Édition du 10 décembre 2024

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Tuer l’Indien en tuant l’enfant ?

Écrit par Frédéric Barriault

Deux cent quinze enfants autochtones morts sur les lieux même d’un pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique : comme bien des personnes au Québec et au Canada, j’ai été bouleversé et choqué mais hélas peu surpris de cette terrible nouvelle. Déjà au moment des travaux de la Commission de vérité et réconciliation (CVR), des doutes subsistaient quant à l’ampleur de l’hécatombe qui s’est déployée derrière les portes closes de ces écoles. On estimait alors que près de 4100 enfants autochtones y avaient perdu la vie, bien que tout un rapport de la commission avait déjà laissé entendre que ce chiffre pourrait n’être que la pointe de l’iceberg.

Six ans plus tard, la macabre découverte met en lumière toute la violence sourde et implacable de cette phase ultime du colonialisme canadien, après des décennies de dépossession. Pour nombre d’Autochtones, y compris les membres de la communauté Tk’emlúps te Secwe̓pemc, ce n’était qu’une question de temps avant qu’on démontre ce dont ils se sont toujours douté et dont la mémoire collective souffrante a conservé la trace : celle de ces trop nombreux enfants enlevés par les Blancs et qui ne sont jamais revenus du pensionnat.

Déjà, des voix s’élèvent pour qualifier cette hécatombe de crime contre l’humanité, prenant le relais de la commissaire Michèle Audette qui, en juin 2019 lors du dépôt du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, parlait volontiers de « génocide tout court » pour décrire les violences physiques, sexuelles, obstétricales, médicales, policières, cléricales et institutionnelles déployées contre les femmes et les peuples autochtones du Canada. Et que dire de l’incroyable violence psychologique de priver les familles de la possibilité de faire leur deuil d’un enfant ou d’un proche disparu, sans que personne n’ait daigné leur annoncer la nouvelle et encore moins leur offrir le moindre réconfort ? Une violence non seulement infligée dans les pensionnats, mais aussi avec la rafle des années 1960 et, plus près de nous, dans des hôpitaux québécois où des dizaines d’enfants autochtones ont « mystérieusement » disparu sans laisser de trace.

Les corps broyés du colonialisme canadien

Mon cœur de père s’est déchiré en lambeaux face à la brutalité du colonialisme canadien et québécois, capable d’une cruauté sans nom à l’égard des familles, des communautés et des peuples autochtones, s’en prenant à ce qu’ils ont de plus cher et de plus sacré : leurs enfants. Longtemps, très longtemps avant que Camil Bouchard et Régine Laurent n’en fassent un projet de société pour les Québécois, les Premiers Peuples étaient déjà amoureux fous de leurs enfants. Des enfants à ce point entourés de soins et d’amour que les colonisateurs européens venus leur apporter les « bienfaits de la civilisation » en étaient étonnés, sinon choqués. Leur arracher leurs enfants et le faire à si vaste échelle a en tout cas toutes les allures d’un assaut savamment planifié. S’agissait-il de « tuer l’Indien dans l’enfant » ou plutôt d’anéantir les peuples autochtones en broyant ce qu’ils ont de plus cher, dans les rouages de l’État colonialiste ? S’il faut en juger par les traumatismes intergénérationnels et la déstructuration sociale qui accablent les communautés autochtones depuis l’époque des pensionnats, force est de reconnaître les effets dévastateurs du colonialisme canadien. Colonialisme dont les Églises chrétiennes ont été des rouages actifs, sinon zélés.

L’un des grands mérites des analyses écoféministes est de nous rendre conscients des impacts charnels et corporels de la violence patriarcale, laquelle use et abuse des corps des femmes et des enfants, de la même manière qu’elle quadrille, dissèque, exploite et saccage la Terre. Il y a donc une corrélation entre la domination (capitaliste) de la nature et les violences (patriarcales et colonialistes) contre le corps des femmes et des enfants. L’histoire du Canada porte l’empreinte de ces violences dont la terre, la forêt, les cours d’eaux, la faune et les corps suppliciés des Autochtones portent les stigmates indélébiles. Après avoir surexploité le castor jusqu’à sa quasi-extinction, après avoir rasé puis gazonné les forêts ; après avoir détourné, canalisé, enfermé, « turbiné » l’eau des lacs et des rivières dans des barrages et réservoirs pour le plus grand profit des papetières et alumineries ; après avoir « vidé » les Prairies de ses bisons et de ses « Indiens malcommodes » (Thomas King) par la violence et la famine pour y faire passer ses chemins de fers et ses oléoducs ; l’État colonialiste s’est affairé à briser les corps des hommes certes, mais plus encore des femmes et des enfants autochtones.

