Les luttes citoyennes liées à l’environnement et à l’énergie (principalement le gaz) ont connu divers contextes, enjeux stratégiques et ont pris diverses formes depuis une vingtaine d’années. Un solide mouvement social s’est construit à même ces luttes au fil des ans. [1]. Au moment où le Québec fait face à une nouvelle offensive des vendeurs d’énergie fossile, et où, plus que jamais, sonne l’alarme de l’urgence climatique, il peut être utile de rappeler quelques acquis de luttes victorieuses ayant un potentiel d’enseignement pour celle qui s’amorce dans l’Abitibi-Témiscamingue, la Mauricie et plus spécifiquement le Saguenay—Lac-Saint-Jean, autour de Gazoduq – Énergie-Saguenay. Cet exercice est exploratoire et méritera d’être approfondi pour en dégager des pistes de travail concrètes pour la lutte d’aujourd’hui.
Si la bataille de Rabaska (2003-2013) concernait un projet d’importation de gaz naturel en provenance de l’Asie, exploité par une entreprise Russe, pour soi-disant répondre aux besoins de l’Amérique du Nord et du même coup réduire notre impact sur le climat (sic), le projet Gazoduq – Énergie-Saguenay, est lui, un projet poursuivant exactement l’objectif inverse, soit exporter le gaz (de fracturation en majorité) en grande partie depuis l’Amérique du Nord vers les marchés de l’Europe et de l’Asie. En 10 ans, d’importatrice de gaz, l’Amérique est devenue exportatrice.
Et si l’opposition au projet de port méthanier près de Lévis a été l’objet d’une mobilisation épique, l’élément qui a finalement cloué le cercueil du projet Rabaska est la baisse drastique du prix de gaz sur le marché.
Une guerre commerciale qui fragilise la démocratie
C’est dire la vitesse avec laquelle les capitalistes nord-américains, étasuniens surtout, se sont employés à fracturer le sous-sol et menacer la nappe phréatique pour générer la surproduction de gaz qu’ils veulent aujourd’hui exporter vers l’Europe et l’Asie, et si possible devancer leurs compétiteurs russes et faire beaucoup d’argent. Mais le prix ne remonte pas aussi vite qu’ils le souhaitent et ce qui aiderait ces investisseurs, qui tentent de se présenter en bienfaiteurs et champions de l’écologie, serait d’écouler une partie de leur surplus de gaz et ainsi favoriser la hausse des prix. Les investisseurs étasuniens auraient un plus beau sourire. Le Président Trump également, car il « exerce d’intenses pressions sur l’Europe pour qu’elle remplace l’approvisionnement en gaz en provenance de la Russie par du gaz de schiste venant des États-Unis. [2] ».
Si, en 2008, on essayait de nous faire croire que le gaz était une solution de rechange acceptable au pétrole, aujourd’hui, on essaie de nous convaincre qu’il s’agit d’une énergie de transition. Ces affirmations sont néanmoins contestables. Comme on le sait, pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), toutes les énergies fossiles devraient rester dans le sol, afin de sauver l’humanité d’une crise climatique annoncée.
À plus forte raison qu’il est aujourd’hui possible de produire de l’énergie propre à prix compétitif. Mais ça, c’est évidemment une autre filière, celle des compétiteurs, celle des solutions de rechange aux hydrocarbures.
Depuis une vingtaine d’années donc, l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles, telles que le gaz et le pétrole de fracturation, montent en flèche. Avec elles s’accentue un problème de transport (train, pipelines ou gazoduc) avec les risques que cela comporte (ex. tragédie de Lac-Mégantic) et l’invasion de nouveaux territoires d’exploitation (ex. Gaspésie) ou de passage (ex. le projet d’Énergie Est, Abitibi-Témiscamingue, Mauricie, Saguenay—Lac-Saint-Jean).
