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Économie

Inégalités à l'origine du malaise social

27 avril 2017 |tiré de mediapart.fr

La montée des populismes est la résultante de nos échecs économiques. Le travail se retrouve de plus en plus exclu du partage des richesses créées au profit du capital. Jamais les inégalités n’ont été aussi grandes. Un effondrement historique depuis l’avènement de l’ère industrielle.

Il est parfois des graphiques qui disent plus que des milliers d’analyses aussi bonnes et éclairées soient-elles. Début avril, le Fonds monétaire international a publié sur son blog l’évolution de la part du revenu national versée aux travailleurs depuis 1970.

Ce seul graphique résume à lui seul l’origine du malaise social et sociétal qui secoue toutes les économies avancées voire toutes les économies du monde. C’est l’effondrement. Un effondrement historique dont on peine trouver des comparaisons depuis l’avènement de l’ère industrielle. En 45 ans, la part des revenus du travail a baissé de plus de 5 points pour tomber à 50 % à peine dans les économies avancées. Dans les pays en développement, elle atteint désormais à peine 36 %.

Là se trouve sans nul doute la source de tout le malaise occidental, de cette colère des laissés-pour-compte, de ce sentiment d’exclusion, de ce pessimisme de parents persuadés que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, de cette montée des populismes qui ébranlent les uns après les autres les pays avancés : de ces échecs économiques évidents. Alors que le PIB mondial a été multiplié par plus de 25 sur la période (de 2 900 milliards de dollars à 74 100 milliards de dollars selon la Banque mondiale), que la productivité a été multipliée par 30, les personnes tirant leurs revenus de leur seul travail sont de moins en moins associées à l’augmentation des richesses produites.

Cette baisse tendancielle a été engagée dès les années 1970. Les entreprises ont commencé à peser sur les salaires pour reconstituer les marges. Mais le mouvement n’a cessé de s’amplifier et de s’accélérer au fil des décennies. L’âge de la grande compression, documentée par des économistes comme Thomas Piketty, Joseph Stiglitz ou Paul Krugman, a commencé, amenant à réduire tant et plus la part du travail dans le partage de la valeur ajoutée ou des PIB. Les salaires moyens en monnaie constante aux États-Unis et dans une moindre mesure en Europe n’ont quasiment pas bougé depuis 1980. Au Royaume-Uni, la croissance des revenus réels durant la dernière décennie a été la plus faible depuis l’époque des guerres napoléoniennes.

La mesure de ce choc se dit en quelques chiffres. Pendant les années 1960, les 90 % des ménages américains les moins aisés recueillaient 67 % des gains réalisés dans un cycle économique. Durant les années Reagan, ils n’en obtenaient que 20 %. Depuis les années 2000, cette part est tombée à 2 %, les 10 % les plus riches raflant tout le reste. Pour l’économiste américain Thomas Palley, le cercle vertueux de la croissance économique, « où les bénéfices de la productivité étaient reconvertis en salaires alimentant la croissance de la demande », s’est cassé dans cette période des années 1970.

Les causes de cette rupture sont multiples, insiste le FMI. Pour l’organisme, les technologies sont le facteur premier de ce divorce. « Dans les pays avancés, près de la moitié du déclin de la part du travail est due à l’impact de la technologie. La diminution s’explique à la fois par la propagation rapide de l’information et des télécommunications et par la proportion élevée d’occupations qu’il était facile d’automatiser », assure-t-il.

Cette révolution technologique qui bouscule les frontières classiques de l’espace et du temps a sans aucun doute amplifié le mouvement de mondialisation à l’œuvre. Une nouvelle organisation de la production s’est mise en place, conduisant à la recherche des coûts toujours plus bas. Les tâches demandant le plus de main-d’œuvre ont été délocalisées vers les pays toujours moins chers, d’abord vers l’Europe du Sud pour les entreprises européennes, puis vers le bassin méditerranéen, puis vers la Chine, etc. « La conjonction de la technologie et de l’intégration internationale explique pour près de 75 % le déclin de la part du revenu qui échoit aux travailleurs en Allemagne et en Italie et 50 % aux États-Unis », analyse le FMI. Avant d’ajouter : « Le progrès technologique et l’intégration économique internationale ont certes été des moteurs essentiels de la prospérité mondiale, mais leurs effets sur les revenus des travailleurs compliquent la tâche des gouvernants. »

Mais peut-on parler de cette grande rupture, en évitant de mentionner la financiarisation de l’économie, avec en fond de décor le néolibéralisme qui la sous-tend, comme le fait le FMI ? Impossible, répond l’économiste Petra Dünhaupt dans une étude sur les effets de la financiarisation dans le partage des revenus du travail. La financiarisation , selon elle, était le principal moteur de la captation au profit du capital.

La prééminence donnée à partir des années 1980 à un management à court terme, dont le but unique est de satisfaire les actionnaires, en augmentant les dividendes, les salaires des dirigeants « au nom de l’alignement des intérêts », en multipliant les opérations financières (fusion-acquisition), a provoqué un prélèvement croissant sur les richesses. Le mouvement a été poussé si loin que les grands groupes qui auparavant étaient emprunteurs de capitaux sont désormais prêteurs. Ils préfèrent racheter leurs actions plutôt que d’investir. Quant à la bourse, elle n’est plus le lieu de financement de l’économie – moins de 10 milliards d’euros ont été levés sur la place de Paris en 2015 – mais celui du recyclage en circuit fermé des profits et de la spéculation.

Tout cela s’est fait au détriment des salariés dont le pouvoir de négociation dans l’entreprise et même plus simplement l’apport sont de plus en plus contestés. Partant du principe que plus le travail est dérégulé, plus le pouvoir des négociations sur les salaires est amoindri, voire réduit à néant, plus l’efficacité économique est grande.

La distribution des richesses aux États-Unis depuis 1917

La réalité vient de rattraper la théorie. Aujourd’hui, c’est la machine économique, sociale et politique tout entière qui est en train de se briser, avec l’application aveugle de ces principes. Les perdants du néolibéralisme se comptent en millions, en centaines de millions. Les inégalités ont atteint des sommets, la concentration des richesses entre quelques mains est à des niveaux sans précédent.

« La part des revenus nationaux allant aux détenteurs de capitaux à travers les profits des entreprises ne cesse de monter. La part allant au travail est en baisse. Ce n’est pas de cette façon qu’une démocratie est supposée fonctionner », prévenait l’économiste Stephen Roach, ancien président de Morgan Stanley en Asie – inventeur du concept sur les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) – à la fin des années 1990. Oui, ce n’est pas comme cela qu’une démocratie est supposée fonctionner. Les erreurs économiques commises nous ramènent aujourd’hui à cette question politique essentielle.

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