Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

L’ « autre » guerre

Pendant que les négociations s’étiolent sur l’Iran et que la guerre s’intensifie en Syrie, l’opinion et les médias ne portent presque plus attention à l’Afghanistan, qui a pourtant été et demeure encore aujourd’hui un des grands enjeux de la « guerre sans fin » amorcée en 2001 par les États-Unis.

Au nom de la lutte contre le « terrorisme »

Quelques mois après les attentats de New York et de Washington en 2001, les États-Unis ont attaqué l’Afghanistan. Le régime des Talibans a été rapidement renversé, en partie par les bombardements massifs qui ont détruit le peu de ce qui existait comme infrastructure, en partie parce que les combattants afghans anti-Talibans, la dite « Alliance du nord », a fait pour le compte des États-Unis le travail sur le terrain. L’opinion publique est restée muette devant les massacres à grande échelle qui ont été perpétrés contre des civils et contre les Talibans capturés, dans le plus grand mépris des droits, tant était étanche le discours « anti-terroriste » relayé par les gouvernements et les médias aux États-Unis et ailleurs.

Une fois le sale travail fait, les États-Unis ont rapatrié les armées de l’OTAN (on oublie que cela n’a jamais été approuvé par l’ONU) pour occuper le pays. C’est à ce moment que les premiers soldats canadiens ont été déployés sur le terrain, tel que l’a décidé le gouvernement de Jean Chrétien, avec l’appui unanime de tous les autres partis, conservateurs, NPD et Bloc québécois.

Quatre ans plus tard, la guerre a connu un nouveau rebondissement. Les Talibans, pourtant honnis d’une bonne partie de la population afghane, ont fait un « come-back » en animant la résistance contre l’occupation. Il faut dire que l’armée américaine les a beaucoup aidés, avec les tueries de civils, les bombardements indiscriminés, la destruction des récoltes (au nom de la guerre contre l’opium). Cela a été un monumental échec, relayé par une poignée de seigneurs de la guerre et de voyous afghans, à commencer par le « président » Hamid Karzai. Des élections truquées, la pratique généralisée de la torture dans les prisons, une corruption gigantesque qui a détourné la majeure partie des fonds de la dite « aide internationale », ont été perçus par la population comme autant de manifestations d’une terrible subjugation, et ce dans un pays habitué à la résistance.

Le Canada supplétif de l’occupation

Aux lendemains de l’élection d’Obama en 2008, l’armée américaine a lancé une nouvelle offensive, en augmentant les troupes d’occupation de plusieurs milliers de combattants. Le Canada de Stephen Harper a répondu à l’« appel ». Encore une fois avec l’appui des autres partis présents au Parlement, la présence canadienne a été « réorganisée » pour être présente directement sur la ligne de front dans la province de Kandahar, le cœur de la résistance. Après sa réélection en 2011, les conservateurs devenus majoritaires en ont profité pour augmenter considérablement le budget militaire. Parallèlement, Harper changeait le mandat de l’Agence canadienne de développement international pour en faire un supplétif des opérations. Cette « militarisation » de l’aide a été dénoncée par plusieurs ONG, d’autant plus que les centaines de millions consacrés à dives projets ont surtout abouti dans les poches de quelques profiteurs proches de Karzai et de son administration corrompue.

Un comité « non-partisan » mis en place par Harper et présidé par l’ancien ministre libéral John Manley a accepté de couvrir le scandale en prétendant que le Canada était présent sur le terrain pour « sauver des vies » et « protéger les droits des femmes ». Bien peu de parlementaires ont osé dire la vérité, à part une poignée de députés du NPD (Libby Davies) et du Bloc (Francine Lalonde).

Le redéploiement

Vers 2010, il est devenu clair pour les stratèges du Pentagone que l’occupation était vouée à l’échec et qu’il fallait penser à une nouvelle approche. C’est ainsi que Washington et ses larbins ont annoncé le retrait des troupes pour 2014. Pour leur part, les soldats canadiens ont été retirés du front, après une pitoyable performance où les talibans n’ont pas vraiment été affaiblis et où plusieurs dizaines de jeunes militaires canadiens ont été tués et blessés, fondamentalement pour rien.

