La grève
Deux journées de grève
Huit heures à piqueter
Pourquoi ?
Pour moi ?
Pour améliorer ma situation et ma condition ?
Pas vraiment
Je suis un professeur en fin de carrière
Il y a belle lurette que je n’obtiens plus tellement de gains lors du renouvellement de la convention collective
Alors, pour quelle(s) raison(s) est-ce que je fais la grève ?
Pire, pourquoi même ai-je voté « Pour » la grève ?
J’exerce selon moi un métier qui mérite d’être défendu
Métier, que dis-je
Une profession
Probablement une des plus belles et des plus nobles
Une profession qui est en plus une « Priorité nationale »
Une profession qui est mal menée, mal traitée et mal rémunérée par l’État-patron
Une profession au sein de laquelle le nombre de précaires est trop élevé
Des personnes
Parmi les plus brillantes et les plus scolarisées de notre société
Se font traiter comme du cheap labour
Ah oui, ces personnes ont droit à une rémunération au taux horaire élevé
Hélas, ce taux ne tient pas compte du « travail invisible »
Les heures de correction et le travail de préparation ne sont pas reconnus
Pire, cette rémunération horaire est un « tout inclus »
Il y a même là-dedans la paye de vacances
J’ai mis dix-sept années avant d’obtenir un poste permanent
Dix-sept longues années à me sentir comme une « bille dans les mains d’un joueur »
Dix-sept années durant lesquelles tous les jours je me répétais un mot : « Précaire »
Dites-moi, vous avez déjà regardé dans un dictionnaire la définition du mot précaire ? :
« Dont l’avenir, la durée, ne sont pas assurées »
Combien y a-t-il de médecins et de médecins spécialistes précaires ?
Ces disciples d’Hippocrate sont-elles et sont-ils plus qualifiéEs que les professeurEs chargéEs de cours qui oeuvrent dans l’enseignement supérieur ?
CertainEs peut-être, mais pas toutes et pas tous assurément
Alors pourquoi des précaires sous-payées dans l’enseignement collégial ?
Pourquoi tant de personnes parmi les professeurEs chargéEs de cours de cégep qui gagnent moins de 56 000$ par années, monsieur Legault ?
C’est ce à quoi j’ai occupé ma pensée durant mes huit heures de piquetage
Pourquoi la grève ?
Pourquoi exercer ce moyen de pression, cet ultime moyen de pression en appui à des revendications ?
En grève parce que les politicienNEs ne s’intéressent qu’aux problèmes urgents et criants
En grève pour combattre la précarité qu’on ne discute jamais, même si ce sujet apparaît dans les cahiers de revendications syndicales depuis au moins 1979
Au cours des dernières années, il m’est arrivé d’être mis à plus d’une reprise à contribution pour renflouer les finances publiques
J’ai même accepté volontairement, pour permettre au gouvernement d’atteindre son fameux déficit zéro, une compression salariale de 3,57% par année durant 3 ans
J’ai ensuite connu une longue disette de 33 mois sans aucune augmentation salariale
Étrangement depuis les quarante dernières années, je ne cesse d’être mis à contribution au nom soit de la rigueur budgétaire ou soit d’une saine gestion des finances publiques
Morale de cette histoire de la rémunération dans les secteurs public et parapublic :
Que ça aille bien ou que ça aille mal
Les augmentations paramétriques se sont toujours situées, depuis les 20 dernières années, pour les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic, entre 0 et 2% par an
Pourtant, il est arrivé combien de fois où l’Indice des prix à la consommation a dépassé ces pourcentages ?
Il y a eu combien d’années de surplus budgétaires milliardaires ?
Pendant ce temps
Mon pouvoir d’achat ne cesse de s’éroder et la situation des précaires s’est dégradée
C’est grâce à la relativité - qui n’est pas une augmentation de salaire- obtenue après de longues années d’attentes (et sans rétroactivité) que je me suis un peu remis à niveau
Ma rémunération ne tient pas la comparaison avec mes collègues des autres provinces canadiennes
C’est d’une tristesse à vous faire dormir debout
La condition des professeurEs de cégep, chargéEs de cours ou non, n’émeut pas les dirigeantEs politiques
L’essentiel pour elles et pour eux c’est que nous ne cessions en aucun temps d’assurer notre prestation de travail…
Parmi mes collègues il y a des précaires
Ces personnes sont dans une situation franchement insupportable
C’est pour ces personnes que j’ai fait la grève cette semaine
Je n’hésiterai pas
Si on me le demande à nouveau
À retourner sur le trottoir
Pour faire avancer la négociation avec un État patron aveugle, sourd
Et trop, beaucoup trop, insensible à la réalité des précaires…
L’État est un monstre froid, acéphale même
Voilà pourquoi je crie et que j’écris : « Je fais la grève » pour éliminer, ne serait-ce qu’un petit peu, la précarité
Yvan Perrier
Du 11 au 13 mai 2021
yvan_perrier@hotmail.com
Ajout
24 mai 2021
17h
Je viens de retracer l’information suivante :
"Lors de la ronde de négociation de 1976 dans les secteurs public et parapublic, la FNEEQ-CSN prônait l’intégration du personnel enseignant de l’Éducation des adultes (ÉDA) à l’enseignement régulier."
Source : Perrier, Yvan. "Travailler sans filet". Pédagogie, Entre autres. Vol. 2, no 5, 10 avril 1995, p. 1.
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