Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Au-delà du yoyo et du mollo

Les conditions de la sortie du tunnel pandémique

Les gouvernements aiment bien parler de vagues de contamination. Mais, il n’y a pas là un quelconque phénomène naturel. Confinement, déconfinement et reconfinement afin d’éviter de diminuer la contamination et d’éviter l’effondrement du système de santé, voilà ce qui constitue les axes essentiels de leur gestion de la pandémie. Si ce n’était la vaccination massive, on ne pourrait pas même envisager de sortie de cette spirale infernale. Mais le nationalisme vaccinal qui laisse une grande partie de la population mondiale vaccinée que marginalement laisse une grande place à l’apparition de nouveaux variants du virus et à la relance de nouvelles contaminations. Rien pour nous sortir réellement du tunnel dans lequel la pandémie nous a fait rentrer. Il serait temps de prendre en considération des voies de sortie de cette crise qui ont déjà été suggérées par plusieurs.

Une impréparation qui vient de loin

Le Canada et le Québec n’étaient pas préparés à une pandémie de l’envergure que l’on connaît. Au Québec, le nombre de lits d’hôpitaux a été réduit de façon radicale. Le personnel de la santé également. Les masques et autres moyens de protection face à la pandémie n’étaient pas produits ici. Une réelle souveraineté en matière de santé avait été abandonnée au profit de délocalisations dans une logique de mondialisation et de recherche de moindre coût et d’engrangement des profits. Les moyens de dépistage n’étaient pas disponibles. La réalité et l’étendue de la pandémie ne pouvaient être réellement estimées. Face à ces pénuries, on a donc assisté à une course effrénée de tous les pays occidentaux pour se procurer le matériel nécessaire (masques, ventilateurs, tests) en Chine dans un climat de foire d’empoigne. Pour couvrir cette impréparation, nous avons eu droit, par exemple de la part des responsables de la santé publique, à l’expression de doutes sur l’utilité des masques et sur le fait que leur port généralisé relevait plus d’une question de culture que d’une nécessité sanitaire.

La principale préoccupation était de favoriser les conditions d’une reprise et de la poursuite du business as usual. Pour éviter l’approfondissement de la crise économique provoquée par la pandémie, les gouvernements ont donc soutenu la trésorerie des entreprises et ont fourni les revenus d’appoint pour permettre la survie des travailleurs des travailleuses. Ils ont pris la décision de fermer des frontières. Face à l’absence, dans un premier temps, de moyens massifs de détection des virus et devant l’absence de vaccins, la distanciation sociale et l’établissement de gestes barrières sont apparus comme les seuls moyens de ralentir la diffusion du virus, d’« aplatir la vague » et d’empêcher que le système hospitalier ne s’effondre sous la généralisation des infections. Le caractère plus ou moins strict des mesures imposées aux populations a varié selon les gouvernements, mais dans l’ensemble, les gouvernements ont présenté comme une guerre la résistance à la pandémie, ne laissant que peu d’espaces aux différents acteurs de la société civile.

La production et la diffusion des vaccins : trusts pharmaceutiques et nationalisme vaccinal

La majorité de la recherche sur les virus avait été faite par des centres de recherches publics. Mais, les gouvernements s’en sont remis aux grands trusts pharmaceutiques pour produire le vaccin et le diffuser. L’arrivée des vaccins ne s’est pas faite suite à une planification mondiale de distribution de ces derniers. Les grands pays capitalistes avancés, le Canada en tête, ont cherché par des investissements massifs à accaparer du maximum de vaccins au mépris d’une distribution plus égalitaire au niveau planétaire. Plus grave encore, le gouvernement canadien, se fait le défenseur des brevets des pharmaceutiques et s’est objecté à la production et à la diffusion libre des vaccins limitant encore une fois, l’accès aux vaccins.. Les pays du G7 qui n’héberge que 10% de la population mondiale se sont accaparé la vaste majorité des doses et ont défendu un nationalisme vaccinal qui peut conduire à une véritable impasse. L’expérience a démontré que le virus est aveugle aux frontières. Des variants peuvent apparaître dans des pays peu vaccinés et se rediffuser à l’échelle mondiale en relançant la pandémie. Ce nationalisme vaccinal relève d’une logique honteuse et vient anéantir nos chances de parvenir à éliminer le virus qui nous menace. Aujourd’hui, sur le continent africain, environ 10% de la population est pleinement vaccinée alors que nous sommes à envisager une quatrième dose.

