Édition du 23 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet du 5 octobre

Vaincre Harper ? Est-ce possible ?

Le gouvernement conservateur qu’on dit « majoritaire » représente tout sauf une majorité de l’électorat au Canada. Comme le démontre le sociologue Guillaume-Frederick Dufour (dans un article à paraître dans le prochain numéro des NCS), c’est une minorité de moins de 32 % des gens qui a voté pour Harper.

Mais celui-ci est un fin stratège. Autour de lui se trouvent des intellectuels de haut niveau comme Tom Flanagan, un lecteur assidu de Gramsci et de Machiavel dont il pige les idées pour articuler un programme de reconstruction de la droite. Ce Flanagan (il enseigne à l’Université de Calgary) avec l’appui des grandes élites canadiennes a travaillé depuis des années pour transformer le Parti qui s’appelait « progressiste-conservateur » (!) en une force combative et agressive.

Lors des élections de 2011, les conservateurs savaient ce qu’ils voulaient, soit de faire basculer environ 20 comptés dans leur camp, pas plus et pas moins. Cette stratégie était centrée sur des cibles bien précises, surtout dans la couronne nord de Toronto et en Colombie britannique, en laissant tomber à peu près tout le reste du pays. Et c’est ce qu’ils ont fait, en misant sur la division du vote entre le NPD et le Parti Libéral (PLC). En tout et pour tout selon Dufour, Harper vise à « fidéliser de 33% à 38% de l’électorat, ce qui est suffisant pour gagner les élections dans le système politique qui prévaut au Canada. La droite réunifiée sous Harper se retrouve devant une opposition fragmentée entre le PLC et le NPD, sans compter le Bloc Québécois (au Québec) et les Verts (surtout en Colombie britannique). Avec cela, il est possible que Harper conserve le pouvoir pendant longtemps ! Ne tombez pas de votre chaise !

Pour autant, sondages après sondages démontre que la population canadienne demeure majoritairement aux valeurs séculières et féministes, tout à fait à l’encontre de l’agenda néoconservateur (c’est encore plus évident au Québec). Et toujours selon Dufour, seulement 2% des Canadiens ne croient pas aux changements climatiques, en dépit de la puissance du lobby pétrolier. Alors qu’est-ce qu’on f ait ?

La perspective qu’un gouvernement conservateur conserve le pouvoir ne doit pas nous laisser indifférents. Comme je l’ai dit dans un précédent article, on ne peut pas penser que nous sommes « en dehors » du Canada. Et on ne peut pas non plus remettre le problème à une accession éventuelle à l’indépendance. La « question canadienne » dans ce sens interpelle les mouvements populaires et la gauche au Québec.

Une fois dit cela, les options sont limitées. Historiquement depuis une bonne cinquantaine d’années, les liens entre la gauche québécoise et la gauche canadienne se sont évaporés, chacun décidant de fonctionner de son côté. Le NPD, cette formation politique de centre-gauche qui aurait pu être un soutien des progressistes au niveau fédéral, a échoué à prendre racine au Québec, essentiellement, quant à moi, à cause de son incapacité de reconnaître le fait national québécois d’une manière correspondant à la réalité et aux espoirs d’émancipation. Cet « angle mort » de la gauche canadienne a perverti les rapports avec le Québec. Certes au Québec pour parler de nous-mêmes, la coalition autour du PQ qui a drainé l’appui des mouvements populaires pendant longtemps empêchait également de penser une alliance avec les progressistes canadiens.

