Édition du 16 avril 2024

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Secteurs public et para-public : Le moment actuel de la négo

Se pose à ce moment-ci une question fondamentale incontournable : y a-t-il ou n’y a-t-il pas de rencontres entre les parties négociantes dans les secteurs public et parapublic aux tables sectorielles et centrale (ou intersectorielle) ?

À suivre le cheminement que nous observons dans la présente ronde de négociation entre les huit organisations syndicales et le Conseil du trésor, négociation que nous pouvons qualifier de cheminement « en dents de scie » (tantôt ça négocie, tantôt la partie patronale suspend la négociation) ou de « Cha cha cha » (la partie patronale décide, pour une raison provisoirement inexpliquée, de revenir sur ses positions et exécute un mouvement de pas en arrière), il nous semble qu’il serait plus intéressant d’avoir à analyser une course entre un humain et une tortue. Mais, puisque cela a été fait et a débouché sur la formulation du paradoxe d’Achille, observons plutôt que la présente ronde suit un calendrier dont l’issue et l’échéance semblent maintenant « imprévisibles ». Sera-ce après le budget 2021-2022 ? À Pâques ou à la Trinité ? Vers la fin du mois de juin ? Avant la fin de 2021 ou ad vitam aeternam ? Et surtout pourquoi sommes-nous devant un horizon dont la fin est imprévisible ?

Pour nous aider à débusquer les raisons à l’origine de cette lenteur qui semble interminable et pour lever le voile sur la stratégie du gouvernement face à ses salariéEs syndiquéEs, il nous semble que les partis politiques de l’opposition ont un rôle à jouer en interrogeant plus qu’ils le font en ce moment, durant la période de questions à l’Assemblée nationale, la présidente du Conseil du trésor, madame Sonia Lebel. Posent-ils assez de questions sur le sujet ? À vous de vous forger votre opinion là-dessus. Pour notre part nous répondons non et nous voulons aider à réfléchir sur certaines composantes d’un processus de la négociation (la manipulation (1)) et également identifier la voie à emprunter (l’herméneutique (2)) pour détecter certains des pièges qui l’accompagnent.

Vérité et mensonge

En règle générale, les composantes d’une négociation comportent, à l’instar de nombreuses pratiques humaines, les éléments suivants :

Vérité / mensonge (qui dit vrai et qui ment ?).

Du côté de la négociation

Il y a des séances :

Scénario 1 :
Les séances se déroulent sans anicroche et progressent sans qu’aucune des deux parties recoure à l’exercice de moyens de pression ;

Scénario 2 :
les parties se chamaillent publiquement (les membres sont soit complètement ou partiellement informéEs du déroulement des séances de négociation) ;

Scénario 3 :

les parties ont convenu de négocier dans le secret (les membres sont informéEs que la suite se déroulera dans le cadre d’un comité restreint et ce, dans le respect d’un silence étanche).

Il n’y a pas de séances :

Scénario 1 :
La partie syndicale dénonce la partie gouvernementale de négocier « sans mandat » ou de faire preuve de « mauvaise foi » ;

Scénario 2
 :

la partie syndicale sollicite des mandats de moyens d’action ou de grève et les exerce ou non. La partie gouvernementale menace de mettre un terme à la négociation en adoptant une loi spéciale ou en décrétant les conditions de travail et de rémunération.

Du côté du discours

Lors d’une négociation, certainEs actrices et acteurs affichent publiquement un discours de façade et un autre devant certaines de leurs instances qui est plus conforme aux faits. Bref, il peut y avoir un discours qui nie ou camoufle la réalité et un autre qui rend compte des choses telles qu’elles se déroulent véritablement.

Que se passe-t-il aux différentes tables ?

À observer de très loin de l’endroit où ça se passe vraiment, il semble y avoir avec certains groupes tantôt des séances de négociation et tantôt, avec d’autres, il ne se passe rien entre les parties négociantes. Certaines organisations syndicales exercent divers moyens de pression et d’autres non. Certains groupes menacent de recourir à la grève sans préciser quand au juste ou de l’exercer au printemps 2021, alors que d’autres consultent ou ne consultent pas encore leurs membres à ce sujet. Du côté du gouvernement, il a paraphé une entente sectorielle avec un groupe prioritaire et il laisse traîner en longueur la négociation avec les autres groupes. Ajoutons qu’en agissant de la sorte, il n’a pas à amorcer de véritables pourparlers sur son offre monétaire avec aucune des huit organisations syndicales qui représentent les 560 000 salariéEs syndiquéEs qui sont à environ 75% des femmes. Les organisations syndicales sont divisées et celle qui a conclu une entente de principe se retrouve momentanément neutralisée.

Le contexte changeant de la présente ronde de négociation : surplus budgétaire et COVID-19

Le contexte de la ronde actuelle de négociation s’est modifié. Au commencement, en automne 2019, il y avait une conjoncture nettement favorable aux salariéEs syndiquéEs. Le gouvernement flottait dans des surplus pharaoniques milliardaires. Avec la COVID-19, la marge de manœuvre s’est rétrécie comme peau de chagrin et le gouvernement fait comme si elle a fondu comme neige sous un soleil ardent du printemps. Mais cette marge ne s’est pas complètement évaporée. Il y a encore des sommes disponibles entre autres choses dans les réserves de l’indéfendable Fonds des générations. Le gouvernement depuis le début de la négociation minimise ses surplus et veut orienter la négociation exclusivement dans le cadre étroit de ses priorités rendues publiques en décembre 2019.

Soyons bons observateurs et reconnaissons que jusqu’à maintenant il semble avoir réussi partiellement son coup avec au moins un groupe ciblé comme prioritaire. Mais, rien n’est encore convenu avec la totalité du personnel syndiqué de l’administration publique (fonctionnaires, métiers et professionnelLEs), de la santé et de l’éducation.