Ce n’est ni plus ni moins qu’une sale guerre commerciale que mène « Énergie fossile Saguenay [3] » à ses compétiteurs (ex. la gazière russe Gazprom ou encore la filière de l’énergie propre) pour écouler son gaz naturel liquéfié (GNL).
Quel avantage avons-nous à participer à cela, à prendre autant de risques pour cela ?
Enfin, les lobbies du gaz et du pétrole prennent d’assaut les gouvernements et désinforment les populations en vue de détourner nos sociétés des solutions émergentes (solaire, éolien, etc.) en matière d’énergies renouvelables. « Le résultat global a été l’affaiblissement de nos démocraties » [4].
Une culture de dépendance en héritage
Au Royaume des Company town, on a l’habitude de la dépendance et de la complaisance envers les investisseurs étrangers qui pompent nos ressources pour les transformer ailleurs en échange de bons emplois bien payées. « On ne mord pas la main qui nous nourrit » et dans l’ensemble, nos élites locales et régionales l’ont bien compris. C’est pourquoi certains conseils municipaux ou de MRC s’empressent de collaborer (dézoner par exemple) avant même qu’on leur fasse la demande. Les syndicats ne s’opposent pas d’emblée à ces projets qui pourraient représenter de l’emploi pour leurs membres, du moins pendant la construction. Par ailleurs, une pétition en faveur des projets aurait obtenu 10,000 signatures, etc.
Et là, ce sont trois mégas projets qui s’annoncent (Gazoduq – Énergie Saguenay, Ariane phosphate, Métaux Black Rock) et qui représentent une menace pour le Fjord. Les élus municipaux pensent à leurs taxes, les commerçants à leurs affaires. La population espère des emplois et des retombées.
Mais voilà qu’en 2021, c’est une véritable pénurie de main-d’œuvre [5] qui nous guette et dans laquelle nous sommes déjà. L’argument des jobs a la couenne dure. Des jobs, c’est tout ce qu’on pouvait espérer du soi-disant développement économique par le passé. Mais on en est plus là. Aujourd’hui on ose parler de développement durable, d’économie circulaire, d’économie sociale et solidaire, de valorisation et de transformation de nos ressources, de souveraineté alimentaire, etc.
Enjeux, stratégies et organisation
Deux visions du monde s’affrontent ici. En contradiction. Dans ce contexte, comment la population, et comment les mouvements sociaux peuvent-ils se faire une idée juste des enjeux en présence ? Et, en toute connaissance de cause, comment pouvons-nous le cas échéant contrer ces projets, comment peut-on définir notre message, s’organiser, quelles stratégies privilégier, comment réussir notre mobilisation et nos actions ? Quelles solutions de rechange pouvons-nous proposer ?
Leçons à tirer de quelques luttes environnementales
Si l’on se réfère à la lutte exemplaire et victorieuse qu’a menée la Coalition SOS Parc Orford contre la privatisation partielle du parc national du Mont-Orford qui s’est déroulée entre 2006 et 2007, on peut voir comment cette coalition a réussi à développer une identité collective autour de la lutte :
Pour convaincre la population du bienfait de leurs opinions et démarches, les membres de la coalition ont développé des arguments rigoureux et pris soin de répondre systématiquement à ceux des promoteurs. Ainsi, tour à tour, des arguments environnementaux, historiques, économiques, légaux et culturels sont développés pour définir et défendre la position de la coalition. Cet argumentaire a permis de créer plusieurs ‘Nous’, réunis autour du même but : ‘nous, les artistes préoccupés par l’héritage laissé à nos descendants’, ‘nous, les environnementalistes inquiets de la protection des écosystèmes’, ‘nous, les utilisateurs des parcs nationaux soucieux de leur préservation’, ‘nous, les partisans du développement durable opposés au développement économique à outrance’, etc [6].
De plus, Philippe Dumont de Boréalisation [7] a souvent donné l’exemple de luttes contemporaines qui mobilisent la population et qui ont un caractère territorial. Ainsi, plusieurs « Nous » peuvent être concernés, avec chacun leur argumentaire propre, et référant à son territoire respectif.
