Édition du 11 novembre 2025

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Canada

Les périls de construire grand et vite

Beaucoup des prétendus « projets d’intérêt national » de Mark Carney auront des effets négatifs sur l’environnement.

8 octobre 2025 | tiré de rabble.ca

La partie Building Canada Act du projet de loi C-5 — désormais loi du pays — a suscité des inquiétudes en raison de son potentiel à contourner les obligations de consultation autochtone et de protection de l’environnement. L’annonce faite le 11 septembre par le premier ministre Mark Carney de cinq « projets d’intérêt national » (Projects of National Interest, PONI) et de la création d’un Bureau des grands projets a accentué ces inquiétudes.

Y a-t-il des projets réellement d’intérêt national, pouvant être réalisés rapidement et profitant aux Canadiennes et Canadiens de plusieurs provinces ? Probablement.

Y a-t-il parmi eux des projets qui gaspilleraient l’argent public, nuiraient à l’environnement et ne profiteraient qu’à une minorité ? Oui.

Malheureusement, certains de ces projets figurent dans l’annonce du premier ministre.

L’un d’eux — LNG Canada Phase 2, à Kitimat, en Colombie-Britannique — « doublerait la production de gaz naturel liquéfié de LNG Canada, en faisant la deuxième plus grande installation de ce type au monde ». L’article Here’s how Canada’s LNG exports could make your heating bill go up identifie les véritables bénéficiaires de ce projet : Shell, Petronas, Korea Gas, PetroChina et Mitsubishi. La fracturation hydraulique utilisée pour extraire le gaz naturel (méthane) contamine les nappes phréatiques. Le méthane est le deuxième gaz à effet de serre le plus important. L’augmentation du trafic de méthaniers accroît les risques pour la faune marine. Est-ce vraiment dans l’intérêt national ?

Un autre « projets d’intérêt national », le projet nucléaire de Darlington, viserait à faire du Canada « le premier pays du G7 à disposer d’un petit réacteur modulaire opérationnel », censé « fournir une énergie fiable, abordable et propre ».

Fiable ? Ce réacteur est d’un modèle non éprouvé. Le réacteur GE-Hitachi BWRX-300 (non canadien) choisi par Ontario Power Generation (OPG) pour ce projet n’a jamais été homologué, encore moins construit, même si l’organisme de réglementation nucléaire canadien, notoirement accommodant, a accordé à OPG un permis de construction. Abordable ? Le gouvernement fédéral a déjà versé 970 millions de dollars à OPG pour ce « projets d’intérêt national ». Propre ? Les réacteurs nucléaires émettent des gaz radioactifs et produisent des déchets nucléaires insolubles.

On peut se demander en quoi les Canadiens vivant hors de la région de Toronto pourraient en bénéficier, et pourquoi ce serait un « grand » projet. Avec une puissance de 300 mégawatts, le BWRX-300 reste un « petit » réacteur modulaire relativement grand, mais qui ne représente qu’un tiers de la taille des réacteurs actuels d’OPG.

Les gouvernements fédéral et ontarien semblent parier que le BWRX-300 s’avérera un modèle miracle, construit rapidement, fonctionnant parfaitement, produit en série et exporté à travers le monde. L’industrie nucléaire cherche désespérément une issue à la stagnation décrite en détail dans le World Nuclear Industry Status Report. Elle espère sans doute aussi que le Canada égalera la Russie et la Chine en matière de financement public. Mais ces pays ont besoin de réacteurs pour leurs programmes d’armement — ce qui n’est pas notre cas.

Le premier ministre Carney a également annoncé six « projets d’intérêt national » potentiels « à un stade plus précoce ». L’un d’eux est Pathways Plus, un projet albertain de captage, d’utilisation et de stockage du carbone (CCUS).

Le CCUS est une forme de géo-ingénierie. David Suzuki explique que ces projets « permettent à l’industrie destructrice des combustibles fossiles de continuer à fonctionner ». Ils entretiennent l’illusion qu’il est possible de lutter contre les changements climatiques sans modifier nos modes de vie hyper-consuméristes. Ces projets souffrent d’un manque d’efficacité, de coûts exorbitants, de problèmes d’échelle et de délais, de risques environnementaux et de défis de gouvernance. Malgré le crédit d’impôt fédéral pour l’investissement dans le CCUS et le Carbon Capture Incentive Program de l’Alberta, l’industrie fossile n’a pas agi. Peut-être attend-elle encore davantage.

Un autre « projets d’intérêt national » potentiel, Wind West Atlantic Energy, viserait à « exploiter plus de 60 GW de potentiel éolien en Nouvelle-Écosse, et davantage encore dans l’Atlantique ». Celui-ci pourrait avoir du potentiel.

Les investissements dans l’énergie éolienne explosent à l’échelle mondiale, mais ont été freinés au Canada par des blocages politiques. En 2018, le gouvernement de Doug Ford a annulé des centaines de projets d’énergie renouvelable, pour se raviser six ans plus tard. L’Alberta a imposé de sévères restrictions l’année dernière. Certes, les projets éoliens comportent des enjeux environnementaux, mais d’autres pays semblent parvenir à les gérer efficacement. La syndicalisation devrait être encouragée pour accélérer la création d’emplois et améliorer la santé et la sécurité dans le secteur éolien.

Un autre « projets d’intérêt national » possible, Alto High-Speed Rail, est présenté comme « le premier chemin de fer à grande vitesse du Canada ». Cela dit, le gouvernement fédéral étudie le train à grande vitesse depuis plus d’un demi-siècle. La création d’un Bureau des grands projets changera-t-elle quelque chose ? Les voyageurs lassés de l’avion et des autoroutes congestionnées peuvent toujours espérer, mais qu’ils ne retiennent pas leur souffle.

D’autres pays que le Canada semblent capables de construire plus vite et plus intelligemment. Le gouvernement fédéral canadien, lui, ne construit pratiquement rien. Les gouvernements provinciaux et municipaux se limitent presque exclusivement aux routes. Pour la plupart des projets d’infrastructure, l’argent public est canalisé vers le secteur privé par des partenariats public-privé, des subventions, des allégements fiscaux, des prêts sans intérêt, et autres mécanismes similaires.

Plus grand ne veut pas dire meilleur. La construction nationale passe d’abord par le soutien aux personnes : éducation, santé, recherche scientifique, suivi environnemental, formation professionnelle. Des stratégies fondées sur des investissements communautaires, d’un océan à l’autre, procureront vraisemblablement plus d’avantages globaux que des investissements tournés vers l’exportation.

Nous devons notre gratitude aux peuples autochtones qui, depuis des millénaires, agissent comme gardiens de la nature. Les stratégies de développement national n’ont pas à reposer sur des infrastructures construites par l’humain. Nos magnifiques lacs, forêts, côtes et prairies — notre infrastructure naturelle — font du Canada une destination recherchée, tant pour les personnes que pour les entreprises.

Le projet de loi C-5 risque de ne pas définir correctement nos priorités nationales. Ne laissons pas la quête du profit économique mettre en péril la richesse naturelle du Canada. Plaçons les gens et la nature avant les profits des entreprises.

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