Le présent contexte de la négociation se résume en un mot et un chiffre : COVID-19.

Les lieux de travail en santé et en éducation sont, depuis les douze derniers mois, extrêmement dangereux pour la santé et la sécurité de celles et ceux qui y oeuvrent ou qui les fréquentent. C’est de plus en plus la problématique du télétravail qui est devenu la norme pour les employéEs de l’État et pour les personnes qui peuvent continuer à assurer une continuité de service à partir de leur domicile.

Nous sommes dans un contexte d’atomisation des lieux de travail et par conséquent de difficulté à organiser, du côté syndical, des moyens de pression classique (action collective de visibilité et grève). Donc, les actions syndicales traditionnelles sont plutôt diffuses, isolées et elles mobilisent peu de membres. Effectuer une démonstration de force, dans les présentes circonstances, est une entreprise qui comporte un certain nombre d’embûches majeures et inédites. SeulLEs les infirmièrEs de la FIQ ont exercé des moyens de pression importants efficaces qui ont débouché sur une entente de principe (qui n’a pas encore été adoptée par les membres concernéEs). Il se peut que les organisations syndicales planifient une action pour souligner, le 31 mars prochain, que les contrats de travail sont échus depuis un an maintenant dans les secteurs public et parapublic. Donc, une année sans véritables améliorations des conditions de travail et de rémunération et ce dans un contexte où certains services publics sont sollicités plus qu’à la normale. Cette situation est à tout le moins fort étrange et devra être clarifiée et expliquée éventuellement.

Pour conclure : « Manipulation (1) » et « Herméneutique (2) »

En terminant, osons deux petites interrogations : se pourrait-il que les négociatrices et les négociateurs du Conseil du trésor manipulent certaines organisations syndicales ? Se pourrait-il que les Comités patronaux de négociation et le Conseil du trésor agissent en déployant une stratégie de négociation qui correspond à un authentique simulacre de négociation ? Réponse : à voir ce qui se passe autour des différentes tables de la santé, de l’éducation et de l’administration publique la réponse est sans aucune hésitation « Oui » et un immense « Oui affirmatif ». Car, il y a belle lurette que la présente ronde de négociation aurait pu et aurait dû être conclue. Il y a un an, le premier ministre François Legault disait même qu’il voulait que le tout soit terminé à la fin mars 2020. Par conséquent, quelle est la science qui peut éventuellement nous venir en aide pour lever le voile sur ce qui se passe en ce moment dans la négociation des secteurs public et parapublic ?

Si l’État-patron manipule certaines organisations syndicales à différentes tables de négociation en feignant de négocier, il faut faire attention aux mots et au langage des acteurs et des actrices qui participent directement à la négociation. Nous le savons, la langue est le principal organe de la parole. Il y a celles et ceux qui n’en font peu ou prou usage ou encore pas du tout et, à l’opposé, celles et ceux qui ne la gardent pas dans leur poche. La langue gestuelle, écrite ou orale permet de communiquer avec autrui. Chez les humains, il y a le « langage des fleurs » (celui qui sert à exprimer une passion) et à l’opposé la « langue de bois » (un discours qui repose sur l’utilisation abusive de stéréotypes). Face aux discours des parties négociantes et face au silence des parties qui les surveillent et les critiquent (les partis politiques de l’opposition et les médias principalement), il faut donc se montrer vigilant. Il faut aussi se demander si les porte-parole gouvernementaux et syndicaux qui commentent la négociation disent la vérité ou mentent ?

Pour être en mesure de comprendre, de manière savante, la négociation des secteurs public et parapublic, nous devons avoir les qualités d’un traducteur qui peut lire entre les lignes et qui est capable d’interpréter les mots et les silences des protagonistes. Nous avons lu récemment que l’herméneutique sert à expliquer, en le décodant, un texte. Bref, cette science peut nous aider à saisir le sens profond d’un discours (gestuel, écrit ou parlé). Le chantier que nous avons devant nous pour décrypter cette négociation, qui traîne en longueur et dont certaines organisations syndicales refusent de se compromettre sur un échéancier précis quant à son dénouement, est vaste. Très vaste même.

La présente ronde de négociation nous aura minimalement servi à nous demander si une des deux parties est en mesure de manipuler l’autre et de nous faire découvrir l’importance de cette science qui permet d’expliciter et de comprendre les discours des acteurs et des actrices : l’herméneutique. C’est une bonne double leçon à retenir pour l’avenir. C’est déjà ça.

Il y a en ce moment des personnes qui exercent diverses professions ou divers métiers dans les secteurs public et parapublic et qui sont sans contrat de travail depuis bientôt un an, c’est-à-dire qui n’ont pas eu droit à une amélioration de leurs conditions de travail et de rémunération. Nous avons l’impression, à Presse-toi à gauche ! que le sort réservé par le gouvernement Legault aux 560 000 salariéEs syndiquéEs qui sont à environ 75% des femmes qui pour plusieurs sont en contact direct avec la COVID-19 intéresse peu, trop peu, les personnes qui ont pour mandat d’informer l’opinion publique au sujet des choix stratégiques du gouvernement. Il y a une limite à tenir ces personnes salariéEs syndiquéEs pour acquises pour l’État-patron et pour celles et ceux qui utilisent les services. Il est temps que d’autres voix que la nôtre, dans les médias et sur la scène de la vie politique, se mettent à le clamer également !

Yvan Perrier

8 mars 2021

7 heures

yvan_perrier@hotmail.com

[1] Influencer habilement dans le but de contrôler ou d’influencer les choix et les actions d’une personne ou d’une organisation.

[2] Science qui décode les multiples sens possibles des gestes et des discours écrits et verbaux.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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