L’identité et le territoire comme catalyseur
Les notions d’identité et de territoire se vérifient parfaitement, par la présence des collectifs formés de citoyen.ne.s provenant des localités des deux rives longeant le Saguenay, du Lac-Saint-Jean jusqu’à Tadoussac (collectifs locaux de l’Anse-à-Pelletier, de la Batture, de Sainte-Rose-du-Nord, du Bas-Saguenay et de l’Estuaire, etc.) qui sont reconnus et qui participent à la Coalition Fjord, une coalition non partisane en formation depuis l’automne 2018, et que nous décrirons un peu plus loin. Ces collectifs sont mobilisés sur des enjeux liés à la sécurité, l’intégrité écologique du Fjord, de son paysage et du Parc marin, la protection du béluga, le développement local, le tourisme, la qualité de vie, etc.
D’autres identités avec ancrage territorial ont également intérêt à faire un travail d’information, de conscientisation, à se mobiliser et à se fédérer avec les autres :
• La population régionale, favorable à la préservation du Fjord, son écosystème, la protection de sa flore et de sa faune, notamment du béluga, une espèce menacée, extrêmement sensible au bruit, lequel sera accentué avec l’augmentation du transport maritime ;
• L’industrie touristique dans son ensemble, un moteur économique qui assure le revenu de pas moins de 16,000 personnes, et plus particulièrement le tourisme social et d’aventure ;
• Les communautés autochtones, dont les Innus et les Algonquins, qui ont des droits territoriaux ou ancestraux ;
• Le monde agricole, les bleuetières, les chasseurs, pêcheurs et trappeurs, qui seront perturbés par le passage de l’oléoduc ;
• Etc.
Enfin, d’énormes dangers (ex. explosion, fuite) guettent la population et les écosystèmes autour de l’usine de liquéfaction et le long du Saguenay jusqu’au fleuve (circulation de super méthaniers).
Le droit du Québec de prendre ses décisions face à un enjeu national et international : les GES
Si l’on considère le projet de Gazoduq – Énergie Saguenay, le gazoduc traversera le Québec, qui a rompu avec l’exploitation du gaz de fracturation sur son territoire (depuis le moratoire), mais qui, paradoxalement, en exportera à la tonne. De plus, augmenter la consommation de GNL risque de compromettre la lutte au changement climatique ou au mieux, y contribuerait si peu. Au plan national, mais aussi et peut-être surtout à l’international.
Le Québec n’a aucun réel pouvoir pour bloquer ces projets, qui relèvent de l’Office national de l’énergie (oléoduc interprovincial), de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, ou des installations portuaires qui sont de juridiction fédérale et qui penchent en faveur de l’État pétrolier canadien.
On oublie souvent d’ailleurs que l’oléoduc 9B albertain se rend déjà à Montréal, et que le Premier ministre du Québec a tenté de calmer son homologue albertain, à l’attitude de plus en plus agressive envers le Québec – en français svp – en le lui rappelant, et en soulignant qu’il favorisait le projet de Gazoduq – Énergie Saguenay. Ici encore, l’intérêt national du Québec est en contradiction frontale avec l’État pétrolier canadien, mais notre PM a une attitude molasse dans la situation.
Dans un même ordre d’idée, le projet de loi fédéral C-69 resserrant les évaluations environnementales, qui empiète davantage sur les compétences des provinces, rencontre une opposition mitigée du ministre québécois Benoît Charette [8]
Cela signifie que la lutte aura avantage à se mener également au palier national, avec un leadership de plus en plus affirmé, et être également coordonnée en bonne partie par un organisme ou une coalition reconnue pour son expertise et son efficacité. Les interventions concertées de divers groupes citoyens environnementaux et organismes nationaux donnent un élan à une lutte qui apparaît déjà bien pesante sur les épaules des collectifs locaux et de la Coalition Fjord [9].
