Comment on sent après une telle avancée ?
Bien sûr on a eu notre moment euphorique. On sentait la vague monter dans la circonscription et à la fin, on avait plus de bénévoles que jamais impliqués dans notre campagne à Hull.
Il y avait plein de jeunes…
On calcule qu’on a eu la majorité du vote des jeunes. Dans les sections de votes installées à l’UQO et au Cégep, on était hégémoniques avec 48%.
Il y a eu plusieurs débats durant la campagne …
Le regroupement Équité Outaouais a organisé plusieurs de ces débats. Ce regroupement a efficacement soulevé le sous-développement d’une région où le PLQ dans son long « règne » s’est carrément foutu des gens avec des infrastructures totalement déficientes, notamment en santé et en éducation. Cela a été très positif pour nous car pour une fois, des gens dans cette région ont participé. Fait à noter, on a eu avec nous l’appui et la participation de plusieurs fonctionnaires fédéraux, un groupe habituellement assez réservé par rapport à un projet de gauche indépendantiste.
Ce « réveil » a surtout profité à la CAQ…
Le vote anglophone qui est assez important dans notre région est resté, en gros, avec le PLQ, alors que le vote francophone s’est divisé en trois, avec le PQ à la queue. Il y avait comme partout au Québec un profond mécontentement par rapport aux Libéraux.
C’est une grosse défaite pour le PQ…
La candidate dans Hull, Marysa Nadeau, était très amère après avoir mené une bonne campagne. Avec 1500 de votes de moins que pour QS, elle était déclassée dans une région qui, au fédéral, avait élu son père, Richard Nadeau du Bloc Québécois. Je dois dire par ailleurs que Marysa et son équipe font partie de l’aile progressiste du PQ, comme plusieurs enseignants et syndicalistes qui ont été l’épine dorsale de ce parti pendant des décennies. Par ailleurs, dans certains débats, j’ai été le seul candidat dans Hull à parler d’indépendance, ce qui m’a mérité des remerciements de plusieurs péquistes ! Il est ironique qu’en fonction des résultats de l’élection du 1er octobre, le « vote utile », du point de vue progressiste et indépendantiste, aurait été un vote pour QS !
Alors on se retrouve maintenant avec une vraie force dans la région …
Outre Hull, on a maintenant deux associations qui montent à Papineau et à Pontiac. C’est une masse critique qui devrait nous inciter à mettre en place une association régionale, pour tout l’Outaouais, d’ici peu…
Il y a quand même de gros défis…
Nous sommes fortement implantés parmi les jeunes, surtout dans les institutions d’enseignement francophones, mais au-delà de cela, notre enracinement reste faible. Les fonctionnaires fédéraux (25 % des salariés de la région) pour diverses raisons ne sont pas faciles à convaincre. Il y a aussi les populations très démunies, car l’Outaouais est à la fois une des régions les plus riches et une des régions les plus pauvres du Québec. À vrai dire, les couches populaires en dessous du seuil de la pauvreté votent peu ou pas (le taux d’abstention est plus élevé chez nous), et il reste beaucoup de travail à faire pour changer cela.
Et il y a la population immigrante…
Après la région métropolitaine de Montréal, c’est effectivement l’Outaouais qui compte le plus d’immigrant.es en proportion de sa population (plus de 7 % des 385 000 habitants), plus de 10% de la population à Hull. Comme partout ailleurs, le pourcentage des immigrants sans emploi, à bas revenu ou sur l’aide sociale est très élevé. En gros, leurs expériences et compétences ne sont pas reconnues, ce qui fait qu’ils doivent commencer au bas de l’échelle.