À quelques mois de l’échéance de 2014, des pourparlers ont été entamés à Kaboul pour gérer ce « départ » qui est davantage un redéploiement. Les États-Unis « offrent » de laisser derrière de 10 à 15 000 soldats, soi-disant pour parfaire la « formation » des militaires afghans. À Kaboul, on ne donne pas cher de cette armée afghane qui pourrait rapidement s’écrouler devant les Talibans dont l’influence n’a cessé de s’étendre depuis trois ans. Non seulement contrôlent-ils la majeure partie du territoire, mais ils sont en mesure de procéder à des opérations de grande envergure à Kaboul et dans les grandes villes « protégées » par l’armée d’occupation. Les États-Unis insistent pour que la présence de leurs troupes soit assortie d’une impunité totale de leurs soldats. Dans la dernière année, des atrocités ont été commises par des soldats. En mars 2012, Robert Bales, un sergent de l’armée américaine, a assassiné douze civils, incluant neuf enfants. Il a été rapidement « extirpé » de l’Afghanistan et emprisonné aux États-Unis, alors que les Afghans réclamaient un procès devant un tribunal afghan. La politique américaine est d’imposer aux pays qui « reçoivent » des soldats américains cette impunité. Réunis dans une « loya jirga » (assemblée), des élus et des personnalités afghanes discutent présentement de la proposition américaine d’un accord bilatéral de sécurité. Il y a beaucoup d’opposition au sein de la Loya Jirga, de même que dans les rues de Kaboul, Kandahar, Jalalabad et d’autres grandes villes.

L’occupation sous une autre forme

Les États-Unis réclament également le maintien de trois grandes bases militaires qu’ils ont érigées à Bagram, Kandahar et Shindand et où sont stationnés des centaines d’avions. Ces appareils en fait ne peuvent pas vraiment servir à la guerre contre les Talibans dispersés dans de petites unités combattantes un peu partout sur le territoire. La tactique américaine est de les intimider par les drones et de sécuriser quelques axes de transport autour des villes. A quoi sert cette puissante armada aérienne alors ? En réalité, elle fait partie du dispositif régional mis en place par les États-Unis, car de ces bases, on peut facilement attaquer l’Iran, voire le Pakistan et les anciennes républiques soviétiques au nord du pays. À partir de là, la Russie et la Chine deviennent également à portée des avions américains.

Pendant qu’on fait semblant de négocier à Kaboul, de vraies discussions ont lieu sous l’égide de l’Arabie saoudite et des pétromonarchies du Golfe, dont les accointances avec les Talibans datent de loin. Les Talibans y disposent d’une représentation quasi diplomatique et c’est là que des discussions ont lieu avec les Américains. Les Talibans sont relativement sûrs de leur force, ils savent que l’armée américaine a perdu la guerre. Pour autant, ils ne sont pas assez forts pour conquérir le pouvoir tant que les forces d’occupation restent sur le terrain. Implicitement, les Talibans promettent à leurs protecteurs saoudiens que dans l’éventualité de leur retour au pouvoir, ils vont se « tenir tranquilles », c’est-à-dire qu’ils vont rompre les liens avec la mouvance jihadiste. Leur argument est renforcé du fait que cette mouvance est maintenant « occupée » en Syrie dans une guerre à finir contre le régime syrien, l’allié de l’Iran dans la région et donc l’ennemi des États-Unis. Pour les pétromonarchies, il devient important alors de « réhabiliter » les Talibans et indirectement les jihadistes qui sont devenus des « ennemis de l’ennemi », comme ils l’étaient à l’époque de la Guerre froide lorsque les États-Unis avaient appuyé les Jihadistes y compris un certain Ben Ladden. Pour le moment, Washington n’est pas prêt à aller jusque-là, du moins ouvertement. Ils se contentent de laisser faire leurs gênants « alliés ».

La « guerre sans fin », ce n’est pas une métaphore

Dans le cas de l’Afghanistan, les États-Unis disposent d’une autre carte. Dans le cas d’un « retour » plus ou moins toléré des Talibans dans le sud et le centre du pays où leur force est concentrée, ils pourront s’appuyer sur les seigneurs de la guerre, les anciens de l’« Alliance du nord », qui sont ultra militarisés et qui contrôlent une grande partie du trafic de l’opium. Ces bandits peuvent aussi utiliser la peur des ethnies minoritaires (qui sont concentrées au nord du pays) face aux Talibans dont la base ethnique est composée principalement de Pachtounes (majoritaires au sud). Il se dessine ainsi un découpage de l’Afghanistan, comme cela est le cas en Irak, où les États-Unis ont de facto encouragé la partition du pays entre diverses factions définies sur une base communautaire et-ou ethnique. C’est une stratégie semblable qui est employée contre les Palestiniens et qui pourrait également faire basculer la Syrie, le Liban, voire d’autres États de la région. D’une façon ou d’une autre, la fin de la guerre n’est pas pour demain en Afghanistan et dans ce vaste arc en crise qui se trouve être l’épicentre de la guerre sans fin. Avec Harper en tout cas, le Canada reste bien accroché. Malheureusement, il ne semble pas que cela serait très différent avec Justin Trudeau ou même avec Mulcair.

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