Édition du 23 avril 2024

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Luttes étudiantes

Élections québécoises 2012

La résilience étudiante interpelle les partis, à commencer par Québec solidaire

On pouvait considérer donquichottiste la persistance des neuf mille grévistes de l’UQAM et des deux mille de l’Université de Montréal, sur les trente mille étudiantes et étudiants qui détenaient toujours un mandat de grève. Il est cependant indéniable que leur combat est celui de la démocratie contre la répression. Ces associations dûment reconnues ont ou avaient un mandat non équivoque de continuer le grève.

De l’autre côté, la loi 12, ex-78, qui crée le contexte de l’intervention policière à l’Université de Montréal, même si elle ne sera pas nécessairement utilisée, est un déni pratico-pratique du droit d’association et du droit de grève, ce qu’a reconnu l’officielle Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec (Radio-Canada, La commission des droits de la personne condamne la loi 78, 19/07/12).

Pouvait-on qualifier d’irréaliste leur décision prise à l’encontre de toutes les associations de cégeps et de plusieurs associations universitaires ? Au prix d’une vingtaine d’arrestations, ils avaient forcé les directions des deux universités à aller à l’encontre de la loi 12 en annulant les cours des départements concernés… jusqu’au quatre septembre, journée des élections. Une dizaine d’associations de cégeps reconsidéreront la possibilité de retourner en grève après la tenue des élections. Le premier ministre et la chef de l’opposition ont invité les étudiants à respecter la loi, même injuste d’ajouter la leader du PQ, et à attendre les résultats des élections lesquels régleraient le problème dans un sens ou dans l’autre.

Le dramatique dilemme des grévistes étudiants

La plus importante association gréviste de l’UQAM, par la peau des fesses, a finalement cédé au rapport de forces mêlant confusion électoraliste, peur légitime de la répression et perte sèche d’un semestre. Mais il n’y a pas que ça. Elle, comme bien d’autres, a cédé à la solution de continuité d’une impossible grève sociale à court terme du fait du refus des directions syndicales de s’y mettre tout en blâmant la base. Si les directions des centrales et des fédérations avaient mis le même zèle à préparer la grève sociale, ce pour quoi au moins la CSN avait un mandat de congrès, qu’elles en ont mis durant l’été 2010 a faire passer à la va-vite l’entente pourrie du secteur public à coup d’une abondante documentation en couleur sur papier glacé et de tournées de la permanence, on peut parier que la grève aurait été enclenchée depuis longtemps.

Le débat sur la grève sociale, même s’il avait décollé suite à la prise de position, très tardive, de la CLASSE en ce sens, est resté confiné aux cercles militants. S’imagine-t-on l’ampleur du débat public sur le sujet si la porte-parole de Québec solidaire, au débat des chefs vu par 1.5 million de personnes, avait soulevé l’urgence d’organiser la grève sociale et appelé les organisations sociales à le faire ? À court terme, un tel appel aurait signifié une claire démarcation stratégique vis-à-vis le PQ (et Option nationale), laquelle a tellement manqué dans cette campagne électorale qui s’achève, et un ralliement enthousiaste de la militance étudiante, syndicale et populaire. Last but not least, cet appel aurait signifié la jonction des urnes et de la rue, un encouragement aux grévistes étudiants à reprendre la grève en pleine élection pour envoyer un signal clair aux partis en lice que faute de gel des frais de scolarité, le mouvement se remobiliserait en grande vitesse.

Le sens de l’histoire interdit un optimisme de commande

Une fois les derniers contingents grévistes de retour aux études, il sera difficile de s’y remettre à court terme malgré les votes de reconsidération et quelque soit la configuration post électorale. On peut certes voir dans cette immense mouvement qui a secoué le Québec la relance à grande échelle de la riposte sociale interrompue par la montée du néolibéralisme il y a près de quarante ans. Sauf que ça n’a rien d’automatique. Rien ne garantit que la longue et profonde grève étudiante ayant suscité une remise en question beaucoup plus large des politiques néolibérales québécoises et canadiennes se mue en une grande vague de fond si elle n’est pas relayée par la grève sociale. Rien ne garantit que son interruption ne se cristallise pas en une débilitante démoralisation.

L’histoire, dont la nôtre, est parsemée de vastes mouvements sociaux qui se sont échoués sur une grande noirceur. La révolution démocratique-nationale de 1837-38 s’est échouée sur l’acte d’Union de 1840 puis sur le pacte de la Confédération de 1867. La révolution nationale des Métis de l’Ouest en 1870 puis en 1885 qui a galvanisé le Québec pavant la voie au gouvernement du Parti National d’Honoré Mercier de 1887 à 1891 s’est abîmée dans la mainmise Libérale des gouvernements Gouin et Taschereau de 1905 à 1936. La révolte contre les « trust » anglophones dans les années 1930 puis contre la conscription en faveur de la Grande-Bretagne durant la Deuxième guerre mondiale a sombré dans l’Union nationale de Duplessis de 1944 à 1960. La « révolution tranquille » bourgeoise de 1960 à 1966 puis celle prolétarienne de 1966 à 1976 s’est égarée dans l’alternance néolibérale PQ-Libéraux de 1976 à aujourd’hui.

On objectera que la grève étudiante est loin d’être l’équivalent de tels mouvements. Certes, mais tous et toutes ont compris qu’elle pourrait en être l’amorce par l’entrée en scène fulgurante de la jeunesse. Mais encore une fois, cette amorce pourrait être un pétard mouillé. Ce ne serait pas la première fois qu’un mouvement prometteur n’aboutisse pas à amorcer la pompe. Aujourd’hui, comme en 1918, une révolte de la jeunesse de grande ampleur suscitée par d’importantes contradictions internes et par une poussée révolutionnaire mondiale avait causé un mouvement de riposte… qui non seulement n’avait même pas abouti à changer le gouvernement en place en plus d’ouvrir une période d’intense bradage de nos ressources naturelles et de corruption.

