Édition du 23 avril 2024

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Je crie et j’écris

Dans ce texte, j’explique pourquoi j’ai fait la grève ces deux derniers jours... Il s’agit d’une tentative d’illustration fragmentaire de la "grève altruiste". Oui, on peut faire la grève pour différents motifs qui vont de "soi" (ses intérêts personnels qui ne sont pas nécessairement des "intérêts égoïstes") vers les intérêts des "autres" (pour mettre un terme à des injustices subies et encaissées par autrui). Le rapport salarial capitaliste (qu’il soit privé ou étatique) s’enrichit avec la multiplication des statuts précaires. Ne l’oublions surtout pas.

La grève

Deux journées de grève

Huit heures à piqueter

Pourquoi ?

Pour moi ?

Pour améliorer ma situation et ma condition ?

Pas vraiment

Je suis un professeur en fin de carrière

Il y a belle lurette que je n’obtiens plus tellement de gains lors du renouvellement de la convention collective

Alors, pour quelle(s) raison(s) est-ce que je fais la grève ?

Pire, pourquoi même ai-je voté « Pour » la grève ?

J’exerce selon moi un métier qui mérite d’être défendu

Métier, que dis-je

Une profession

Probablement une des plus belles et des plus nobles

Une profession qui est en plus une « Priorité nationale »

Une profession qui est mal menée, mal traitée et mal rémunérée par l’État-patron

Une profession au sein de laquelle le nombre de précaires est trop élevé

Des personnes

Parmi les plus brillantes et les plus scolarisées de notre société

Se font traiter comme du cheap labour

Ah oui, ces personnes ont droit à une rémunération au taux horaire élevé

Hélas, ce taux ne tient pas compte du « travail invisible »

Les heures de correction et le travail de préparation ne sont pas reconnus

Pire, cette rémunération horaire est un « tout inclus »

Il y a même là-dedans la paye de vacances

J’ai mis dix-sept années avant d’obtenir un poste permanent

Dix-sept longues années à me sentir comme une « bille dans les mains d’un joueur »

Dix-sept années durant lesquelles tous les jours je me répétais un mot : « Précaire »

Dites-moi, vous avez déjà regardé dans un dictionnaire la définition du mot précaire ? :

« Dont l’avenir, la durée, ne sont pas assurées »

Combien y a-t-il de médecins et de médecins spécialistes précaires ?

Ces disciples d’Hippocrate sont-elles et sont-ils plus qualifiéEs que les professeurEs chargéEs de cours qui oeuvrent dans l’enseignement supérieur ?

CertainEs peut-être, mais pas toutes et pas tous assurément

Alors pourquoi des précaires sous-payées dans l’enseignement collégial ?

Pourquoi tant de personnes parmi les professeurEs chargéEs de cours de cégep qui gagnent moins de 56 000$ par années, monsieur Legault ?

C’est ce à quoi j’ai occupé ma pensée durant mes huit heures de piquetage

Pourquoi la grève ?

Pourquoi exercer ce moyen de pression, cet ultime moyen de pression en appui à des revendications ?

En grève parce que les politicienNEs ne s’intéressent qu’aux problèmes urgents et criants

En grève pour combattre la précarité qu’on ne discute jamais, même si ce sujet apparaît dans les cahiers de revendications syndicales depuis au moins 1979

Au cours des dernières années, il m’est arrivé d’être mis à plus d’une reprise à contribution pour renflouer les finances publiques

J’ai même accepté volontairement, pour permettre au gouvernement d’atteindre son fameux déficit zéro, une compression salariale de 3,57% par année durant 3 ans

J’ai ensuite connu une longue disette de 33 mois sans aucune augmentation salariale

Étrangement depuis les quarante dernières années, je ne cesse d’être mis à contribution au nom soit de la rigueur budgétaire ou soit d’une saine gestion des finances publiques

Morale de cette histoire de la rémunération dans les secteurs public et parapublic :

Que ça aille bien ou que ça aille mal

Les augmentations paramétriques se sont toujours situées, depuis les 20 dernières années, pour les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic, entre 0 et 2% par an

Pourtant, il est arrivé combien de fois où l’Indice des prix à la consommation a dépassé ces pourcentages ?

Il y a eu combien d’années de surplus budgétaires milliardaires ?

Pendant ce temps

Mon pouvoir d’achat ne cesse de s’éroder et la situation des précaires s’est dégradée

C’est grâce à la relativité - qui n’est pas une augmentation de salaire- obtenue après de longues années d’attentes (et sans rétroactivité) que je me suis un peu remis à niveau

Ma rémunération ne tient pas la comparaison avec mes collègues des autres provinces canadiennes

C’est d’une tristesse à vous faire dormir debout

La condition des professeurEs de cégep, chargéEs de cours ou non, n’émeut pas les dirigeantEs politiques

L’essentiel pour elles et pour eux c’est que nous ne cessions en aucun temps d’assurer notre prestation de travail…

Parmi mes collègues il y a des précaires

Ces personnes sont dans une situation franchement insupportable

C’est pour ces personnes que j’ai fait la grève cette semaine

Je n’hésiterai pas

Si on me le demande à nouveau

À retourner sur le trottoir

Pour faire avancer la négociation avec un État patron aveugle, sourd

Et trop, beaucoup trop, insensible à la réalité des précaires…

L’État est un monstre froid, acéphale même

Voilà pourquoi je crie et que j’écris : « Je fais la grève » pour éliminer, ne serait-ce qu’un petit peu, la précarité

Yvan Perrier

Du 11 au 13 mai 2021

yvan_perrier@hotmail.com

Ajout
24 mai 2021
17h
Je viens de retracer l’information suivante :
"Lors de la ronde de négociation de 1976 dans les secteurs public et parapublic, la FNEEQ-CSN prônait l’intégration du personnel enseignant de l’Éducation des adultes (ÉDA) à l’enseignement régulier."
Source : Perrier, Yvan. "Travailler sans filet". Pédagogie, Entre autres. Vol. 2, no 5, 10 avril 1995, p. 1.

Zone contenant les pièces jointes

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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