L’espoir toujours repoussé de l’immunité collective

Si l’immunité collective a été envisagé par les régimes conservateurs (Bolsonaro, Johnson, Trump) comme stratégie possible au début de la pandémie, et ce, en l’absence de vaccins, les pertes s’annonçant trop nombreuses et non gérables politiquement, cette orientation a dû être abandonnée. Mais avec la vaccination de masse, la perspective de toucher à l’immunité collective semblait à portée de main si ce n’était le caractère difficilement compressible du nombre de non-vacciné-e-s Mais cet espoir a dû être repoussé, car le vaccin ne permet pas d’enrayer toute transmission. Il permet plutôt d’éviter les formes les plus graves de la maladie. Mais des discours dangereux peuvent resurgir. Il faudrait apprendre à vivre avec le coronavirus. Les propos qui comparent cette infection à la grippe refont surface. Or si Omicron semble moins létal, sa grande transmissibilité fait que le grand nombre de personnes infectées conduit tout de même à un nombre important de morts. Présenter Omicron comme un virus bénin est tout à fait irresponsable, surtout qu’il reste beaucoup à apprendre sur les formes longues de l’infection par la covid 19. Sans parler de la menace de l’apparition de nouveaux variants compte tenu du caractère très inégal de la vaccination au niveau mondial.

Le gouvernement Legault, un mimétisme assumé face à la gestion des autres gouvernements néolibéraux

La pandémie a durement frappé fort en fauchant plus de 5000 vies dans les CHSLD et les RPA. Cela a démontré le manque de personnel et la recherche d’un maximum de profits a été à la source des manques de soin et la cause de l’hécatombe qu’on n’a pas su voir venir. Les politiques néolibérales de désinvestissement dans le secteur de la santé et de privatisation d’une bonne part de ce secteur préparaient ces lourdes conséquences.

Le matériel de dépistage et de protection faisant défaut, la stratégie zéro covid (dépister, tracer, isoler les personnes infectées) s’est avéré impossible. On s’est donc rabattu sur le confinement généralisé allant jusqu’à imposer à deux reprises le couvre-feu. Les lieux de socialisation (restaurants, salles de spectacles, gyms, lieux de loisirs sportifs) ont été fermés à de multiples reprises, réouverts sur une base partielle. Les modalités changeantes des confinements et des déconfinements semblaient davantage suivre une logique politique de gestion de la grogne qu’une logique purement sanitaire. L’ouverture des écoles a toujours été dans la priorité du gouvernement Legault. L’actuel retour en classe s’appuie sur l’acceptation de seuils plus élevés de transmission du virus pour fermer des classes. C’est approche est pour le moins risquée sans compter le refus de fournir aux enseignant-e-s et aux autres personnels le matériel nécessaire pour les protéger (maques N-95), matériel constamment réclamé. Depuis la reconnaissance de la transmission du virus par aérosol, les organisations syndicales réclament l’installation de systèmes de ventilation. Aujourd’hui, au début de 2022, on en reconnaît l’utilité, mais un travail systématique d’installation n’est pas encore en cours.

La gestion Legault ou le paternalisme autoritaire

Dès la première vague de mars 2020, le gouvernement Legault a mis en place l’état d’urgence sanitaire (14 mars 2020) et nous n’en sommes pas sorti. Il a rejeté les appels de tous les partis d’opposition à mettre fin à cet état d’urgence qui permet d’imposer des décisions arbitraires. Il a décrété des changements dans les conditions de travail en faisant fi des conventions collectives. Il a annulé des vacances des infirmières. Il a ordonné des confinements, des déconfinements et des reconfinements en jouant sur les modalités sans en justifier les tenants et aboutissants. Il est même allé jusqu’à imposer par deux fois le couvre-feu à l’ensemble de la population du Québec.

Pour continuer à jeter la confusion et à se laver les mains face à la situation actuelle, le gouvernement Legault a commencé à faire des non-vaccinés les responsables de tous les maux qui frappent le système de santé au Québec. Il a écarté la reconnaissance des tests négatifs comme suffisant pour donner accès à certains lieux et il a imposé le passeport sanitaire. Puis en poussant plus loin, sa volonté de faire des non-vaccinés le bouc émissaire de tous les maux du système de santé, il veut maintenant imposer la contribution santé aux non-vaccinés pour pouvoir se faire soigner.

Il a surtout refusé d’aborder la crise du coronavirus en donnant des initiatives aux diverses organisations de la société civile et en offrant des cadres démocratiques où ils auraient pu apporter leurs propositions et définir leurs contributions à la lutte contre la pandémie.