Contre l’hécatombe de la Première guerre mondiale suivie de la grippe espagnole et encouragée par les révolutions russes de février et d’octobre 1917, la jeunesse québécoise s’était alors révoltée contre la conscription pour l’empire britannique allant jusqu’à une émeute au printemps 1918 à Québec réprimée par l’armée au prix de quatre morts et de presque une centaine de blessés. Quelques mois plus tard, des régiments québécois s’étaient mutinés à Victoria au moment de l’embarquement pour aller soutenir l’armée blanche de Koltchak contre l’armée rouge (Mon article, Les soldats « canadiens-français » envoyés en Sibérie ont-ils eu tort de se mutiner ?, 18/11/10). Peu auparavant, le gouvernement Libéral était même allé jusqu’à orchestrer une manœuvre à l’Assemblée législative en laissant un de ses députés présenter une résolution préconisant l’indépendance.

Toute cette effervescence de 1917-1918 ne parvint qu’à consolider le pouvoir des Libéraux pour une quinzaine d’années, eux qui le détenaient depuis déjà plus de vingt ans, même si lors de l’élection de 1918 le Parti ouvrier connut son meilleur score électoral avec 8% des votes et deux députés sur 81. Ce score reflétait l’écho des ces événements et anticipait celui de la grève générale de Winnipeg qui fut le pendant canadien de la révolte québécoise contre la conscription :

« La grève générale de Winnipeg a des échos au Québec, entraînant une vague de débrayages spontanés de 1919 à 1920. À Montréal, de mai à juillet 1919, 22 000 travailleurs-euses firent la grève, essentiellement dans l’industrie lourde et les chantiers navals. Les directions syndicales sont dépassées par leur base, les travailleurs-euses formant des Comités de grève autonomes pour diriger la lutte. Deux syndicats affiliés au Conseil des Métiers et du Travail du Canada, le syndicat des machinistes et celui des ingénieurs, vont même jusqu’à proposer la tenue d’une grève générale en solidarité avec les insurgés de Winnipeg. Seuls les ouvriers de la Canadian Vickers emboîteront le pas. […] La direction canadienne et américaine des unions internationales est inquiète de tout ce ‘désordre’… » (Rouillard, Jacques, Histoire du syndicalisme québécois, Éditions du Boréal, Montréal, 1989, pp. 142-147, cité par Michel Nestor de Cause commune)

La bureaucratie syndicale, un historique goulot d’étranglement

Au Québec comme au Canada, les directions des centrales syndicales empêcheront cette grève générale voulue par les militants et militantes, particulièrement du « One Big Union », permettant ainsi aux gouvernements fédéral et provinciaux de rétablir la situation tout comme cela se fit aux ÉU et en Europe. Ce n’est pas tiré par les cheveux que de faire un parallèle avec la conjoncture actuelle au Québec. Voici un grand mouvement de la jeunesse répondant à de sérieuses contradictions internes dues aux politiques néolibérales et à une impulsion venant de l’extérieur tant du monde arabe, de l’Europe du Sud, des ÉU/Canada et du Chili. Étant donné le caractère de masse des études supérieures d’aujourd’hui et la transformation du caractère des guerres qui évacue la conscription, le champ de bataille sociale n’est plus le même mais la perspective d’indépendance nationale demeure en autant qu’elle signifie une révolution des rapports sociaux, ce qui aujourd’hui comme hier impose d’abord l’expropriation de la finance.

L’obstacle à la généralisation de la lutte à toute la population reste le même, soit le blocage des directions syndicales contre des militants et des militantes souhaitant la grève sociale. Cerise sur le gâteau, la possibilité de changement de gouvernement par des élections, plus aisé aujourd’hui qu’alors où les Libéraux pouvaient encore faire élire par acclamation une quarantaine de députés étant donné les multiples obstacles à la participation électorale, demeure plus que jamais une source de confusion pouvant autant renforcer la rue que de la noyer dans les urnes. Hier comme aujourd’hui, les petites organisations anticapitalistes d’alors avaient failli à la tâche en se désolidarisant des conséquences révolutionnaires de la révolution bolchevique lesquelles passaient par la lutte contre les gouvernements fauteurs de guerre nécessitant une dynamique de grève générale… ce qui explique la fondation du Parti communiste du Canada deux ou trois ans plus tard.

Aujourd’hui, les organisations libertaires et maoïstes boudent les élections, pourtant des conquêtes ouvrières et féministes dont le déroulement et les résultats ont des répercussions significatives sur les rapports de force. Les collectifs néo-staliniens et trotskistes de Québec solidaire, quant à eux, refusent d’y mener une lutte interne pour l’inclusion du thème de la grève sociale dans le discours politique du parti. Par rapport aux directions des centrales syndicales ils construisent une opposition syndicale, non pas avec les militantes et militants qui ont mené une lutte ouverte contre les directions des centrales lors de la lutte du secteur public, mais avec la bureaucratie de gauche qui cherche à protéger ses camarades bureaucrates en donnant un caractère de société secrète à leur organisation. On est très loin des luttes ouvertes et publiques de certaines oppositions syndicales des ÉU comme CORE qui a gagné la direction du syndicat des professeurs de Chicago lequel prépare une grève pour septembre contre de drastiques reculs laquelle lutte s’annonce dure et implacable (Lee Sustar, Chicago Teachers Draw the Line, Socialist Worker, 28/08/12)

Marc Bonhomme, 31 août 2012
bonmarc@videotron.ca ; www.marcbonhomme.com

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