Édition du 5 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

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Le blogue de Pierre Beaudet du 5 septembre

Bilan à froid

Il faudra quelques jours, voire quelques semaines pour décortiquer le résultat des élections du 4 septembre. D’emblée, je pense que la gauche doit faire un bilan sans complaisance. Pour le moment, voici quelques constats qui mériteraient d’être explorés davantage et qui ne font d’effleurer un certain nombre de questions qu’il sera nécessaire de discuter à fonds.

L’ « incident »

• L’attentat visant Pauline Marois a créé beaucoup d’émoi, avec raison. Les médias se sont empressés de présenter cela comme un acte de délire et de faire passer la tuerie sur le dos d’un détraqué, ce que le suspect semble être (pour le moment).

• Cependant, on passe sous silence la campagne de haine qui sévit contre le PQ, l’idée de la souveraineté ou du référendum notamment, dans les médias au Canada-anglais, surtout dans les médias poubelles (Quebecor Sun), mais aussi dans des médias habituellement moins sulfureux (CBC par exemple). Cette campagne de haine glisse facilement vers un racisme plus ou moins subtil s’exprimant contre les Québécois « braillards », qui « chialent tout le temps et qui vivent au crochet du Canada », etc.

• En marge ou à l’extrême droite de ce discours profilèrent des réseaux sociaux plus ou moins visibles où on entend de véritables appels au meurtre. Tout cela constitue un terrain fertile pour ce genre d’action de desperado. On est en droit de se vouloir questionner quelles sont les causes plus larges de l’incident, sans que cela n’implique quelque « théorie » de la conspiration que ce soit.

La victoire de la droite

• La droite québécoise a solidement gagné les élections. Le pourcentage des votes (autour de 60 %) pour le PLQ et la CAQ indique cela sans équivoque. Bien sûr, toutes sortes de raisons ont motivé les électeurs et électrices de voter pour ces formations. Également, le PLQ et la CAQ ne sont pas identiques. Mais il n’en demeure pas moins que ces partis sont à droite et qu’ils sont des adversaires absolus de tout changement progressiste au Québec. Aussi bien le PLQ que la CAQ le disent sans gêne :

o Il faut rétablir l’équilibre budgétaire de l’État et rembourser la dette, ce qui veut dire refiler la facture aux classes populaires.

o Il faut privatiser et démanteler des pans entiers du secteur public hérité de la révolution tranquille.

o Il faut affaiblir stratégiquement les syndicats par toutes sortes de moyens.

o Il faut accepter les politiques fiscales et monétaires déterminées dans une large part par Ottawa et donc accélérer les « réformes néolibérales ».

o Il faut résolument rester au sein de la confédération canadienne.

• Une majorité de la population a voté pour cela, ce qui n’est pas rien. Certes, il faut tenir compte du fait qu’une partie importante de l’électorat a été motivé par la peur disséminée par les médias et les formations de droite. Considération technique mais importante : les « indécis » dans les sondages sont majoritairement des gens qui votent à droite, mais qui ne le disent pas, ce qui fausse les sondages.

• La droite « traditionnelle » (le PLQ) domine totalement sur le plan des appuis électoraux des minorités anglophone et allophone. Ce n’est pas nouveau, mais on aurait pu penser que dans les circonstances (les scandales entourant le gouvernement Charest) que cela aurait été fragilisé. Mais pour le moment, cette réalité semble inamovible, tant est puissant le sentiment de peur de 20 % de la population par rapport à l’hypothèse de la souveraineté, ce à quoi il faut ajouter un autre % important (composé majoritairement de francophones de + de 55 ans) et qui refuse également toute perspective de changement.

• Legault a perdu son pari, mais la CAQ va demeurer. Il y a d’abord la vieille base populiste (adéquiste) qui est relativement solide et qui peut se maintenir entre 15 et 20 %. Et il y aura ensuite les efforts de Legault pour miser sur les problèmes à venir du PLQ (prévisibles dans la lignée de la Commission Charbonneau) pour aller grignoter dans les marges du PLQ. Il se peut cependant que le projet de Legault s’enfonce dans des querelles internes vu le fait qu’il s’agit d’une coalition disparate globalement de droite mais où subsistent des fractures (la droite « extrême », certains « nationalistes mous », etc.).

• Last but not least, l’État fédéral (le seul « vrai » État au Canada) peut être content de la tournure des choses. Répondant de « Canada inc » et de « Québec inc », cet État sait qu’avec le PLQ, il dispose d’une « valeur sûre », solidement ancré dans le dispositif étatique et de classe au Canada. En plus, l’État dispose d’un « plan b » avec la CAQ qui constitue une sorte de police d’assurance, en quelque sorte. La situation qui se présente au Québec permet à Harper de continuer dans sa révolution conservatrice.

Le PQ

• Cette « amère victoire » (l’expression de Michel David) représente le pire des scénarios pour le PQ. Sa base électorale ne lui permettra pas de confronter le PLQ et la CAQ sinon que sur des questions secondaires. Le PQ n’a pas progressé d’un iota depuis le début de la campagne. Il représente une force minoritaire à Montréal et à Québec, les deux centres urbains où se retrouve plus de 60 % de la population.

