Dans les actualités récentes, on a pu constater trois situations impliquant des politiques aux prises avec la loi.
Le premier est celui de Donald Trump aux États-Unis, récemment condamné au civil pour voies de fait et diffamation à l’égard de Jean E. Carroll. Le deuxième cas est celui de Vladimir Putin, président de la Russie, qui a été mis en accusation devant la Cour pénale internationale pour crime de guerre, soit la déportation d’enfants Ukrainiens. Enfin, il y a le cas de Benyamin Netanyahu, premier ministre d’Israël, qui a fait face à des semaines de protestations contre sa tentative de refonder la justice israélienne de manière à conférer plus de mainmise à l’exécutif sur la nomination des juges de la Cour suprême du pays. Netanyahu fait lui-même face à une série d’accusations criminelles qui sont en cours de traitement devant les tribunaux israéliens.
Ces trois situations, chacune à leur manière, illustrent bien comment la justice est un système de deux poids deux mesures en ce qui concerne les hauts politiques.
Quelques constats additionnels s’appliquent par ailleurs à chacun de ces cas.
Trump a, pour l’instant, été condamné au civil, mais pas au pénal. Il a cependant été mis en accusation devant la Cour pénale de Manhattan pour avoir frauduleusement falsifié des documents commerciaux dans l’affaire Stormy Daniels. Le cas de la fraude électorale en Géorgie est encore devant les tribunaux. Il fait aussi face à de multiples autres poursuites. Ceci dit, ce qui est ici significatif, c’est comment Trump s’est tiré d’embarras pour deux des cas les plus graves d’un point de vue démocratique : la collusion dans le cas de la complicité alléguée avec la Russie lors des élections de 2016 et l’incitation à la sédition lors de l’assaut contre le Congrès américain en 2021.
Si nous étions pour faire la liste des accusations possibles pour crimes contre Vladimir Putin, la liste serait éminemment plus longue que le seul cas présentement devant la Cour pénale internationale. Il y aurait une liste charnue de crimes de guerre allant de la Tchétchénie à l’Ukraine, mais aussi un nombre de crimes liés aux meurtres ou aux tentatives de meurtres de journalistes, de politiciens d’opposition et d’activistes russes. Enfin, il y a aussi une multitude d’autres crimes frauduleux dont bon nombre ont été rapportés par la Fondation Anti-Corruption d’Alexei Navalny.
Dans le cas de Netanyahu, des procédures sont toujours en cours contre lui devant la justice israélienne dans trois cas de conflit d’intérêt, de fraude et de pot-de-vin. Sa tentative de réformer les tribunaux israéliens est encore à l’ordre du jour, mais, toujours contestée, elle n’est pas encore réalisée.
Ceci dit, ni la procédure de destitution devant le Congrès américain – qui agit à ce moment en tant que Cour – ni la Cour pénale internationale, ni le système de justice israélien ne sont pleinement à la hauteur de la difficile tâche de tenir les hauts politiques criminellement responsables pour leurs actions illégales. Ces actions menacent aussi la santé démocratique, voire l’intégrité, de nos systèmes politiques. Peut-on se sortir d’embarras et trouver un moyen de solutionner ce grave problème ? C’est la question que nous aborderons dans un prochain article axé, celui-là, sur les solutions.
Comment mettre de tels politiciens sous les verrous ?
Nous avons posé le problème des hauts politiques qui, sous nos présents régimes juridiques, évadent allègrement la justice. Nous avons rapporté les cas d’actualité de Trump, Putin et Netanyahu. Ces trois cas illustrent, chacun à leur manière, comment il est difficile de tenir les hauts politiques criminellement redevables pour les actions même les plus condamnables.
Dans le présent article, nous commencerons par poser le problème sous un autre angle, celui de nos institutions politiques, avant de passer à une manière, selon nous, de solutionner ce grave problème.
Le problème institutionnel
Il faut tout d’abord comprendre un point essentiel : il n’existe pas, à l’heure actuelle, de système judiciaire qui soit indépendant des pouvoirs politiques. Concrètement, le pouvoir judiciaire, celui des tribunaux, est toujours dépendant, à divers degrés, des pouvoirs exécutifs et législatifs, soit du gouvernement et du Parlement.
