Édition du 5 novembre 2024

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Canada-Haïti : "Être le 2e plus gros bailleur de fonds en Haïti ne suffit pas"

Voici une copie de la lettre de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), la Concertation pour Haïti (CPH) et Coopération Canada adressée à différents ministres du gouvernement canadien impliqués dans les relations avec Haïti. La missive souhaite "présenter des recommandations pour contribuer de manière résolue, constructive et durable à la résolution de la crise en Haïti."

Le 8 mai 2024

Le très honorable Justin Trudeau, premier ministre du Canada
justin.trudeau@parl.gc.ca

L’honorable Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada
melanie.joly@parl.gc.ca

L’honorable Ahmed Hussen, ministre du Développement international du Canada
ahmed.hussen@parl.gc.ca

Objet : Réponse canadienne à la crise multidimensionnelle en Haïti

Monsieur le Premier ministre Trudeau,
Madame la Ministre Joly,
Monsieur le Ministre Hussen,

Suite à une rencontre spéciale organisée le 15 avril 2024 par l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), la Concertation pour Haïti (CPH) et Coopération Canada pour consulter des représentant·e·s de la société civile haïtienne, nos trois réseaux souhaitent relayer au gouvernement canadien les enjeux majeurs entendus et présenter des recommandations pour contribuer de manière résolue, constructive et durable à la résolution de la crise en Haïti.

Plus de 70 participant·e·s à cette rencontre virtuelle, dont une vingtaine d’intervenant·e·s représentant plusieurs secteurs (droits des femmes, droits humains, santé, éducation, environnement, agriculture) directement d’Haïti et quelques membres de la diaspora haïtienne au Canada, ont exprimé leur désarroi face à cette énième crise, dont l’escalade depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse en 2021 a conduit le pays dans le chaos, avec aujourd’hui 80% de la ville de Port-au-Prince sous le contrôle de gangs armés, selon les Nations unies. La crise politique fait le lit d’une culture de violence, d’agressions sexuelles, d’insécurité alimentaire et de stagnation socio-économique.

Face à cette situation intenable pour des millions d’Haïtien·ne·s pris en otage, nous appelons le Canada à intervenir sur trois volets, notamment en appuyant le processus de transition politique, en prenant position contre le trafic d’armes vers Haïti et en déployant une aide humanitaire appropriée.

1. Appuyer le processus de transition politique

Le Canada devrait reconnaître et appuyer le Conseil présidentiel de transition qui vient d’être assermenté afin qu’il puisse mettre en œuvre l’« Accord politique pour une transition pacifique et ordonnée », le plus rapidement possible. Cet accord, malgré ses imperfections, offre l’opportunité de restaurer la normalité constitutionnelle, le bon fonctionnement des institutions et l’ordre légal pour les Haïtien·ne·s.

Le Canada devrait insister pour la représentation large et effective de toutes les tranches sociales, particulièrement des femmes, des jeunes et de la diaspora, au sein des organes de transition prévus dans l’Accord politique. Les participant·e·s ont déploré la présence d’une seule femme (par ailleurs sans voix délibérative) parmi les neuf membres désignés du Conseil présidentiel. Par ailleurs, pour permettre aux Haïtien·ne·s de reprendre leur destinée en main, le Canada devrait aider à rappeler la place et le rôle du corps diplomatique en Haïti, dont l’ingérence, parfois excessive dans les affaires nationales, heurte la dignité nationale.

Le Canada devrait prendre acte des erreurs du passé et exercer une vigilance accrue pour restaurer l’intégrité et l’honnêteté dans la gouvernance tout en prévenant la violation des droits humains en Haïti.

2. Prendre position contre le trafic d’armes vers Haïti

Le Canada devrait engager un plaidoyer courageux et sans compromis avec les États-Unis pour mettre fin au trafic d’armes vers Haïti, sur la base du récent rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

Le Canada doit impérativement encourager des réponses internationales guidées par la volonté du Conseil présidentiel de transition et les institutions de l’Accord politique pour une transition pacifique et ordonnée afin de rétablir la sécurité, promouvoir l’application de la loi et soutenir la défense côtière haïtienne. Ceci exige de doter les forces de sécurité (police et armée) de soutien logistique et financier sans lequel la situation restera précaire, entravant tout avancement vers la démocratie. Pour sa part, le Canada doit être transparent et considérer des poursuites judiciaires ou l’imposition de sanctions (saisie de fonds ou interdiction de voyage) contre les personnes impliquées dans le transport.

3. Déployer une aide humanitaire appropriée

Toute solution durable pour le bien-être des Haïtien·ne·s requiert un changement de paradigme. Le Canada doit reconsidérer l’approche actuelle d’aide humanitaire basée sur des projets qui trop souvent n’atteignent pas les personnes les plus vulnérables et les territoires les plus touchés. Le Canada devrait initier avec les organisations de la société civile une nouvelle manière de coordonner les actions humanitaires et de développement afin de soutenir l’économie dans les territoires, promouvoir l’expertise locale et respecter la dignité des populations. À cet effet, le Canada devrait mettre en œuvre l’approche du triple nexus combinant interventions structurantes dans les domaines humanitaire, développement et paix (ce qui inclut la cohésion sociale).

