qui restent une bonne idée pour respecter le droit des minorités, il faudrait établir des critères rigoureux et non-négociables pour que l’utilisation et l’enseignement du français comme langue commune soient établis une fois pour toutes. Je ne vois pas, par exemple, pourquoi la diplomation dans le vaste réseau des institutions post-secondaires anglophones (cégeps et universités) n’exigerait pas un niveau de français parlé et écrit établi selon des normes strictes, à partir d’un enseignement rigoureux du français tout au long du diplôme. On sortirait de ces institutions avec son diplôme et la pleine possession des deux langues. C’est possible et cela serait bien pour tout le monde, y compris les anglophones qui veulent vivre au Québec.

C’est le travail de QS de sonner l’alarme à ce niveau.

Un des arguments des dominants est qu’il faut être « réaliste », qu’on est en Amérique du Nord après tout. À Amsterdam, une ville qui a ses charmes et que je connais bien, j’ai toujours été frappé par le fait que tout le monde, né là-bas ou immigrant, vivait, travaillait et profitait de l’environnement en néerlandais. Évidemment tous et toutes parlent anglais, qui est devenu la lingua franca d’une Europe des 27 états avec 448 millions d’habitants (les Néerlandais sont 17 millions). Mais dans ce pays, on se respecte. On vit et on travaille dans la langue du pays, dans la langue commune, dans la langue du peuple.

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