Un relais politique reflétant les intérêts nationaux du Québec aura également avantage à se manifester, notamment pour défendre le respect de sa pleine juridiction en matière environnementale comme son droit de décider ultimement. La défense de l’identité nationale et de sa souveraineté, ainsi que la protection de l’intégrité du territoire québécois, pourrait ici trouver une matière féconde. Espérons que la campagne électorale fédérale qui s’amorce nous en donnera l’occasion.
Un relais international est également souhaitable, car le gaz a été extrait et sera brûlé à l’étranger, et il entrera ultimement dans le calcul des GES à l’international. Une autorité internationale doit donc être interpellée et se manifester.
Un enjeu de développement local, régional et interrégional
La lutte est aussi, locale, régionale et interrégionale, elle doit également donner lieu à des actions et à une coordination spécifique à ces paliers. Au plan régional, un « Nous » fort, qui inclus des personnes et organismes de diverses appartenances, incluant des syndicats, des élus locaux, régionaux et nationaux (Assemblée nationale et Chambre des communes) qui parlent d’une seule voix, comme on l’a vu dans d’autres luttes (gaz de schiste, Suroît, Mont-Orford, Énergie Est), serait hautement souhaitable, bien que cela représente, comme on l’a vu, un extraordinaire défi au Saguenay—Lac-Saint-Jean. Les conseiller de Saguenay Simon-Olivier Côté et Kevin Armstrong, les députés de Québec solidaire, le Bloc Québécois et le député Sylvain Gaudreault du PQ de Jonquière ont récemment tracé la voie à suivre [10].
L’enjeu du développement local et régional oppose ici deux visions : l’une extractiviste, basée sur des investissements étrangers, visant à faire passer sur le territoire une ressource controversée, qui risque de générer des dommages irréparables, extraite ailleurs que chez nous et destinée à l’exportation ; l’autre, basée sur une économie à échelle humaine, circulaire, visant à transformer nos ressources locales et régionales (forêt, agroalimentaire, etc.), à renforcer les secteurs du tourisme, de la culture, des énergies émergentes, de l’économie de l’immatériel, etc., pour répondre aux besoins de la population et augmenter son autonomie. L’enjeu de l’appropriation collective et de la diversification d’une économie durable, au service des humains, contre des intérêts privés, étrangers, qui menacent l’intégrité du Fjord, et à terme, celle de l’humanité.
Par-dessus tout un enjeu démocratique
Comme ce fut le cas pour l’exploitation des gaz de schiste, nous sommes placés devant un fait accompli. À la différence des luttes répertoriées, nos élites locales, elles, sont plutôt favorables alors que la population dans son ensemble a peu d’information, sinon celle diffusée par les promoteurs [11]- [12].
Les processus consultatifs paraissent inutiles dans la mesure où même les rapports du BAPE sont consultatifs et où finalement ce sont dans la plupart des cas des organismes fédéraux (ONÉ, ACEE, administrations portuaires) qui auront le dernier mot.
Dans un contexte où le Premier ministre du Québec se prononce en faveur des projets avant même les résultats des études d’impact et des consultations publiques, son ministre a beau rectifier le message, mais dans la perception du public, c’est décidé d’avance. [13]
Il est d’une extrême importance que des élus à Québec et Ottawa joignent leur voix à ceux et celles qui dénoncent ce déni de démocratie et qui réclament le droit du Québec de prendre ses décisions en matière d’environnement et d’instaurer un véritable processus démocratique participatif où la population aura véritablement son mot à dire.
Stratégies incontournables
Les stratégies gagnantes utilisées par les coalitions se regroupent ainsi :
L’information est un élément-clé. Le plus souvent contrôlée et déformée par les promoteurs, elle est un enjeu crucial pour la mobilisation citoyenne. Elle peut prendre plusieurs formes : sites WEB, capsules vidéo, porte à porte, réunions de cuisine, assemblées, par groupes ciblés (cf. identité et territoire).