C’est cette dépendance qui rend impossible une justice à un poids une mesure vis-à-vis des politiciens. Cette dépendance prend une forme essentielle : outre quelques exceptions, la nomination des plus hauts juges passe toujours par les pouvoirs élus. Il faut aussi noter que les règles à appliquer sont faites par les politiques eux-mêmes et que ceux-ci se sont souvent dotés de protections spéciales, d’immunités, qui rendent difficiles les poursuites au pénal. Finalement, au niveau international, il n’y a pas d’instance judiciaire universellement reconnue. La Cour pénale internationale, qui n’est pas reconnue par plusieurs pays, n’a d’ailleurs pas les moyens de forcer elle-même l’exécution de ses décisions.
La situation est donc compliquée. Ici, nous n’allons que nous concentrer sur le premier et le plus grave de ces problèmes, la nomination des juges, et ceci au seul niveau national.
Une Assemblée citoyenne pour la nomination des hauts magistrats
Il existe une solution originale pour nommer les hauts juges de manière à les rendre complètement indépendants des pouvoirs élus. Cette solution est innovante, mais, appliquée serait, pensons-nous, la plus efficace. Elle tire inspiration de l’utilisation de plus en plus fréquente du tirage au sort comme mécanisme de sélection politique, notamment en Europe.
Cette solution consiste à octroyer le pouvoir de nomination des hauts juges à une instance composée de citoyennes et de citoyens tirés au sort. Cette procédure est donc éminemment démocratique puisque ces citoyens sont tirés au sort. Le tirage au sort est en fait un mécanisme de sélection plus démocratique que l’élection. Cette solution est aussi efficace puisque ceux-ci auraient le temps et les moyens de scruter les candidats à la loupe. Enfin, et surtout, elle immunise les juges contre les pouvoirs élus. Les juges d’une Cour suprême ainsi nommée seraient donc complétement indépendants des politiciens élus. Ils ne seraient, somme toute, redevables que devant les seuls citoyens.
Donnons un exemple pour illustrer un peu : imaginons que nous tirons 300 citoyens au sort à tous les trois ans. Chaque assemblée citoyenne a le pouvoir de nommer, à tour de rôle, trois juges qui exercent leur mandat pendant neuf ans. Il y a donc une continuité des effectifs de la Cour suprême, avec une rotation partielle, par coup de trois membres, à tous les trois ans. L’élection de juges se fait par scrutin proportionnel du type vote unique transférable. Ce scrutin a pour effet de garantir que tous les votes des membres de l’assemblée comptent et que les juges reflètent les tendances politiques de la population.
L’effet ? La Cour suprême dépend de la volonté du peuple, reflète les besoins et les idéaux du peuple, et est pleinement indépendante des politiques.
L’Israël pourrait fort bien appliquer un tel modèle dès maintenant pour protéger le système judiciaire en réponse à la tentative de coup judiciaire de Netanyahu. Cela nécessiterait un nouveau gouvernement certes, mais peut se faire via un amendement à la loi basique d’Israël sur le système judiciaire. Les voies de changement aux États-Unis seraient bien plus longues. Ceux en Russie devraient passer par une révolution. Le système proposé a une valeur universelle : il pourrait être appliqué dans pratiquement toutes les juridictions. Politiquement, il y a naturellement une pente raide à surmonter puisque les pouvoirs élus contrôlent les institutions. Reste que les crises, comme celle en Israël, sont des opportunités de changement. À terme, bien d’autres opportunités d’amélioration pourraient aussi se présenter.
Les opportunités d’amélioration
La mise en place d’une telle institution offrirait aussi d’autres opportunités de changement dans nos démocraties. Nous pourrions, par exemple, octroyer à cette assemblée le pouvoir de constituer des commissions d’enquêtes qui seraient, de ce fait même, pleinement indépendantes. Nous pourrions également lui conférer le pouvoir de juger directement les hauts politiques en remplacement à la procédure de destitution à l’américaine. Nous pourrions même lui conférer le pouvoir d’agir en tant que grand jury constitutionnel de dernier ressort pour les décisions d’interprétation constitutionnelle non-unanimes de la Cour suprême. Cette dernière possibilité requerrait elle-même un plus long traitement.
Dans l’immédiat, cependant, on peut facilement voir qu’une Cour suprême dont les juges sont choisis par des citoyens tirés au sort serait plus à même de rendre justice contre les Trump, Putin et Netanyahu de ce monde.
Jacob David Poulin-Litvak
Chercheur indépendant
Changements structurels en politique et en économie
Lien : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Israel_Supreme_Court.jpg
Descriptif de l’image : Cour suprême d’Israël (Israel Supreme Court.jpg). Wikimedia commons.
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