D’abord par les dispositions sexistes de la Loi sur les Indiens qui place les femmes autochtones sous une tutelle masculine permanente, en faisant de vulgaires « biens meubles » dont les hommes et les Blancs peuvent disposer à leur guise. Ensuite par cette machine à broyer les corps et les âmes que furent les pensionnats. Après avoir arraché les enfants autochtones de leurs familles et leurs communautés, après leur avoir retiré leurs habits traditionnels, leur avoir coupé les tresses, rasé les cheveux, soumis à une douche froide et vêtus à l’occidentale, leurs minuscules corps ont été soumis à des mauvais traitements, des abus physiques, psychologiques et sexuels répétés de la part des éducatrices et éducateurs qui devaient apparemment veiller au bien-être et à l’épanouissement de ces tout petits – et ce, au nom de la foi en Jésus-Christ. Il semble de toute évidence que le mandat de « tuer l’Indien dans l’enfant » qu’avaient ces pensionnats-prisons n’ait pu s’accomplir dans bien des cas sans aussi tuer l’enfant tout court…

Il est certes un peu tôt pour conjecturer sur les causes exactes du décès des enfants dont on a retrouvé la dépouille aux abords du pensionnat de Kamloops. Des médias conservateurs comme le Dorchester Review et le National Post n’ont cependant pas tardé à spéculer, et à attribuer le tout à des maladies infectieuses comme la tuberculose. Au début du 20e siècle la peste blanche était certes une meurtrière de masse pour les enfants et nourrissons. Or, combien d’enfants blancs au juste sont-ils morts dans les pensionnats, couvents et collèges classiques tenus par les communautés religieuses ? En contrepartie, si on se fie au rapport de la CVR cité plus haut, on pourrait s’attendre à d’autres macabres découvertes comme celle de Kamloops en fouillant sous la terre des pensionnats autochtones d’un bout à l’autre du pays. Cela laisse peu de doutes quant à la brutalité des conditions de vie qui y sévissaient et du racisme systémique qui en est la matrice.

À quand une contrition sincère de l’Église catholique ?

Depuis trois jours, des militants autochtones et leurs alliés multiplient les gestes symboliques aux abords des lieux de culte catholiques d’un bout à l’autre du pays afin d’honorer la mémoire des 215 enfants autochtones morts anonymement dans l’enceinte censée être sacrée du pensionnat de Kamloops. La cible semble être la bonne : ce pensionnat était administré par une communauté religieuse catholique et, à ce jour, l’Église catholique est la seule institution religieuse canadienne à ne pas avoir adressé d’excuses officielles aux peuples autochtones pour les abus perpétrés dans les pensionnats. Ces excuses sont pourtant une étape essentielle dans le processus de guérison des victimes.

Depuis le dépôt du rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation en 2015, les évêques canadiens n’ont eu cesse de s’embourber dans une rhétorique sur l’autonomie des diverses entités catholiques au Canada et les divisions au sein de la conférence épiscopale afin de ne pas donner suite à cet important appel à l’action. Il est vrai que le pape François a maintes fois insisté sur la synodalité et l’autonomie des conférences épiscopales nationales. Reste que ce refus d’inviter le pape à adresser ces excuses officielles fait très mal aux victimes.

Qu’attendent nos évêques pour faire un pas de plus vers la décolonisation de nos relations avec les Premiers Peuples du Canada, au vu de ces violences inouïes ? Quels gestes concrets entendent-ils déployer afin de donner suite aux perches et rameaux d’olivier maintes fois tendus en leur direction par les leaders autochtones du Canada, au-delà des excuses à la pièce et des initiatives locales certes louables mais sans effets structurants sur la nécessaire décolonisation ? Le maigre communiqué émis par la conférence épiscopale après la découverte de Kamloops, de même que son appui timide au projet de loi C-15 proposant de décoloniser en profondeur les institutions canadiennes sont plus que décevants. Les gestes forts et prophétiques tardent encore à se manifester du côté de l’Église institutionnelle alors que la colère gronde chez les peuples autochtones, face à une souffrance trop longtemps ignorée et négligée.

Puisque le christianisme a été l’une des composantes des violences coloniales envers les Autochtones, il doit désormais faire partie de la solution, c’est-à-dire la déconstruction des « structures de péché » qui l’on rendu possible.

Ici et maintenant.

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