Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

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Le blogue de Pierre Beaudet

Repenser à notre affaire (troisième partie)

Pour une TV solidaire

Les progrès réels mais (trop) modestes de QS le 7 avril dernier doivent être un incitatif pour aller plus loin et même travailler sur des chantiers et des sentiers inédits. Il faut pour cela regarder la réalité en pleine face. Pour le moment, avec moins de 8% des votes, QS est encore une idée vague, lointaine, pour la vaste majorité de la population. Certes, les gens qui sympathisent avec les idées et les personnalités progressistes sont beaucoup plus nombreux, ce qui est bien et en même temps limité. Pour ceux et celles qui travaillent avec QS, l’idée est de construire quelque chose qui est davantage qu’un symbole de ce que cela « pourrait être ». Sans avoir aucune illusion et tout en restant les pieds solidement sur terre, QS doit défoncer rapidement les murs qui l’encerclent et le limitent à une frange marginale de la population, et de surcroit très montréalaise. Penser autrement est se condamner à l’impuissance et à l’insignifiance. Le choix de QS est d’intervenir et d’avoir un impact sur le terrain politique actuel, avec toutes ses limites et contradictions.

La bataille des idées

On revient à cette bonne vieille idée que nous ont léguée nos « ancêtres » comme Gramsci, Rosa Luxembourg et bien d’autres. Les élites, et notamment la droite, ne gouvernent pas seulement parce qu’ils ont le « gros bâton ». Ils ont accumulé un véritable « capital » symbolique de « valeurs » et de « références » que la plupart des gens considèrent comme presque « naturelles ». Ils reproduisent ce capital et continuent de l’enrichir à travers le réseau dense des institutions qui recouvre un espace très vaste : famille, religion, système d’éducation, univers médiatique, façons de voir le monde. Chacune de ces institutions est un « terrain de bataille », car les dominés y sont présents et disent aussi leur mot. Une certaine pensée binaire héritée de l’anarchisme et du marxisme dogmatique nie ces contradictions et a tendance à voir le monde comme un espace « fermé » et le capitalisme et l’État comme « étanches », qu’il faudra renverser, éventuellement, d’un seul coup. En réalité, le pouvoir est fait de micro-pouvoirs. Les rapports sociaux où s’opposent les projets se déploient, se confrontent sur ces micro pouvoirs. Chaque « petite » lutte est inscrite dans une plus « grande » lutte. Par exemple, la lutte contre la hausse des frais de scolarité était une partie, une composante de la lutte populaire pour l’éducation, pour le bien commun. La victoire, même partielle, de cette lutte a été une défaite pour les dominants. Et cette victoire, elle a été dans la rue, mais aussi dans la « tête ». Les arguments de la CLASSE et de leurs supporteurs ont fini par s’imposer. D’où l’importance pour les mouvements populaires et pour la gauche d’être extrêmement attentif à ces multiples batailles des idées qui se passent un peu partout, et à ne pas avoir peur de « sortir au grand jour ».

L’enjeu des médias

Dans cette phase du capitalisme mondial et québécois en crise, une offensive sans précédent est en cours pour transformer les médias en véritables outils de la guerre de classe du point de vue des dominants. Ce qu’on appelle les médias-poubelles sont mandatés pour attiser la haine, la peur, le sentiment du tout-le-monde-contre-tout-le-monde et un amour dans limite pour la domination et la subjugation. Les médias qu’on appelle encore « traditionnels » sont plus « modérés », mais le message est essentiellement le monde : « ne luttez pas pour le changement, car on ne peut (presque) rien changer ». Cette situation a un effet réellement atrophiant sur la conscience populaire. Malgré tout, cette domination n’est pas totale. Il y a d’autres messages qui réussissent à se faufiler dans l’espace médiatique. Et surtout, il y a les médias dits « sociaux » qui ont ouvert des tas de portes aux dominés et aux rebelles de ce monde.

TV solidaire

Mes amis technos me disent qu’on est déjà entrés dans une nouvelle phase pour les médias sociaux. Ils citent en exemple les braves étudiant-es de Concordia qui ont fait un énorme boulot avec leur TV alternative durant le printemps des Carrés rouges. On voit donc le web de plus en plus utilisé par les mouvements de justice sociale et environnementale d’une manière de plus en plus sophistiquée, ce qui permet d’atteindre de très grands nombres. Il me semble qu’on doit prendre le défi à bras le court et créer une TV Web solidaire, qui n’est pas un petit projet, mais qui n’est pas non plus impossible. D’autant plus qu’on retrouve à gauche des tas d’artistes, de producteurs, de journalistes compétents et motivés. Ce n’est pas un projet qui se monte sur le coin d’une table un dimanche matin.

Mettre de l’avant un autre regard

QS et les mouvements populaires et de gauche ont une identité qu’il faut promouvoir, avec une certaine modestie cependant (personne ne détient la « ligne juste »). Par ailleurs, il y a aussi des tas d’entités et de personnalités qui réfléchissent et qui ont des idées sur comment confronter cette « crise des crises » et qui ont des sensibilités diverses. Pour les gens désarçonnés par la crise et le bombardement intellectuel et culturel de la droite, on cherche autre chose, si ce n’est de vrais débats et de vraies enquêtes. Les quelques (rares) journalistes des médias traditionnels qui ont de la crédibilité (pensons à l’émission « Enquête » de Radio-Canada par exemple) le sont parce qu’ils travaillent dur pour défricher les réalités complexes. Ce n’est pas de tomber dans l’illusion d’une pensée « objective », désincarnée. Chaque pensée exprime un point de vue, est basé sur des hypothèses, des valeurs, une certaine vision du monde. Une fois que cela est dit cependant, il faut être plus créatif et moins dogmatique. TV Solidaire ne devrait pas être un outil de « propagande » réservé à la « ligne juste », mais un outil ouvert, capable de projet un autre regard sur le monde et de proposer des dialogues constructifs. On se demandait l’autre jour ce qu’on pouvait faire et on disait, « un million de choses ». En voici une qu’il faut étudier davantage.

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