Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Projet de loi 96 : la langue au service de la race et non de la nation

Le français, pour vivre, nécessite l’indépendance pro-climat à gauche toute

Dans le bousculement de cette fin de session pré-électorale propice au bâillon, la CAQ mise sur son projet de loi 96 (PL96) modifiant la Charte de la langue française dite loi 101 pour cliver ethniquement l’électorat afin de s’attirer le vote francophone. Pour ce droitiste parti identitaire qui a prouvé à maintes reprises qu’il ne craint pas l’eau chaude raciste — pensons à la loi 21 soi-disant pour la laïcité en réalité islamophobe et au refus de reconnaître le racisme systémique —, PL96 n’est qu’une semblable instrumentalisation avilissante de l’indispensable lutte démocratique et nationale pour la préservation et la promotion du français. Connaissant la vulnérabilité de son bilan social, particulièrement pandémique, et pouvant à peine masquer sa volonté de privatisation des services publics, la CAQ a décidé de faire de la question identitaire la thématique en sourdine de sa prochaine campagne électorale. Si la question de l’immigration reste centrale à cet égard, celle du français y a un rôle spécifique.

Le débat sur la fermeture du chemin Roxham d’où proviennent les personnes réfugiées passant par les ÉU comme celui sur le contrôle de la politique d’immigration (Michel David, Le véritable adversaire, Le Devoir, 21/05/22) a l’avantage de fouetter le sentiment nationaliste contre la mainmise fédérale mais en même temps, de mettre en évidence la mesquinerie identitaire caquiste. Ce seul discours a toutefois le désavantage de déplaire non seulement aux non francophones mais aussi à une grande partie de la jeunesse francophone et aux nationalistes progressistes. Il permet ainsi à Québec solidaire, le principal adversaire de la prochaine élection, de se positionner clairement dans le sens de ne pas abandonner la politique migratoire aux mains d’un parti aux relents racistes. Par contre le sous-débat sur les seuils permet à la CAQ de se donner un vernis anti-patronal tout en embêtant Québec solidaire qui patine sur le sujet. Le Conseil du patronat a beau réclamer un seuil de 100 000 pour remédier à la pénurie de main-d’oeuvre afin de maintenir ses bas salaires et misérables conditions de travail, la CAQ sait très bien que la croissance fulgurante de la main-d’oeuvre temporaire et illégale toutes deux exploitables à merci, et l’absence de politique anti-pauvreté, peut compenser vaille que vaille. Les frustrations des patrons sont ainsi renvoyées à Ottawa.

Un projet de loi apparemment démocratique pour arrêter la débâcle du début de la fin

Cette pointe anti-patronale sent cependant trop l’ethnicisme pour sérieusement convaincre le centre modéré et encore moins de gauche de la masse nationaliste. Tel n’est pas le cas du renforcement de la loi 101 qui vient remuer les entrailles de la lutte contre l’oppression nationale dont celle pour le français est le coeur saignant. Comment d’ailleurs, une personne défendant la biodiversité saurait-elle rester insensible à la préservation de la diversité linguistique et culturelle de l’espèce humaine laquelle diversité contribue à sa résilience ? Quelle personne progressiste et démocrate oserait rejeter du revers de la main les points suivants de ce touffu projet de loi :

• Assujettir les entreprises de 25 à 49 employés à la Charte de la langue française de la même façon que les entreprises de 50 à 99 employés
• Encadrer de manière stricte l’exigence de la connaissance d’une autre langue que le français à l’embauche
• Limiter la possibilité de croissance des places dans les cégeps anglophones à un maximum de 8,7 % — le poids des Québécois d’expression anglaise dans la population québécoise
• Rétablissement de la nette prédominance du français dans l’« affichage public visible depuis l’extérieur d’un local » d’une marque de commerce
• Obligation de respecter le droit d’être servi et informé en français, sous peine de sanctions ou recours juridique
• Établir le français comme langue de communication exclusive du gouvernement
• Offrir des cours de francisation aux employés incapables de communiquer en français dans les entreprises
• Modifier le texte de la Loi constitutionnelle de 1867 pour reconnaître les « caractéristiques fondamentales du Québec » soit son caractère national et le statut du français comme langue commune
(Extraits de Marco Bélair-Cirino, La réforme de la loi 101 du gouvernement Legault décortiquée, Le Devoir, 30/05/21)

