Édition du 30 avril 2024

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Le (non) projet de Daniel Paillé

Triste président d’un triste parti, l’ex-patron Daniel Paillé dirige un cadavre ambulant qui s’appelle le Bloc Québécois. Il y a quelques jours, un fantomatique Conseil général fanfaronnait devant un parterre clairsemé sur la « remontée » de la formation qui a connu ses heures de gloire dans les années 1990. En réalité, ce projet initié par Lucien Bouchard n’a plus rien à dire ni à faire. Il n’y a eu aucun changement dans les sondages depuis la raclée subie en mai 2011. Dans plusieurs comtés, il y a si peu d’intérêt qu’on a cancellé des parties de Noel. À Paillé qui clame que « tout va bien » avec 35 000 membres, des mauvaises langues (y compris d’anciens députés bloquistes) affirment que cette liste est dépassée et que la base non seulement a fondu mais continue de fondre.

Les contradictions de Québec inc.

Paillé avait été recruté par Jacques Parizeau alors que celui-ci rêvait encore de mobiliser une fraction de la bourgeoisie québécoise. Mais le vent a tourné pour le PQ sur cette question (comme sur bien d’autres). Peu d’aspirants capitalistes ont répondu à l’appel, tellement Québec inc se sent confortable au sein de Canada inc. Les gros requins, Bombardier par exemple, ne veulent rien savoir du projet péquiste qu’ils voient comme déstabilisant. Les moyens requins (Quebecor notamment) ne veulent pas risquer leur mise avec quelque chose d’ambigu qui s’appelle la souveraineté du Québec. Certes de temps en temps, ils vont frayer avec la mouvance nationaliste, question de passer un message aux dominants anglo-canadiens. PK Péladeau par exemple est passé maître dans ce jeu qui consiste à parler des deux coins de la bouche, d’une part pour faire des professions de foi vaguement nationalistes, d’autre part pour parader auprès de la bourgeoisie canadienne comme le rempart les protégeant d’un peuple décidément trop récalcitrant. Un autre champion de ce double discours sur lequel misait Parizeau est François Legault : on sait ce qui est arrivé avec lui ! Parizeau lui-même le sait, cette histoire de réunir Québec inc derrière le PQ et le projet souverainiste est remise à la semaine des quatre jeudis.

Un homme sans qualité pour un parti sans identité

Paillé, ex-cadre chez Quebecor et Canam-Manac se voyait un nouveau kingpin après son élection à l’Assemblée nationale en 1994. Mais il a compris que ses chances de devenir le « cheuf » du PQ étaient trop minces, ce qui l’avait mené à démissionner et à retourner dans son cher secteur privé. En 2009, il est revenu à la politique en tant que député du Bloc. Depuis la débâche de 2011 où il a perdu ses propres élections, il est devenu chef du Bloc après une campagne très moche où il a vaincu la députée Maria Mourani qui avait eu au moins le mérite d’affirmer que le Bloc devait se « réinventer ». Les manœuvres en coulisses du PQ et la démobilisation des membres ont fait en sorte que Paillé, pratiquement par défaut, s’est imposé.

Mission impossible

Le succès initial du Bloc à se présenter à Ottawa comme le fer de lance de la souveraineté dans l’arène fédérale est aujourd’hui impensable. Le PQ qui glisse dans la « gouvernance souverainiste » n’a aucune intention ni aucun moyen de relancer la souveraineté. Sous l’égide des Lucides, il gère le Québec comme n’importe quelle administration provinciale, via d’absurdes politiques d’austérité alignées sur les priorités macro-économiques déterminées par les dominants : réduction des services publics, maintien de la fiscalité inéquitable au profit du 1%, appuis aux politiques de libre-échange, etc. Tout cela saupoudré de quelques envolées verbales sur la souveraineté, l’environnement, etc. Paillé n’a aucun rôle à jouer dans cette évolution et on comprend donc que l’idée d’une formation politique à Ottawa « pour défendre le Québec » dans un tel contexte ne vole pas haut.

Ne jamais dire jamais

Pourtant, la politique est parfois surprenante. Paillé mise sur l’échec des autres, notamment le NPD, à risque devant Justin Trudeau qui va probablement rapatrier le vote fédéraliste au Québec (ceux des non-francophones en particulier et des régions traditionnellement libérales comme l’ouest de Montréal, Laval, l’Outaouais, Québec). Ailleurs en région et même dans l’est de Montréal, le Bloc aurait une chance de se faufiler en récupérant quelques votes nationalistes (attirés en 2011 par Jack Layton) et surtout en profitant du fait que le PLC et le NPD vont se cannibaliser l’un l’autre. Paillé tente par ailleurs de miner Mulcair en démontrant (ce qui n’est pas difficile) que ce parti n’est pas fiable. L’ancien ministre libéral en effet n’a pas le choix que de courtiser le vote dans le reste du Canada, ce qui veut dire constamment dire une chose et son contraire, que ce soit sur les questions constitutionnelles, environnementales, économiques, etc. Paillé pourrait alors profiter d’une lutte à trois, qui est toujours imprévisible. Si le Bloc peut chercher 30% et un peu plus, il pourrait prolonger sa vie, un peu comme les personnes aux soins palliatifs. Sur le fond, est-ce que cela donnerait quelque chose au peuple québécois et même au Bloc Québécois ? Je vous laisse répondre à cette question.

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