La CAQ a inauguré son « règne » en promettant de rendre la vie dure aux femmes voilées…
C’était prévisible, car comme partout ailleurs, le populisme de droite cible immigrants et réfugiés, ce qui permet d’occulter les vrais problèmes et surtout les vrais responsables. Les élus caquistes de la région ne sont ni pires ni meilleurs qu’ailleurs au Québec. Pour eux, il est « normal » d’imposer des balises discriminatoires au nom de la fausse laïcité dont ils se réclament (et qu’ils ne peuvent même pas expliquer si on leur demande). Devant le tollé soulevé par la promesse d’exclure les enseignantes voilées, il se pourrait que Legault recule en partie, mais d’une manière ou d’une autre, il va revenir à la charge parce que ce populisme de droite flatte des préjugés tenaces. Notamment, son gouvernement va nous arriver tôt ou tard avec une version de leur projet de test des valeurs.
Il y a de l’opposition…
Mon syndicat, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) se tient debout face à cela. On défend nos droits, on défend les droits de nos membres, et ce n’est pas une question de laïcité. L’attaque contre les femmes voilées cache des motifs inavoués, qui repose sur une image négative fabriquée contre une certaine religion. Nos collègues voilées ne sont pas plus, pas moins « laïques » que tous les autres…
La clause « grand-père » suggérée par Legault à l’effet que les enseignantes voilées déjà employées dans le secteur public ne perdraient pas leur emploi pourrait-elle être un accommodement ?
Pas du tout. On créera alors deux groupes de salariés, les « anciens » et les « nouveaux ». C’est ce que les patrons veulent faire partout pour enlever aux nouveaux des droits que les anciens avaient acquis. Je suis navré que l’éminent sociologue de l’éducation Guy Rocher appuie cette idée. Si c’est injuste pour les personnes présentement en emploi, pourquoi ce serait juste pour les jeunes qui aspirent à ces mêmes emplois ?
Le voile, c’est un prétexte…
Exactement et ça n’arrêtera pas. Aussitôt qu’il va se produire un « incident » quelque part au Québec, le populisme de droite bien appuyé par le réseau Quebecor va monter aux barricades. Récemment, c’était une étudiante en technique policière qui porte, ô horreur, le hijab. On peut s’attendre à un nouveau « cas » par année au moins, pour entretenir l’insécurité xénophobe.
Et comment on devrait répondre à cela à QS ?
Je pense qu’il faut sérieusement envisager que la politique en cours, plus ou moins modelée sur le rapport Bouchard-Taylor, n’est plus adéquate. On ne peut pas passer par-dessus les droits individuels, y compris celui de s’habiller comme les gens le veulent. Signaler sa religion n’est pas un crime. Ce qui n’est pas acceptable est d’imposer ses croyances aux autres. La majorité doit respecter les droits des minorités, il n’y a pas moyen de contourner cela, du moins si on veut mettre de l’avant un projet progressiste et démocratique.
Est-ce qu’il n’y a pas un danger pour QS de se détacher d’une opinion qui semble majoritairement favorable à l’interdiction des signes religieux « ostentatoires » ?
Je pense que cette majorité est « molle », qu’elle est mal informée, parfois délibérément, par les politiciens populistes de droite et leurs relais médiatiques. Beaucoup de gens ont peur de quelque chose qu’ils ne comprennent pas, et qui résulte d’ailleurs d’un discours qui présente les immigrant.es comme une « menace ». Il y a un gros travail d’éducation populaire à faire.
Qu’est-ce que devrait être une position éclairée de QS en fin de compte ?
On devrait être contre le pseudo « consensus » Bouchard-Taylor (que Taylor dénonce maintenant). La distinction entre positions d’« autorité coercitive » et les autres ne tient pas la route et franchement, interdire les signes ostentatoires pour les uns et les permettre pour les autres va créer des tensions et des incompréhensions sans fin. Qui va décider ? Qui, après les juges, les policiers, les enseignant.es, devront enlever le hijab ou la kippa ? Les médecins ? Les infirmières ? Les élu.es ? Parfois, la gauche doit aller à contre-courant, mais d’une façon intelligente, en partant de la constatation que les 1,5 million de personnes qui ont voté pour la CAQ ne sont pas une bande de racistes incurables. Il y a là en fait bien des gens qui pourraient se rallier à nos positions et voter pour QS en 2022.
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