• N’en déplaise à Jean-François Lisée, le gouvernement péquiste aurait les pieds et les mains liés. Il est pratiquement impossible d’imaginer que sur des questions substantielles, le PLQ ou la CAQ pourront appuyer le gouvernement, même si, pour des raisons différenciées, ces deux partis n’auront pas le goût de retourner rapidement en élection. Mais ils auront une grande marge de manœuvre pour bloquer l’agenda législatif et mettre le PQ au pied du mur sur plusieurs grands débats. La situation se présentait différemment pour le gouvernement minoritaire de Harper entre 2006 et 2011, du fait que sur plusieurs grands dossiers, la politique de l’opposition (le PLC) coïncidait avec celle d’Harper. Ce n’est pas le cas maintenant au Québec.

• Dans plus de la moitié des circonscriptions emportées par le PQ, c’est l’effet de division du vote entre le PLQ et la CAQ qui lui a permis de l’emporter, et non une augmentation de son vote. Malgré les brouillages du système de votation anti-démocratique qu’on a imposé au Québec, le fait de plafonner à 33% ne peut pas permettre au PQ (ni à aucun parti) d’atteindre la masse critique.

• Dans une dizaine de circonscriptions, c’est le processus inverse, car le PQ a perdu parce que le vote a été divisé avec QS et ON. Dans ce contexte, on peut dire que le refus de Marois de négocier avec les « petits » partis a approfondi la défaite.

• Le PQ demeure un ennemi irréductible pour Québec inc. Les dominants, toutes tendances confondues, estiment qu’il faut l’éradiquer. Cette réalité mène à la fin du rêve de Jacques Parizeau qui voulait convaincre une partie au moins de Québec inc d’embarquer dans le projet souverainiste.

La gauche

• La gauche a sauvé l’honneur avec l’élection d’Amir et de Françoise, plus la performance de quelques candidats tels Manon Massé, Serge Roy et Andres Fonticella notamment. Il y a une progression du vote (à 6%, donc + 2,2% par rapport à l’élection précédente), ce qui veut probablement dire que plus 225 000 personnes ont voté QS. Ce n’est pas rien. Si on ajoute à cela que la campagne a été menée dans presque toutes les circonscriptions du Québec avec des milliers de militant-es qui se sont impliqué-es et une infrastructure de campagne de loin supérieure à ce qui existait avant, on doit constater le progrès et les avancées.

• Le résultat est toutefois en-dessous des attentes (on espérait 8 % et plus de 2 élu-es). Rétroactivement, on constate que ces attentes étaient en partie exagérées, basées sur des « sondages internes » un peu vite faits et ne tenant pas compte du facteur des « indécis » (qui en réalité votent à droite).

• La victoire de Françoise est le résultat de sa prestation au débat des chefs plutôt que l’émergence de QS comme un projet politique cohérent et crédible. Cette victoire est certes encourageante, mais sa signification politique est diminuée du fait qu’elle dépend en bonne partie d’un effet médiatique qui joue généralement contre la gauche (il y a des exceptions heureusement).

• Autres réalités plutôt négatives : le vote de gauche ne sort pas de Montréal-centre, pas dans les régions (même là où existe une tradition syndicale et progressiste comme l’Abitibi ou la Côte nord), ni non plus dans les communautés non-francophones (peut être un peu à Laurier-Dorion grâce au travail acharné d’Andres Fonticella). Par ailleurs, une partie importante de l’électorat sympathique à la gauche a accepté l’argument du PQ pour le « vote stratégique ».

• Les organisations populaires et syndicales sont restées à l’écart de la campagne (à part quelques exceptions comme le Conseil central de la CSN à Montréal et de syndicats locaux), se contentant de dénoncer Charest. Les étudiants ont été plus explicites, bien que la CLASSE ait adopté un discours relativement abstentionniste se réfugiant dans le paradigme de la « non-partisannerie ». Le fait que des milliers d’organisations populaires un peu partout dans le monde ne voient rien de mal (au contraire) à appuyer des partis de gauche ne semble pas faire changer cette mentalité au Québec. C’est un gros obstacle.

À suivre

• Un bilan ou plutôt des bilans seront réalisés d’ici peu par les diverses composantes du mouvement populaire, ce qui permettra de voir beaucoup plus clair. Il faudra travailler fort pour identifier ce qui aurait pu être fait dans la dernière campagne. La question peut être plus urgente qu’elle ne le paraît, car le risque est fort que nous devrions retourner en campagne électorale bientôt !

• Peut-être le plus important sera également de commencer à construire une stratégie devant le nouveau contexte du gouvernement péquiste minoritaire. Il me semblerait important d’éviter que la droite et ses nombreux intellectuels de service ne monopolisent le débat et même qu’on puisse aider nos deux élu-es QS à élaborer des outils pour « parler fort » à Québec. Il faut utiliser le maximum d’espace pour se faire entendre, ce qui est tout un défi dans le contexte des médias « berlusconisés » et de l’omniprésence de la droite.

• Quelques thèmes qui pourraient être explorés :

o Comment la gauche peut s’enraciner davantage dans les régions et parmi les communautés immigrantes ?

o Que faire par rapport à la « religion » de la non-partisannerie qui prévaut dans le mouvement populaire et qui bloque le débat sur la nécessité de lier les luttes populaires et la bataille politique ?

o Sur quelles bases dialoguer avec le PQ notamment dans le cadre de l’Assemblée nationale ? Quelles sont les propositions qui pourraient déstabiliser la majorité (de droite) ?

o La gauche doit-elle envisager d’intervenir sur le terrain municipal (une bonne partie de l’implantation de la droite se situe là) ?

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