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Dalton Trumbo : Le scénariste qui a changé Hollywood (Jay Roach, 2016)

7e art, bêtise humaine, répression et pardon

Au départ, en 1895, le 7e art c’est des images, des images muettes pour être plus précis. Ensuite, en 1927, une innovation changera le cinéma de manière irréversible. Le cinéma devient parlant.

Le très conceptuel cinéaste de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard pour ne pas le nommer, n’avait pas tout à fait tort quand il précisait ceci : le cinéma « ce n’est pas une image juste, c’est juste une image ». Mis à part les images, justes ou non, le cinéma c’est aussi un scénario, une réalisation, un jeu d’actrices et d’acteurs, de la musique, des décors, des costumes et une multitude de personnes qui ont des compétences ou des habiletés techniques qui, rassemblées les unes aux autres, parviennent à réaliser du spectaculaire visuel et auditif sur ce qui s’appelait jadis une pellicule[1] qui était projetée par la suite sur un écran blanc.

Le cinéma, c’est aussi une industrie de création artistique pour les uns et de divertissement pour les autres. Le cinéma c’est également un puissant outil de propagande pour endoctriner les masses pour tous régimes politiques confondus. Le cinéma, à Hollywood, c’est, depuis fort longtemps, une industrie qui brasse de gros chiffres d’affaires et un milieu qui attire des artistes au talent exceptionnel et des affairistes ou des opportunistes que nous pouvons identifier comme appartenant à une ignoble engeance. Dans ce dernier cas, il s’agit de personnes qui se prennent pour les gardienNEs de l’orthodoxie hors de laquelle il n’y a point de salut (pensons ici à John Wayne, Ronald Reagan et Richard Nixon).

Des minables qui veulent imposer leur vision du monde sans partage aux autres qui pensent de manière contraire à la doxa qui plaît tant à la classe dirigeante. Des ratéEs pas sympathiques du tout qui se spécialisent dans le harcèlement et la persécution de celles et ceux qui luttent pour changer le monde au profit du plus grand nombre. Bref, des petits potentats ou des gardiennes et des gardiens de l’orthodoxie qui sont inconfortables avec la diversité des points de vue et qui font des alliances avec les dirigeants du moment qui occupent des postes d’autorité et qui, ces derniers, détiennent le pouvoir de bâillonner ou d’incarcérer, sur la base de simples soupçons ou d’amalgames douteux, celles et ceux qui luttent pour un monde plus égalitaire et plus fraternel.

Le scénariste de talent Dalton Trumbo (il a scénarisé, entre autres, les films suivants : Spartacus, Exodus, Johnny Got His Gun, etc.) a été victime de la chasse aux sorcières maccarthyste. Il a fait partie de la bande des Dix d’Hollywood et il s’est vu interdire les studios de cinéma après avoir effectué dix longs mois de prison pour ses idées politiques avant-gardistes et progressistes. À partir de ce moment, son nom est disparu du générique de certains films et il a même écrit anonymement, durant dix ans, plusieurs scénarios, qui ont été oscarisés. Tiens-toi !

Quelques mots sur le film Dalton Trumbo : Le scénariste qui a changé Hollywood

Dalton Trumbo : Le scénariste qui a changé Hollywood est un film biographique qui se classe dans la catégorie « drame personnel » pour un public de 17 ans et plus (ce qui est, selon nous, nettement exagéré comme classement restrictif) qui raconte une partie de la vie de ce scénariste de grand talent qui a été mis à l’index pour ses idées communistes et utopiques. Le film revient sur cette trop longue période dans la vie d’êtres humains qui ont eu à subir les foudres des puissances répressives de Washington et d’Hollywood durant de trop longues années[2]. Cette tranche de temps sombre de l’histoire américaine a pour nom la Guerre froide (de 1947 à 1991) et c’est sans conteste une authentique chasse aux sorcières qui l’a accompagnée au pays d’Uncle SAM (United States of AMerica). Un triste épisode durant lequel un sénateur républicain du Wisconsin, Joseph Raymond McCarthy[3], a présidé une Commission qui s’est spécialisée dans la persécution, avec zèle, de la gent artistique hollywoodienne et également dans la lutte contre l’infiltration communiste dans l’administration américaine.

Un peu d’histoire

Durant la Crise des années trente, c’est tout un système économique qui s’effondre. Des personnes, de conditions modestes surtout, assujetties au régime du salariat, découvrent brutalement que les promesses du libéralisme économique d’une création quasi illimitée de la richesse et de sa redistribution postulée comme profitable tôt ou tard pour toutes et tous, grâce à la division du travail, n’est qu’un leurre. Les rapports sociaux capitalistes, dans les grandes usines industrielles naissantes à cette époque, sont violents et conduisent des hommes et des femmes à subir, bien involontairement, un chômage de masse et à vivre une misère noire. Convenons que la situation est propice pour l’implantation d’une idéologie porteuse, encore à cette époque, d’espoir : le communisme. Il vaut la peine de préciser que durant les années trente, sur le front européen, l’Italie baigne, depuis déjà quelques années, dans le fascisme et l’Allemagne, à partir de 1933, verra Hitler accéder au pouvoir. La fin de la Crise des années trente coïncidera avec le déclenchement des hostilités ouvertes entre des puissances impérialistes de l’Europe de l’Ouest, du Japon et des USA, qui veulent s’approprier les richesses des pays qui leur sont soit voisins ou soit lointains. Place, à partir de la fin août 1939 au début du déclenchement de la folie destructrice et assassine militaire étatique, la Deuxième Guerre mondiale. Il faut dire qu’il n’y a pas plus puissante dose d’adrénaline à une économique capitaliste que le déclenchement d’une guerre ouverte entre plusieurs États-nations.