C’est alors que survient le tsunami de mai 2011 quand le Québec « bascule » du côté du NPD délaissant la branche fédérale du PQ, en l’occurrence le Bloc Québécois. Depuis, un nouveau débat est en cours. Le NPD sous la direction de l’ex-ministre de Jean Charest libéral Thomas Mulcair a adopté un discours plus respectueux du Québec, qui résulte de l’effort de certains éléments de gauche du NPD (dont Alexandre Boulerice et Pierre Ducasse), et qui a été capté dans la dite « déclaration de Sherbrooke » (qui date de 2006). Cette déclaration n’est pas réellement dans le « programme » du NPD, mais en gros elle est présentée par Mulcair comme le signal d’un changement. Dans cette déclaration, on reconnaît la réalité nationale du Québec et on dit même qu’un référendum qui adopterait la souveraineté à 50% + 1 serait acceptable. On affirme que le Québec devrait avoir un droit de retrait avec pleines compensations en cas de litige avec le gouvernement fédéral sur des questions sous sa juridiction. On fait l’apologie de la loi 101 et on annonce que le NPD va se battre pour qu’elle étende sa juridiction aux entreprises fonctionnant sous une charte fédérale au Québec.

Tout cela semble assez audacieux, mais est-ce suffisant ? Richard Fidler, un militant chevronné de la gauche ontarienne pense que non. Il estime que Mulcair veut esquiver la question constitutionnelle. Comme on le sait, cette « loi fondamentale » du Canada ne reconnaît pas le droit à l’autodétermination du peuple québécois. L’État canadien a été construit dès le départ sur la subjugation des peuples québécois et autochtones. Pour Fidler, ceci n’est pas une question « technique » qui peut être contournée par une « déclaration » ou encore moins par un vote sans substance comme celui qu’avait proposé Harper en 2010 (« la nation québécois existe au sein du Canada » !). Fidler estime par ailleurs que le NPD a pratiquement abandonné ses options social-démocrates pour se réfugier dans une sorte de centrisme mou, comme cela a été mis en pratique là où le NPD a administré des provinces.

Malgré tout cela, il est clair que les élites canadiennes ne veulent pas du NPD. Fait à souligner, Mulcair est présentement la cible d’une attaque concertée de la part des Conservateurs, du PLC et des médias, pour qu’il dénonce la « menace séparatiste », qu’il oublie la déclaration de Sherbrooke et qu’il revienne au « bercail », comme il l’avait fait lors des référendums de 1980 et de 1995, sans compter lorsque le NPD (sous Jack Layton) avait appuyé l’infâme loi dite de la « clarté » présentée par Stéphane Dion pour verrouiller la possibilité d’un autre référendum.

On souhaite (sincèrement) bonne chance à Alexandre Boulerice !

Pour terminer et pour explorer davantage le débat, on doit aussi considérer l’envers de la médaille. Sans une force capable de s’opposer à Harper, on va passer un mauvais quart d’heure, au Québec et tant qu’à cela, ailleurs au Canada. Le Bloc Québécois, c’est mon hypothèse, est un projet fini, n’en déplaisent à certains nostalgiques. Le PLC « relooké » avec le fils Trudeau, c’est rien pour nous non plus ! Mes amis ontariens me disent la chose un peu brutalement, « c’est Harper ou Mulcair », si on veut être réalistes. C’est un argument qui doit être considéré même si le danger existe que nous soyons coincés dans une polarisation néfaste, comme nos camarades états-uniens le sont depuis toujours entre les Républicains (la « droite ») et les Démocrates (la « gauche » !).

Pour ceux qui penseraient que cette polarisation agit de la même manière au Québec (PLQ versus PQ), ce n’est pas la même chose puisqu’ici, il y a un véritable projet de gauche avec une base populaire substantielle : cela s’appelle Québec Solidaire. Mais penser qu’une force à gauche du NPD puisse se mettre en place dans un avenir rapproché est rêver en couleurs ! (je dis cela sans aucunement mépriser les camarades qui essaient de travailler sur cela, mais qui sont assez réalistes pour savoir que c’est un projet à très long terme).

Comment se sortir de ce qui semble être alors une impasse ? Peut-être qu’il faut en discuter davantage, y compris en dialoguant avec les mouvements populaires et la gauche du Canada anglais, qui sont un peu devant le même dilemme. L’idée d’un « Forum social Québec-Canada-Premières Nations » évoquée il y a quelques années pourrait redevenir pertinente. Les éléments progressistes du NPD pourraient également en profiter et éventuellement – on a le droit de rêver- on pourrait ensemble redéfinir un projet qui soit une véritable passerelle entre les progressistes québécois et canadiens.

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