Édition du 16 avril 2024

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Joseph Alois Schumpeter (1883 – 1950)

Les deux composantes de l’économie capitaliste : l’innovation et la destruction créatrice

À l’instar de Karl Marx, Schumpeter rédige des analyses à caractère pluridisciplinaire. Il analyse l’économie capitaliste à l’aide de deux disciplines connexes : l’histoire et la sociologie. Il s’est plus spécifiquement intéressé au rôle de l’innovation dans la dynamique de la croissance économique.

Auteur de La théorie de l’évolution économique (1912), de Business Cycles (1939) et de Capitalisme, socialisme et démocratie (1942), Schumpeter s’est intéressé à la dynamique de la croissance économique. Elle s’explique, selon lui, par les « innovations » qu’il fait correspondre à : « la mise en place de nouvelles fonctions de production » (J.A. Schumpeter, Business Cycles).

La période économique dans laquelle il a vécu lui a donné l’occasion de constater que tout n’était pas au beau fixe : les périodes de crise et de prospérité se succédaient. Il a été en mesure de vérifier que le modèle de la concurrence parfaite des auteurs néo-classiques (Léon Walras et Carl Menger, entre autres) ne correspondait pas à la réalité du capitalisme historique et que le processus économique était « déséquilibré, discontinu, disharmonieux ». Ce qui explique la présence dans l’histoire du capitalisme « d’explosions violentes et de catastrophes » (J. A. Schumpeter, Théorie de l’évolution économique). Se pose dès lors, pour lui, une question centrale : comment rendre compte de l’évolution économique capitaliste réelle du XIXe siècle (1870-1880) jusqu’à la crise des années trente ?

Schumpeter observe ici que ce sont les innovations qui amorcent toujours la croissance économique (utilisation de l’électricité, du téléphone, de l’automobile, etc.) et que les industries jouent un rôle déterminant dans les périodes d’expansion et de récessions.

En fait, l’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisation industrielle, tous les éléments créés par l’initiative capitaliste. » (J. A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie).

Le seul élément capable de faire évoluer l’activité économique réside dans ce que Schumpeter appelle l’innovation qu’il définit comme étant :

L’exécution de nouvelles combinaisons qui englobe les cinq cas suivants :

1- fabrication d’un bien nouveau, c’est-à-dire non encore familier au cercle des consommateurs, ou d’une qualité nouvelle d’un bien.

2- Introduction d’une méthode de production nouvelle, c’est-à-dire pratiquement inconnue de la branche intéressée de l’industrie ; il n’est nullement nécessaire qu’elle repose sur une découverte scientifiquement nouvelle et elle peut aussi résider dans de nouveaux procédés commerciaux pour une marchandise.

3- Ouverture d’un débouché nouveau, c’est-à-dire d’un marché où, jusqu’à présent, la branche intéressée de l’industrie du pays intéressé n’a encore été introduite, que ce marché ait existé ou non.

4- Conquête d’une nouvelle source de matières premières ou de produits semi-œuvrés ; à nouveau peu importe qu’il faille créer cette source ou qu’elle ait existé antérieurement, que l’on ne l’ait pas prise en considération ou qu’elle ait été tenue pour inaccessible.

5- Réalisation d’une nouvelle organisation, comme la création d’une situation de monopole (par exemple la trustification) ou l’apparition brusque d’un monopole. (J.A. Schumpeter, la théorie de l’évolution économique).

L’économie capitaliste n’a rien à voir avec une économie de type stationnaire. Il s’agit plutôt d’un mode de transformation permanent de l’activité économique et de ses structures organisationnelles. À ce sujet, Schumpeter parle même de « destruction créatrice » (elles créent de nouvelles activités en participant à la destruction d’anciennes). Parce que les innovations ne sont pas également réparties dans le temps, il y a, selon Schumpeter, une alternance de phases d’expansion, de crise et de récession. La croissance ne peut donc pas être permanente. Trois causes mènent inéluctablement toutes les économies vers une nouvelle récession : premièrement, la prospérité n’est pas générale (il y a des gagnants et des perdants) ; deuxièmement, les entreprises qui ont innové doivent rembourser les emprunts contractés pour procéder à la réalisation de leurs innovations (ce qui entraîne une diminution du pouvoir d’achat vers les autres entreprises) ; finalement la phase de la croissance s’accompagne d’une hausse de la demande des moyens de production, d’où une augmentation possible des prix et une baisse des profits.

À la question y a-t-il encore un avenir pour le capitalisme ? Schumpeter répond par la négative. Le capitalisme est un mode de production qui se condamne à l’auto-destruction. Il prédit que le socialisme l’emportera sur le capitalisme et que l’organisation bureaucratique dominera toute autre forme d’organisation.

Conclusion

Nous savons ce qu’il est advenu de la prédiction de Schumpeter face à l’avenir. En effet, le capitalisme est un mode de production productiviste qui mène l’humanité à sa perte (Keynes disait également « qu’à long terme nous sommes morts »). Pour ce qui est du socialisme, nous avons bien vu l’héritage que nous ont légué celles et ceux qui ont exercé le pouvoir en disant œuvrer à la mise en place d’économies planifiées dans le cadre d’un régime politique de type « Démocratie populaire ». Mettons qu’aujourd’hui le socialisme, à la lumière de sa pratique, a du plomb dans l’aile et il ne se présente plus comme un horizon indépassable.

Il y a malgré tout une grande leçon à retenir de Schumpeter, nous traversons en ce moment une crise économique qui était annoncée depuis au moins deux ans. Cette crise survient après un cycle de croissance économique qui a duré environ onze ans (de 2008 à 2019). Cette crise n’est pas imputable uniquement au Coronavirus, elle était inévitable et inscrite au cœur même de l’économie capitaliste. Pourquoi ? Parce que la logique de la croissance capitaliste suppose un processus de « destruction créatrice ». Dans ce processus de destruction et de création, il y a immanquablement deux phases : la croissance et la crise. Attendons-nous à vivre, tant que le capitalisme sera le mode de production dominant, des périodes de « Crise de la croissance » et de… « Croissance de la crise » !

Yvan Perrier
yvan_perrier@hotmail.com
7 mai 2020

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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