L’Éducation populaire sur les enjeux plus globaux soulevés par les luttes (ex. urgence climatique) et la formation pour les responsables de comités ou sur des dossiers ou tâches spécifiques (ex. produire un mémoire, organiser une manif, action directe, etc.).
Les alliances avec des élus, des professionnels à l’emploi d’organismes ou entreprises concernées (ex. Hydro Québec), des personnalités publiques, des syndicats et autres mouvements sociaux.
La mobilisation (manifs, actions lors d’événements, pression, etc.) est essentielle pour manifester la détermination de la population et frapper l’imaginaire.
La base objective (concrète) et la dimension subjective (perceptions) de la lutte sont importantes. Dans la lutte contre le pipeline Énergie-Est, les opposants ont réussi à démasquer les tactiques déloyales des promoteurs (désinformation, conflits d’intérêts, etc.) qui leur ont fait perdre beaucoup de crédibilité.
L‘organisation : le véhicule de l’action
Les citoyens ont compris la nécessité de se regrouper, de travailler ensemble, de s’organiser, de structurer des comités, de faire des maillages et de construire des réseaux entre différents groupes et organisations autour de cette problématique. [14]
La structure des projets eux-mêmes influence la forme, et même la structure que prend l’organisation de la mobilisation. Les luttes contre la centrale au gaz du Suroît (2001-2004), contre le projet Rabaska (2003-2013) et contre l’exploitation du gaz de schiste (2010-2013), ont mobilisé des communautés directement touchées sur leur territoire (risques de fuite, pour la sécurité, forage, etc.) et ont permis de contester directement la direction que la stratégie énergétique du Québec prenait en faveur des énergies fossiles. La lutte a pu alors s’étendre au plan national. Cela a mené entre autres à l’arrêt du projet de centrale (Suroît) et à un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste. Par ailleurs, si les risques de fuite du pipeline Énergie Est (2013-2017) ont pu susciter l’inquiétude en prévoyant traverser plus de 600 lacs et cours d’eau, les éventuelles fuites anticipées du gazoduc sont, elles, présentées comme inoffensives pour l’environnement terrestre. Les dégâts seraient très dommageables en matière de GES, mais non visibles et non palpables pour le commun des mortels. Ils peuvent apparaître alors plus acceptables de prime abord.
Au Saguenay—Lac-Saint-Jean, le dragon qui menace le Fjord et ses écosystèmes a trois têtes (Gazoduq – Énergie Saguenay, Ariane Phosphate et Métaux Black Rock) ou plutôt il vaudrait mieux dire que l’on a affaire à trois dragons. Si l’on considère seulement Gazoduq – Énergie Saguenay, l’étude séparée des impacts du gazoduc et de l’usine de liquéfaction, sans compter le fait que l’on ignore les GES qui seront produits par le brûlement du gaz lui-même (en Europe ou Asie), et les impacts occasionnés par leur production (dans l’Ouest canadien), il n’est pas facile de démontrer combien cette option n’en est pas une viable pour la région, le Québec et le climat en général. Les gens du Saguenay se sentent moins directement touchés à court terme. L’impact de ce projet n’en est pas moins néfaste, mais conscientiser la population à cet enjeu demande une stratégie qui touche la fibre citoyenne. D’où l’importance de l’information et de l’éducation sur les changements climatiques, de revendiquer des études d’impact sur l’ensemble du cycle de vie du GNL, de la lutte sur le plan national et international et d’avoir des allié.e.s à tous les paliers.
La notion d’identité et de territoire peut cependant s’actualiser plus facilement dans la mission de protection de l’intégrité du Fjord et de ses écosystèmes, que défendent les collectifs locaux et la Coalition Fjord : la sécurité de la population riveraine, le paysage, le Parc marin, la protection du Béluga, le tourisme et le tourisme d’aventure, etc.
