Édition du 17 juin 2025

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Le blogue de Pierre Beaudet

Déménager, ou rester là …

Lors des sessions organisés par l’U Pop auxquelles j’ai eu la chance de participer, de sérieux débats ont permis de mieux comprendre les dynamiques contradictoires qui nous confrontent.

Pour plusieurs participant-es à ces discussions, le mouvement populaire est incapable de changer le rapport de forces. La « grosse machine » finit par l’emporter, même quand on pense qu’on l’a fait reculer. À court terme, il semble improbable qu’une coalition de type « carrés rouges » se mette en place. Le dispositif politique est verrouillé entre la droite et l’ultra droite. Québec Solidaire ne parvient pas à se sortir d’une certaine marginalité. « Aussi bien déménager quelque part où on peut respirer un peu », affirmait une participante.

Mais cette opinion ne fait pas consensus. Une enseignante racontait que pour elle, tout a basculé avec la mobilisation du printemps 2012. Pour un temps, il y avait non seulement une masse critique pour le changement, mais une autre atmosphère. « Le monde se parlait », nous disait-elle. « On voyait des gens avoir une petite étincelle dans le creux des yeux ». « Ma vie a changé en tout cas ». Pour sa part, un autre monsieur, un ex syndicaliste, nous a expliqué que les syndicats ont été interpellés par les étudiants. « Après tout, on peut lutter, on peut résister, on peut même gagner ». « Depuis des années, certains chefs syndicaux nous ont dit le contraire : on ne peut pas lutter, on ne peut pas résister ». Pour lui, il y a présentement une vague de fond qui est en train de lever dans le mouvement syndical devant les assauts qui sont en cours contre les conditions de travail, les salaires, les pensions. « Les étudiants nous ont monté le chemin ».

Pour les mouvements populaires, il est toujours difficile de réconcilier les objectifs des luttes immédiates, ce qu’on peut appeler le « temps court », avec l’utopie d’une grande transformation, qui ne peut pas se faire rapidement (ce qu’on peut appeler le « temps long »). Les grands changements surviennent des luttes, même des « petites » luttes, qui ne sont jamais si « petites » que cela. Il y a une accumulation qui finit parfois (mais pas toujours), par forcer le changement. C’est ce qui est arrivé dans des périodes de grands bouleversements, comme par exemple lors de la révolution pas-si-tranquille au Québec. Aujourd’hui en tout cas, le vent du changement souffle fort dans toutes sortes de coins de la planète. Est-ce assez pour changer le monde ? Qui peut le dire …

Pour autant, il ne faut pas tomber dans une vision un peu « jovaliste », « hollywoodienne », comme si le changement était inévitable. Les dominants eux-aussi s’organisent, luttent, résistent. Ils ont évidemment de puissants moyens pour refouler les dominés, aussi bien dans la « bataille des idées » que par la force brutale. Généralement, avec leur armée d’intellectuels de service, ils cherchent à convaincre le peuple d’une idée : « vous n’êtes rien, n’essayez même pas ! » Beaucoup de gens sont intimidés par ce discours et après quelques moments d’enthousiasme, ils retombent dans l’inertie.

Rien n’est donc donné d’avance. Il faut capitaliser sur la créativité et le sens de la révolte des masses, sans l’idéaliser et sans nier les contradictions qui les traversent. Il faut bien regarder les choses, faire des enquêtes, essayer de décortiquer la complexité du réel. Par exemple, les dominants, qui ont l’air tellement puissants, ont des angles morts, appelons cela des « maillons faibles ». De temps en temps ces défaillances sont apparentes, mais c’est au mouvement populaire de les faire ressortir. Par exemple dans le présent moment, il faut expliquer comment le vol des pensions et des retraites n’est pas seulement une attaque contre quelques cols bleus et pompiers, mais une véritable agression contre toute la société. En gros, on veut nous ramener 50 ans en arrière, à l’époque où nos aînés étaient refoulés dans la pauvreté. Va-t-on accepter cela ? No way …

Par ailleurs, les intellectuels doivent être rappelés à leurs responsabilités. Ils ont des outils pour comprendre la complexité et ils doivent non seulement les utiliser, mais apprendre aux gens à manipuler ces outils. Ils doivent sortir de leur tour d’ivoire et se joindre aux mouvements populaires, comme le font certains (encore une petite minorité).

Alors avec cela, on ne pas déménager (où aller de toutes façons ?). On va rester là, car cette société, c’est à nous, et bien qu’elle soit pas mal amochée, on va la recoller et on va faire une deuxième (et pourquoi pas une troisième) révolution-pas-si-tranquille.

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