Des pistes : les indispensables et les incontournables

1. Au Québec, le nombre de lits d’hôpitaux a été divisé par 3 dans les dernières décennies, la réduction du personnel a suivi. Le sous-investissement a été chronique. La privatisation a été rampante. Ces politiques néolibérales ont affaibli le système de santé. Il faut défendre l’urgence d’un réinvestissement massif dans le système de santé et embauchée massivement dans le secteur public et communautaire pour pouvoir répondre aux besoins de la population. Il faut mener une campagne pour en finir avec les conditions lamentables faites aux personnes âgées dans les CHSLD et les RPA et socialiser l’ensemble du système de santé et de soin (CHSLD, RPA, cliniques privées, laboratoires privés jusqu’aux installations pharmaceutiques présentes sur le territoires québécois). Le projet de Pharma-Québec est plus pertinent que jamais. Il faut améliorer les salaires et les conditions de travail. [1]

2. « Redonner vie à la solidarité, à l’action collective, à l’auto-organisation et partant à la liberté en action, c’est agir pour obliger une autre politique des vaccins, leur généralisation et leur production de masse pour une vaccination de l’ensemble de la planète, pour aider les plus démuni-e-s et les plus réticents à se faire vacciner, en s’organisant à la base, et décider tout-e-s ensemble de soumettre nos besoins et désirs individuels à une cause plus générale, la disparition de cette pandémie par la fin des brevets, les transferts de technologie, la réquisition des entreprises pharmaceutiques. » Il faut partir des organisations associatives, syndicales et politiques. [2]

3. Il faut reconnaître le caractère de bien public de la santé, de l’appareil sanitaire et de tous les instruments de protection. Dans tous les secteurs stratégiques à la lutte contre la pandémie, des matériels de protection adaptés doivent être fournis par l’état en réquisitionnant des entreprises pour les produire si nécessaire. Qu’attend le gouvernement Legault pour fournir gratuitement des masques N-95 aux travailleurs et travailleuses de la santé et aux enseignant-e-s et aux autres personnels du milieu de l’éducation. Les travailleurs de ces secteurs doivent être associés à l’établissement des mesures de sécurité. Qu’attendent le gouvernement Legault et son « jovial » ministre de l’Éducation pour installer les purificateurs d’air dans toutes les écoles du Québec.

4. Il faut exiger des États centraux qu’ils financent la vaccination rapide et à vaste échelle de l’ensemble de la population du Sud global. C’est là une condition du dépassement de la pandémie. Le gouvernement Trudeau doit en finir avec son nationalisme vaccinal et sa défense des brevets des grandes pharmaceutiques, défense qui diminue l’accès de populations entières à la vaccination. Comme le rappelait Andrés Fontecilla dans sa lettre du 21 décembre : « Tant que tous les pays n’auront pas une couverture vaccinale appropriée, le Québec et le Canada auront du mal à sortir de la pandémie actuelle et répondre à l’urgence que représentent le variant Omicron et les probables autres variants qui pourraient se développer. La pandémie est mondiale et il faut avoir une réponse mondiale. Il en va non seulement de la solidarité entre nations, mais de la science et du pragmatisme. [3] Le gouvernement fédéral devrait d’ailleurs enfin répondre aux revendications des provinces pour un financement plus important des services de santé.

Sortir enfin du tunnel où la gestion néolibérale de la pandémie nous enferme

L’extension et le reflux de la contamination, les vagues, sont bien le résultat du mode de gestion de la pandémie prise dans la contradiction entre la volonté de reprendre le fonctionnement « normal » de l’économie capitaliste et la volonté d’éviter une catastrophe sanitaire dont ils paieraient un prix politique élevée. Les gouvernements capitalistes ont dû gérer cette contradiction avec un appareil hospitalier et de soin affaibli par des années de politiques néolibérales. Au lieu d’investir pour se donner les moyens de produire tests, respirateurs, masques et appareils de production, ils ont laissé les fournitures aux simples mécanismes de marché et ne se sont donc pas donné les moyens d’une planification véritable. Ils ont cherché à protéger les brevets des pharmaceutiques et ont nui à la généralisation de la vaccination à l’échelle de la planète. Ils ont fait de la gestion de choc sans craindre de réduire les droits démocratiques des populations. Une autre résistance à la pandémie était possible et face à la réalité de sa poursuite, elle est plus que jamais nécessaire.


[1Voir le PLAN RESPECT DE QUÉBEC SOLIDAIRE, un nouveau contrat social avec soignantes du Québec, 16 novembre 2021

[2De quoi la liberté est-elle le nom ? Pistes pour combattre la pandémie tout-e-s ensemble, Patrick Le Moal, 10-01, 2022, Gauche anticapitaliste

[3Andrés Fontecilla, Demande de leadership pour l’opération de vaccination mondiale, Presse-toi à gauche !

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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