Ceci dit, le diable est dans les détails surtout qu’il a de son côté la force grandissante pour ne pas dire triomphante de l’anglais comme lingua franca mondiale boostée par la néolibéralisation du monde depuis quarante ans et encore plus fortement en Amérique du Nord où le Québec francophone occupe la seule vallée du bas St-Laurent. Cette montée du statut mondial de l’anglais, à l’opposé de la perte de statut du français comme langue diplomatique mondiale, se combine à l’anglais comme langue dominante de l’État canadien laquelle n’a eu historiquement de cesse de minorer le français depuis la Conquête tant au Canada qu’au Québec même. Cette lutte s’inscrit de plus dans un contexte nouveau où la majorité francophone relativement jeune peut se débrouiller en anglais tout comme celle anglo-québécoise en français. La tentation est donc forte de passer armes et bagages à l’anglais qui domine, sauf symboliquement et folkloriquement, par efficience économique ou scientifique, ou par faux internationalisme qui se targue de citoyenneté mondiale rejetant comme ringarde la spécificité québécoise.

Sous la lisse cape progressiste, d’inutiles mesquineries et surtout l’épée ethniciste

Dans un tel environnement, toute mesure de défense du français est condamnée à paraître superflue si ce n’est mesquine pour ne pas dire injuste surtout aux yeux de la minorité anglo-québécoise imbue de son statut d’authentiques « Canadian ». Idem du côté des Néo-québécois qui se demandent bien pourquoi on les oblige à apprendre le français alors que l’anglais domine nettement la scène économique et politique, ce envers quoi les francophones rouspètent à peine en autant que les apparences soient sauves. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas renforcer la loi 101 charcutée par la Cour suprême, histoire de sauver les meubles surtout à Montréal et dans l’Outaouais. Si l’affaire se limitait à cet encadrement, on pourrait procéder quitte à discuter la concrétude des mesures, en particulier l’application de la loi 101 aux cégeps anglophones au lieu de les obliger à des contingentements qui en feront des cégeps élitistes. N’en reste pas moins que l’application de la loi 101 aux francophones et allophones fait des anglophones une minorité privilégiée disposant de son réseau scolaire (et hospitalier) nec plus ultra, payé par Québec au-delà de sa proportion historique dans la population québécoise, en plus d’être la seule à avoir le libre choix de la langue d’enseignement.

PL96 est cependant une loi de l’identitaire CAQ dont le but réel est l’électoraliste clivage ethnique qui veut rassembler les nationalistes québécois de toutes tendances, ce que ne peut faire la thématique migratoire. Pour bien marquer le coup, PL96 s’inscrit dans la tendance de l’état d’urgence sanitaire indûment prolongé, qui met entre parenthèses les conventions collectives, non pas en se dissociant par la clause nonobstant de la Charte canadienne des droits et libertés ignoblement imposée au Québec en 1982 pour mater la langue française et dont le peuple québécois est tout à fait légitimé à rejeter en bloc mais en faisant fi de la légitime Charte des droits et libertés de la personne du Québec. PL96 donne à l’Office de la langue française non pas un droit de perquisition tout à fait nécessaire à l’encontre des entreprises « red neck » mais un droit de perquisition sans mandat judiciaire ce qui ouvre la porte à l’arbitraire et au revanchisme. Obliger les peuples autochtones à se soumettre à PL96 est faire preuve de colonialisme alors qu’ils ont clairement fait valoir leur opposition. Obliger le gouvernement à communiquer avec la population québécoise et les entreprises dans la seule commune, sous réserve de la loi de la santé, va de soi mais non à le faire à l’encontre des nouvelles personnes résidentes au bout de seulement six mois ce qui traduit un net préjugé anti-immigrant. Une loi tout simplement humaine devrait stipuler que les communications orales devraient se faire en français seulement si elle est raisonnablement comprise (Catherine Pappas, Le képi du général de Gaulle (et le projet de loi 96), Pivot, 18/05/22).

Un PL96 au fond identitaire à rejeter pour renouer avec un projet de société qui porte le français

On constate que PL96 est un chef d’oeuvre de tactique politique visant à diviser pour mieux être élu. Comme le disent les anglophones : damned if you do, damned if you don’t. Le principal syndicat des professeurs de cégep en est paralysé. L’analyse politique doit trancher. D’un côté, comme le dit le chroniqueur Michel David qu’on ne peut certes pas accuser de manquer de fibre nationaliste, PL96 est « un projet de loi qui est en réalité une espèce de bric-à-brac de demi-mesures et de dispositions inutilement vexatoires, qui ne suffira pas à assurer la protection du français, tout en alourdissant le climat social. Un beau gâchis. » (Michel David, Un beau gâchis, Le Devoir, 17/05/22). De l’autre côté, le singe caquiste n’a pas pu faire autrement par ce projet de loi que de monter sa queue ethniciste (Honni soit qui mal y pense !). On n’apprendra à personne que les forces obscures du racisme sous toutes leurs formes (suprémacisme blanc, islamophobie, antisémitisme, Quebec bashing) menant tant la gauche au divisif cul-de-sac identitaire et la droite à l’antichambre du fascisme et au-delà, constituent des forces montantes de l’heure. C’est là la cible prioritaire à viser sur fond d’un projet de loi finalement bâtard quant à sa finalité défenderesse du français.