Face à une crise multiforme et aux besoins humanitaires immenses, le Canada devrait également augmenter et diversifier son financement pour atteindre davantage de secteurs affectés (agriculture, santé, protection des civils, hygiène et assainissement, abris, éducation, soutien économique, etc.) tout en considérant la question de l’accès aux services offerts. Alors que les populations ont assisté au ballet aérien d’évacuation des diplomates, rappelons que près de 50% de la population risque de souffrir d’insécurité alimentaire aigüe d’ici juin 2024 (IPC, 2024), il est essentiel de veiller à ce que l’accès à l’aide soit facilité dans tout le pays.

Être le 2e plus gros bailleur de fonds en Haïti ne suffit pas. Les recommandations ci-dessus s’inscrivent dans une demande globale de plus de cohérence dans la politique étrangère du Canada vis-à-vis d’Haïti. Le Canada a l’opportunité de démontrer à nouveau ses valeurs et son approche féministe en matière de promotion de la paix et de la sécurité dans le monde en devenant un des champions de la cause d’Haïti dans la communauté internationale.

En demeurant à votre disposition pour discuter davantage des points soulevés et pour éventuellement organiser une rencontre avec la société civile canadienne et haïtienne, nous vous prions d’agréer, Monsieur le premier ministre Trudeau, Madame la ministre Joly, Monsieur le ministre Hussen, l’expression de nos respectueuses salutations.

Michèle Asselin
Directrice générale
Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)

Marc-Édouard Joubert
Comité de coordination
Concertation pour Haïti (CPH)

Kate Higgins
Directrice générale
Coopération Canada

Organismes signataires du Canada

• Acted Canada
• Action-Haïti
• Amitié Gatineau-Monde
• Architecture sans frontières Québec
• Bureau international des droits des enfants (IBCR)
• Carrefour de solidarité internationale
• Centre d’étude et de coopération internationale (CECI)
• Centre interdisciplinaire de développement internationale en santé - CIDIS de l’Université de Sherbrooke
• Centre international de solidarité ouvrière (CISO)
• Collaboration santé internationale
• Comité de solidarité/Trois-Rivières (CSTR)
• Confédération des syndicats nationaux (CSN)
• Conseil régional FTQ Montréal métropolitain
• Développement et paix - Caritas Canada
• Développement international Desjardins
• Développement, expertise et solidarité internationale (DESI)
• Église unie
• Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)
• Fondation Paul Gérin-Lajoie (FPGL)
• Fonds Solidarité Sud
• Humanité & inclusion Canada
• Ingénieurs sans frontières Québec
• Primate’s World Relief and Development Fund
• Santé monde
• Société pour le reboisement d’Haïti(SRH)
• SOCODEVI
• Solidarité-Haïti en Estrie
• SUCO - Solidarité, Union, Coopération
• Terre sans frontières
• UPA Développement international

Organismes signataires d’Haïti

• Centre d’animation paysagère et d’action communautaire (CAPAC)
• Centre de formation pour l’entraide et le développement communautaire (CFEDEC)
• Commission épiscopale nationale Justice et paix
• Fanm Deside
• Institut culturel Karl Lévêque (ICKL)
• Kri Fanm Ayiti (KRIFA)
• Union pour le développement et le respect des femmes haïtiennes (UDREFH-Centre)
• Université épiscopale d’Haïti
• Kay Fanm

Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)

http://www.aqoci.qc.ca/

L’Association québécoise des organismes de coopération internationale, l’AQOCI, regroupe 65 organisations de 13 régions du Québec qui œuvrent, à l’étranger et localement, pour un développement durable et humain.

L’AQOCI a pour mission de promouvoir et soutenir le travail de ses membres ainsi que leurs initiatives en faveur de la solidarité internationale. En s’appuyant sur la force de son réseau, l’AQOCI œuvre à l’éradication des causes de la pauvreté et à la construction d’un monde basé sur des principes de justice, d’inclusion, d’égalité et de respect des droits humains.
Mandat

Le mandat de l’AQOCI consiste à :

* soutenir et promouvoir le travail de ses membres auprès des instances gouvernementales, des décideurs politiques, des médias et du grand public
* influencer les décideurs et participer à l’élaboration des politiques provinciales et fédérales en matière de coopération internationale, de stratégies d’aide au développement et de relations internationales
* renforcer les capacités de ses membres par la diffusion d’information et d’outils stratégiques ainsi qu’en offrant régulièrement des formations
* favoriser la concertation et la mobilisation du réseau en multipliant les occasions d’échange entre les ONG québécoises, les autres acteurs de la société civile du Québec et les partenaires des pays Sud
* produire et publier des mémoires, des analyses de fond et des prises de position en lien avec la politique étrangère canadienne et québécoise ainsi que l’actualité nationale et internationale
* sensibiliser, éduquer et promouvoir l’engagement du public québécois en faveur de la solidarité internationale.

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