Édition du 21 octobre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Reprenons la maîtrise du Lac Saint-Jean, du Saguenay, et de nos ressources hydroélectriques

Le Saguenay—Lac-Saint-Jean est la seule région du Québec où des droits hydrauliques importants ont été cédés par le gouvernement du Québec aux mains d’entreprises privées (Rio Tinto et Produits forestiers résolus) par des baux de 25, 50 et 75 ans, assortis d’ententes secrètes. À elles seules, ces deux compagnies produisent davantage que la Manicouagan, soit plus de 3,300 Méga Watts (MW). Cette situation a pour conséquence que le contrôle du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, ainsi que de leurs berges, échappe totalement à la population régionale et au gouvernement national. Par ailleurs, on se rappelle qu’en 2012, pendant que RTA jetait ses employés dans la rue pour plusieurs mois en lock-out, elle vendait au prix courant (74 M$) l’électricité non utilisée pour la production au gouvernement du Québec qui ne savait qu’en faire étant donné les surplus d’Hydro-Québec. Selon l’entente secrète, la grève et le lock-out étaient considérés comme des « acts of God » justifiant l’obligation de Québec d’acheter l’électricité non utilisée par la compagnie.

Une gestion unilatérale du lac dans l’intérêt de la compagnie

Pour répondre aux besoins hydroélectriques de Rio Tinto, et pour vendre à Hydro-Québec en période de pointe hivernale, le niveau du lac Saint-Jean est régulièrement relevé, provoquant l’érosion des berges et des dommages souvent considérables aux propriétés des résidents et aux terres publiques. Nous ne ferons pas état ici de l’inondation de 1926, cette tragédie qui a détruit illégalement [1] et sans prévenir les champs ensemencés de 350 fermiers. Ni de celle de 1928, ni de la création de lacs subarctiques dans les années qui ont suivi.

Le Programme de stabilisation des berges du lac Saint-Jean, dont la compagnie a la responsabilité, vient à échéance d’ici un an et elle est à préparer celui de 2017-2026. Une consultation est en cours actuellement sur le sujet, qui est menée par le Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE) jusqu’au 7 octobre prochain. Rio Tinto (RT) a déjà évoqué, puis démenti suite à une forte réaction populaire, qu’elle voulait faire payer les riverains pour les dommages qu’elle crée et qu’elle a l’habitude de réparer. Concernant les terres publiques, notamment le secteur du Parc national de Pointe-Taillon, qui subit régulièrement des dommages, la compagnie a rappelé qu’elle se bornerait à préserver les milieux humides, comme le prévoit, semble-t-il, l’entente qui la lie au gouvernement du Québec.

Une gestion partagée exigée par la région

L’ensemble des riverains du lac Saint-Jean, des municipalités et des MRC, ainsi que de nombreux organismes de la région exigent une gestion conjointe partagée du lac, afin de protéger ce bien collectif et de concilier les divers usages. Rappelons que le BAPE avait recommandé cette formule en 1985, à la demande de la population, mais le gouvernement libéral de l’époque ne l’avait pas retenue devant l’intense lobby mené par la compagnie Alcan d’alors.

Tout récemment, sans vouloir influencer les travaux du BAPE, le PM Couillard et député de Roberval s’est dit favorable à une cogestion du Lac-Saint-Jean proposée par le Comité de la gestion durable du plan d’eau [2] et a invité RT à apaiser les tensions en travaillant avec le milieu [3]. Plusieurs voient dans cette ouverture une lumière au bout du tunnel, au moment où la compagnie est fortement critiquée sur tous les fronts [4] : retard dans les investissements promis, relations tendues avec les riverains, et avec ses sous-traitants, retrait du financement du quatuor Alcan, projet d’agrandissement d’un site de résidus de bauxite en plein cœur de la ville, etc. La compagnie a même cru bon de dépêcher son émissaire Gervais Jacques afin de remettre la région à sa place. Il a mené une opération médiatique pour nous expliquer que le marché de l’aluminium est très difficile –l’économiste Marc-Urbain Proulx affirme exactement le contraire [5] – que nous sommes chanceux « que la compagnie investisse un million par jour dans la région » et que l’heure n’est pas à la critique, mais bien à donner son soutien à une compagnie qui se fend en quatre pour nous. Un véritable spectacle digne des « Company town » colonisées du début du siècle dernier, comme le dirait sans doute Michel Chartrand. On a bien hâte de voir de quel côté Couillard finira par pencher…

Reprenons le contrôle de nos ressources

Québec solidaire a proposé dans sa campagne électorale de 2012, et réitéré en 2014 ainsi que lors de la partielle de 2016 dans Chicoutimi, de nationaliser l’ensemble des barrages de la région qui ont échappé à la nationalisation dans les années ’60 donnant lieu à la création d’Hydro-Québec, afin de redonner au Québec et à la région, le contrôle de cette ressource, ainsi que des lacs, cours d’eau et de leurs berges. Ce qui n’empêcherait pas de livrer de l’électricité aux entreprises à un taux préférentiel afin de favoriser le développement économique. Cette solution briserait le monopole et la mainmise des grosses compagnies sur la région, donnerait accès à ces avantages aux PME, aux entreprises d’économie sociale, et ouvrirait la porte à la participation citoyenne à la gestion des plans d’eau dans l’intérêt collectif.

Pierre Dostie*

* Ancien candidat de Québec solidaire dans Chicoutimi (2012 et 2016) et de l’Union des forces progressistes en 2003.


[1Le gouvernement Taschereau a par la suite passé une loi pour légaliser rétroactivement cette inondation. Un bon film de l’ONF : Le combat d’Onésime Tremblay rend compte de ce combat qu’Onésime a mené jusqu’au Conseil Privé de Londres et qu’il a malheureusement perdu.

[2Dont font partie les 3 MRC du Lac-Saint-Jean et la communauté Innue de Mashteuiatsh

[3Le Quotidien, 2016-09-10

[4Exception faite du Conseil municipal de Saguenay qui a fait preuve d’un aplaventrisme honteux en dézonant le terrain que RT veut utiliser pour y accumuler ses résidus de bauxite, avant même toute étude d’impact sur l’environnement et la santé humaine.

[5Le Devoir, 2016-09-02

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