La Coalition Fjord
La Coalition Fjord s’est rassemblée en novembre 2018 à la suite de l’appel d’un groupe de personnes engagées dans des projets ou organismes environnementaux, qui a connu une belle réponse. Une centaine de personnes ont répondu. La Coalition se définit comme un « mouvement ayant pour mission la protection du Fjord, visant à informer, mobiliser et coordonner toutes les personnes préoccupées par les impacts des projets de développement industriel au Saguenay » [15].
Les porte-parole ont fait des interventions dans les médias et assuré un suivi des événements de l’actualité jusqu’ici. Ils ont interpellé les conseils municipaux et de MRC notamment, formulé des demandes ou émis des avis lors de consultations, rencontré divers acteurs et promoteurs. Quelques manifestations ont obtenu une belle réponse de la population, des jeunes surtout.
Sur le plan de l’organisation et de la structure, l’organisme est coordonné par un Comité de liaison. À sa formation, trois comités (communication, éducation, mobilisation) ont été formés. Au printemps 2019, la Coalition a revu sa structure et fonctionne maintenant par séances de travail et assemblées se réunissant à une fréquence régulière. Les plans de travail sont tributaires des initiatives proposées par les membres et des énergies investies. La coalition n’a pas d’existence formelle ni de statuts ou règlements qui détermineraient sa composition et ses appartenances. Il semble que ce choix a été retenu jusqu’ici afin de ne pas alourdir la coalition et les épaules des membres, et pour se garder plus de marge de manœuvre dans l’action. Ses membres sont conscients que leur coalition est en processus de formation et qu’elle est en interaction évolutive avec d’autres composantes aux paliers local, régional, interrégional et national.
La formation de la Coalition est un processus qui est en phase avec celui de la lutte qu’elle mène.
Perspective
C’est toujours dans l’action que se font les prises de conscience, l’éducation, la politisation des luttes et c’est aussi dans l’action que parfois une forme d’organisation plus formelle s’impose pour un minimum d’efficacité. Pour canaliser et encadrer efficacement les énergies militantes.
Il y aurait lieu par exemple de définir plus clairement qui sont les membres, les alliés, les sympathisants de la coalition (individus, collectifs, autres organisations comme des syndicats, des mouvements sociaux ou citoyens, etc.). Différents réseaux à densité variable pourraient s’y rattacher. D’autres, alliés, se limiteraient à donner leur appui. Un minimum de règles et de structure permettrait d’en clarifier et de pérenniser le fonctionnement et la représentation, d’en renforcer la coordination de la réflexion et des actions. La structure a un effet sur l’organisation et la mobilisation.
La structure de gestion de la coalition devra être très bien planifiée. Certaines coalitions forment un comité de direction composé d’un représentant de chacune des organisations membres, afin d’éviter qu’une organisation ne se retrouve en position dominante. [16].
Cette formalisation de la coalition pourrait lui conférer une plus grande légitimité comme acteur social, dans la mesure où l’énergie vitale de l’organisation n’est pas drainée dans l’entretien de la structure.
Ce n’est qu’un début
L’apparition de la Coalition Fjord est certes la plus belle surprise survenue au Saguenay—Lac-Saint-Jean depuis longtemps. Composée en grande partie de jeunes, mais portée également par une communauté diversifiée et en apprentissage de l’action collective sur des enjeux nouveaux et complexes, à contre-courant d’une forte mentalité héritée d’un autre temps, il est absolument nécessaire de prendre soin de ce mouvement, de l’accompagner dans son cheminement et d’en faire le porte-étendard d’un Nouveau Monde, avant qu’il ne soit trop tard.
Le Saguenay—Lac-Saint-Jean est le berceau du mouvement syndical, coopératif, de la concertation, il est le creuset de bien des talents à l’échelle du Québec. Il a maintenant besoin de toutes les énergies de changement du Québec pour gagner cette bataille, car cette bataille, c’est la bataille du Québec. Et même davantage…
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