Le démarrage des hostilités a pour effet de relancer la production d’un pays vers l’extraction intensive de ressources naturelles, le développement précipité de l’industrie lourde et l’assujettissement servile de la recherche scientifique vers la production d’armes de destructions massives. Et c’est précisément ce qui va se passer à partir de 1939. Les populations des pays dits « civilisés » assistent à la recomposition des alliances entre les puissances belligérantes étatiques belliqueuses et agressives qui vont mobiliser une grande partie de leur population, non pas dans le but de célébrer la vie, mais plutôt pour détruire ce qui a pris, dans certains cas, des siècles à construire et mettre un terme à la vie de certaines populations ciblées : les jeunes mobilisés, les Juives et les Juifs, les Tziganes, les « Rouges » [c’est-à-dire les communistes, les socialistes et les anarchistes] les homosexuels et nous en passons.

La Deuxième Guerre mondiale donnera lieu d’ailleurs à une recomposition assez inusitée des alliances entre certains dirigeants étatiques. Le gouvernement fédéral des États-Unis d’Amérique s’associera à son ennemi juré : l’URSS, dirigée alors par celui qui se présentait pompeusement comme étant « Le petit père des peuples » et nous nommons le très brutal et sanguinaire Georgien Joseph Staline[4].

La conjoncture est donc propice, aux USA en général et à Hollywood en particulier, durant ces années qui vont de 1929 à 1947, à flirter avec le socialisme et le communisme. Et c’est précisément ce que nous relate le film Dalton Trumbo : Le scénariste qui a changé Hollywood. Mais, il n’est pas dit que celles et ceux qui ont décidé de se laisser convaincre par cette idéologie d’extrême-gauche, mise de l’avant par une certaine « Avant-garde » politique et artistique, n’en paieront pas le prix fort. De fait, nombreuses seront les victimes de la purge intérieure qui sévit durant ces années de noirceur et de purification idéologique au sein de la communauté artistique et du milieu syndical et politique progressiste étatsunien. Plusieurs personnes perdront leur gagne-pain et, par conséquent, leur maison. Il y aura de nombreux divorces, des dépressions nerveuses et même des suicides. Des noms de grands artistes n’apparaîtront pas sur leurs propres œuvres parce que les soupçons d’appartenance au socialisme et au bolchevisme qui pèsent sur eux les rendront infréquentables[5]. C’est tristement ainsi qu’à une certaine époque, les humains semblent avoir vécu[6]…

Tout au long du visionnement de ce film, je me disais qu’il y a quelque chose de fort étrange aux USA. Les héros progressistes se font souvent persécuter, alors que les médiocres, qui s’affichent sur des positions réactionnaires ou conservatrices, sont rarement freinés dans leur course ascendante. Pire, dans deux cas ici, Richard Nixon et Ronald Reagan, ils accéderont, quelques années plus tard, aux plus hautes fonctions de la Maison-Blanche. Trouvez l’erreur.

Pour conclure sur une note porteuse d’un certain espoir

Ce film Dalton Trumbo : Le scénariste qui a changé Hollywood, vous en apprendra un peu sur ce à quoi peut bien correspondre la « nature humaine ». Il y a, nous le constatons trop souvent, du « petit » chez certains humains. C’est uniquement dans le pardon des autres et à soi-même également que se dissipent les remords, l’amertume, le ressentiment et le goût de la vengeance. Ce qui semble avoir été le cas de Dalton Trumbo si on s’en remet à l’allocution qu’il a prononcée quand il a reçu, en 1972, la suprême récompense de la Writers Guild of America Award.

Il faut voir ou revoir le film de Dalton Trumbo Johnny Got his Gun (Johnny s’en va en guerre). Un film qu’il a lui-même écrit et réalisé. Il s’agit d’un film profondément antimilitariste et très avant-gardiste pour son époque. Dès le début des années soixante-dix, Trumbo dénonçait l’absurdité des conflits militaires armés et également l’acharnement thérapeutique du pouvoir tyrannique médical militaire. Cette œuvre cinématographique constitue rien de moins qu’une dénonciation de l’irrationalité de la guerre et un véritable plaidoyer en faveur de l’aide médicale à mourir.

Dernière observation : s’il est vrai que le monde se divise en deux, vous vous direz qu’il y a d’un côté, celles et ceux qui veulent avoir du plaisir dans la vie et de l’autre côté, celles et ceux qui agissent en vue d’imposer un ordre restrictif (la censure quoi). Choisissez votre camp !

Yvan Perrier

11 février 2021

15h15

yvan_perrier@hotmail.com

[1] Avant l’ère du numérique, bien entendu.

[2] La « Liste noire » a été en vigueur de novembre 1947 jusqu’au début de 1960.

[3] McCarthy sera finalement abandonné par la direction politique du Parti républicain. Il sera même l’objet d’une motion de blâme en provenance du Sénat.

[4] De son vrai nom : Iossif Vissarionovitch Djougachvili.

[5] https://www.monde-diplomatique.fr/1984/02/A/37874 . Consulté le 11 février 2021.

[6] « Est-ce ainsi que les hommes vivent et au loin leurs baisers les suivent » Louis Aragon. En regardant le film Dalton Trumbo vous préciserez ceci : « et au loin leurs baisers d’amour et de trahison les suivent »…

2 pièces jointes

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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