Est-ce à conclure que la défense et la promotion du français sont foutues ? Il faut se rappeler la conjoncture de l’époque du vote de la loi 101 en 1977. Le Québec vivait alors sur l’élan non seulement de sa dite « révolution tranquille » des années 60, en fait sa modernisation tumultueuse, mais surtout sur le grand soulèvement ouvrier et populaire 70-76 dont le point d’orgue avait été la grève générale de 1972 dont nous commémorons mal le cinquantième anniversaire. La société québécoise de l’époque a mis les bouchées doubles pour mettre à niveau ses réseaux hospitalier, scolaire, routier, énergétique afin d’accommoder la vague démographique des baby-boomers et moderniser les infrastructures avec en prime l’Expo 67 et les Jeux olympiques de 1976. Le français de chez nous, et sa culture concomitante, exprimaient la fierté et l’ardeur de ce combat acharné pour ce projet de société. On a alors laissé tomber le français abâtardi et pauvre appelé « joual » afin de communier au monde. Puis les feux de la rampe se sont éteints un à un malgré le soubresaut Meech du tournant des années 90 menant à la défaite référendaire crève-coeur de 1995 dont on ne s’est pas encore remis une génération plus tard. Notre jeunesse en est venue à se questionner sur la pertinence de maintenir, par habitude, cette langue en perte de vitesse et souvent un handicap dans la grande compétitivité du marché mondial.

Le rejet de l’auto solo pour le transport en commun est le maillon à saisir pour sauver la langue

Pas besoin de se casser la tête de midi à quatorze heures pour imaginer le combat pour le projet de société de l’heure soit une société écoféministe de prendre soin des gens et de la terre-mère assise sur les services publics et la sauvegarde des écosystèmes. On peut percevoir en filigrane cette perspective justice climatique – justice sociale dans la plateforme électorale 2022 de Québec solidaire. Le parti s’y engage à cesser toute exploitation et transport des hydrocarbures, à « réduire les émissions du Québec d’au moins 55% par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030 » et « à remettre en question les accords et conventions internationales économiques et militaires signées par le Canada ». Il s’y engage dès le premier mandat à proposer un référendum pour l’indépendance suite à une assemblée constituante tout en promouvant le français comme langue officielle et commune, Ce sont là des engagements fermes et forts à rompre avec l’axe financier-pétrolier Toronto-Calgary qui définit l’économie canadienne et avec le fédéralisme d’Ottawa qui se soumet à l’impérialisme étatsunien et bafoue la prééminence du français au Québec. C’est cette indépendance écologique à gauche toute qui est garante de cette rupture de socialisation des secteurs vitaux de la société québécoise et de la maîtrise culturo-linguistique de la société.

La grande mobilisation des années 60-70 a forcé le gouvernement d’alors à achever la nationalisation des centrales hydroélectriques aux mains des trusts canadiens et étasuniens, ce qui a permis une politique de prix abordables afin d’électrifier la climatisation non seulement de la grande majorité du stock de logements mais aussi de la majorité des surfaces des bâtiments commerciaux et institutionnels. Cet avantage comparatif du Québec quasi mondialement unique pour la réduction des GES lui permet, si la mobilisation populaire est de nouveau au rendez-vous, de concentrer ses efforts de réduction des GES là où le bât blesse soit le transport routier et hors route. Mais tant que le mythe mondial capitaliste vert de l’auto solo électrique comme substitut à celle à essence persistera aux dépens de la substitution de l’auto solo par le transport en commun et actif, le Québec restera un polluant pourvoyeur de minerais et l’étalement urbain la marque de l’échec de la lutte climatique et pour la biodiversité. Ce n’est pas ce ravalement dans la division internationale du travail au bénéfice et à la merci des transnationales qui redonnera au peuple québécois la fierté qu’il a perdue afin de restituer à la langue française son statut d’unique langue commune de jure comme de facto.

Marc Bonhomme, 22 mai 2022
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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