L’ « effet » nikab a eu une résonnance pendant un certain temps et dans certaines régions, presqu’uniquement au Québec d’ailleurs. Elle a aidé un peu Harper dans la région de Québec-Appalaches, mais longtemps avant cette histoire, les sondages indiquaient que les Conservateurs allaient bien performer là. En effet, ils bénéficient d’une écoute particulière qui est liée à l’atmosphère réactionnaire qui sévit dans cette région, avec les radios-poubelles au premier plan, sans compter les simagrées populistes du maire Labeaume, le travail de sape de la CAQ et d’autres facteurs. Peut-être qu’il y a un petit effet nikab dans d’autres régions, mais globalement, les gens ont voté Libéral pour des raisons stratégiques, puisque le NPD de Tom, visiblement, n’avait pas grand-chose d’extraordinaire à proposer par rapport au PLC en s’en tenant à droite de Trudeau sur les questions de politique économique.
En Ontario en tout cas, l’effet nikab a été extrêmement léger. Tom a tout tort de penser autrement et probablement qu’il le sait, mais il n’a pas le courage de le dire.
Le plus grave est que cette manière hypocrite et insidieuse de réagir correspond à des traits profonds du personnage. Voici un homme qui n’a jamais peur de dire avec un ton convaincu une chose et son contraire. Au Québec, Tom dit qu’il défend les droits des Québécois. Au Canada, il dit qu’il est le seul gars capable de tenir tête aux « méchants séparatistes ». Par ailleurs, il est globalement incapable de proposer quoi que ce soit de substantiel pour renverser les politiques néolibérales qui ont fait terriblement régresser les conditions des classes moyennes et populaires depuis au moins 30 ans.
Ce n’est pas à l’honneur d’un parti qui se dit de tradition social-démocrate. Avec lui, le NPD est condamné. Même sans lui, l’avenir de ce parti est très questionnable. Il y a en réalité quelques groupes d’intérêts qui dominent le NPD.
Le premier groupe est composé des structures provinciales qui sont globalement orientées vers l’établissement de gouvernements provinciaux. Là où il a été au pouvoir, le NPD provincial s’est contenté de respecter les « règles » et a en fait administré comme le Parti Libéral l’aurait fait, sans mesure réelle pour redresser la situation. De facto, les apparatchiks des provinces sont extrêmement hostiles au retour du NPD à ses racines sociale-démocrates et encore plus à des initiatives qui permettraient au parti de se reconstruire une capacité de transformer la société.
Le deuxième groupe est composé d’une équipe d’« experts et compétents » qui mènent le jeu dans les coulisses du NPD à Ottawa. Ils ne sont pas très nombreux, mais ils sont influents. Leur première job est de protéger leur job, et non pas de ramener le NPD à construire une force de changement. Lorsque le « cheuf » est tout puissant comme c’est le cas avec Mulcair, ils ont comme première mission d’insulariser la direction du parti contre les membres du parti et surveiller les députés pour qu’ils se conforment à la « ligne ». C’est une tâche ingrate, il faut le dire.
Les élus à Ottawa forment un troisième groupe, mais leur influence et leur pouvoir sont très limités, encore plus avec Mulcair. C’est le comportement du « oui chef, merci chef » qui domine. Je me souviens d’ailleurs d’une discussion avec Hélène Laverdière (qui vient de battre Gilles Duceppe encore une fois). Elle argumentait durement pour me dire que Mulcair avait « évolué » sur la question de la Palestine, alors qu’elle savait pertinemment (c’est une ancienne bureaucrate de haut rang du Ministère des affaires extérieures) le dommage que Mulcair avait fait sur cette question en étant tout autant pro-Israël que Harper. C’était la langue de bois à un niveau caricatural. Par la suite, elle s’est abstenue de parler de cette question embarrassante. Il y a eu aussi plusieurs cas où des députés ou des candidats ont été carrément censurés par le cheuf. Comment expliquer cela ? Est-ce que l’attrait d’aller à Ottawa dans le cadre d’un système parlementaire totalement pourri passe par-dessus toute autre considération ? Pour moi cette question reste une énigme.
Avec tout cela, il demeure difficile d’espérer des changements au NPD. La dernière tentative en date (2002-2003), animée par la féministe Judy Rebick et le syndicaliste Jim Stanford sous la bannière de la « New Politics Initiative », qui était appuyée par quelques députés le cœur à gauche comme Libby Davies et Sven Robinson (ils ont démissionné depuis), avait réussi à recueillir l’appui d’un grand nombre de membres. Jack Layton avait alors été élu à la tête du parti avec l’appui de la NPI, mais en réalité, il a maintenu le cap sur les mêmes politiques plus libérales que social-démocrates. Les NPD provinciaux, sont allés dans le même sens ce qui les a généralement conduit à de sévères défaites, notamment en Ontario plus tôt cette année.
Au-delà de cette évolution malheureuse, la sensibilité de gauche dans le NPD a continué d’exister. Par exemple, après le décès de Jack, un grand nombre de personnes se sont opposées à l’élection de Mulcair qui s’est cependant imposé puisque venant du Québec où la vague orange avait frappé l’imagination. C’était une autre grave erreur d’élire celui qu’on savait issu du sérail du Parti libéral du Québec, une formation très marquée à droite.
Il ne faudrait pas juste un petit miracle pour renverser cette tendance. Pour autant, il y encore des gens qui sont actifs à gauche dans le NPD. Ils ont travaillé fort dans la région de Toronto pour faire élire Olivia Chow (ex candidate à la mairie de Toronto et veuve de Jack), Linda McGuaid (journaliste critique), Peggy Nash (ex syndicaliste) mais toutes ces personnes ont perdu leur élection. Tout le monde est encore sous le choc et il faudra du temps pour qu’ils et elles puissent récupérer. Par ailleurs, les syndicats et les mouvements populaires canadiens étaient moins commis avec le NPD que déterminés à vaincre Harper. Aujourd’hui, ils restent dans une attitude attentiste face à Trudeau.
Depuis quelques mois, des discussions ont été entreprises par divers réseaux, notamment à Vancouver, Toronto, Halifax, pour penser à une alternative. La tâche est plutôt immense et les forces assez modestes, mais il y a quelque chose comme un processus. Un des défis est de surmonter la tendance de cette gauche radicale de rester dans son confortable isolement et de sortir de l’esprit de sectes et de chapelles qui existe encore. L’expérience de QS au Québec est une des sources d’inspiration, dans le sens d’un effort soutenu et de longue haleine, toujours en cours, pour constituer une plateforme large susceptible de secouer la cage sur la base d’une grande convergence.