La mise à jour économique d’hier ouvre la période de transition entre le premier et le deuxième acte, celui qu’on pourrait nommer la fanfaronnade rassurante. M. Leitão disait en gros hier : c’est fait, le pire est passé, nous atteindrons nos objectifs. Le message se décompose en deux énoncés : le premier (le pire est passé) concerne la population et le deuxième (nous atteindrons nos objectifs) prétend s’adresser aux investisseurs et aux agences de notation. Il faut s’habituer, ces message seront au cœur de la stratégie de communication du gouvernement pendant la prochaine année et demi… si tout va bien.
Or, la mise à jour d’hier n’assure pas que tout va bien, contrairement à ce que prétend la bonhommie du ministre des Finances. En fait, elle démontre que le gouvernement s’était encore trompé dans ses prédictions. L’économie croît moins vite que prévu. Lors de la campagne électorale, le Parti libéral comptait sur une croissance du PIB nominal (incluant inflation) de 4,5% pour 2014. Dès juin, le nouveau gouvernement a revu cette prévision à la baisse en ramenant le tout à 3,4%. La mise à jour économique annonçait hier qu’elle serait finalement de 3,1%. Cela a des conséquences pour le gouvernement. Lors du budget de juin, le gouvernement recevait 500 M$ de moins que ce qu’avait prévu le gouvernement précédent. Hier, M. Leitão nous apprenait qu’un 654 M$ supplémentaire manquait à ses coffres par rapport à ce qu’il avait prévu au budget de juin. Pour l’IRIS, il est évident que cette divergence est causée par la stagnation économique à laquelle participent les mesures d’austérité.
Pourtant ce ne sont pas des erreurs de prévision, pas entièrement rassurantes, dont il a été le plus question dans les médias. On a plutôt beaucoup parlé des « taxes » supplémentaires aux automobilistes et de la contribution supplémentaire qu’on demande aux banques. Abordons rapidement ces deux questions avant d’étudier un certain nombre de sujets qui ont été moins commentés.
D’abord, les automobilistes qui vont « casquer », dit-on. Il semble bien que le gouvernement veuille se donner un verni « vert ». Il demande une contribution plus importante en immatriculation aux gros cylindrés et annonce l’intégration – déjà prévue – des commerçants d’essence au marché du carbone. L’émission des permis de polluer est faite par le gouvernement, puis les revenus qu’il en tire sont transférés au Fonds vert, qui doit financer des projets visant à lutter contre le réchauffement climatique. Dans sa mise à jour, le gouvernement annonce de quelle manière il investira les 350 M$ qui seront versés dans le Fonds vert d’ici 2019-2020. Sur ce montant total, 343,3 M$ serviront à appuyer les entreprises pour qu’elles améliorent leur transition vers des technologiques plus vertes. Les 6,7 M$ restant iront à la sensibilisation aux changements climatiques.
Il faut absolument faire une critique du fonctionnement du marché du carbone, comme l’a fait mon collègue Bertrand Schepper. On peut aujourd’hui ajouter à ses nombreux défauts que le gouvernement redonne au privé les Fonds qu’il a perçu. Pourtant, nous avons eu la démonstration cette semaine que si on veut changer les habitudes des gens en matière de déplacement, il suffit d’augmenter l’offre de transport en commun. Si le gouvernement veut bouger sur cette question, l’heure n’est plus à la sensibilisation et aux incitatifs : il faut créer un réseau de transport en commun en conséquence des défis qui nous attendent.
On a aussi beaucoup parlé des banques à qui on demande une contribution supplémentaire de 125 M$. D’aucuns ont, bien entendu, dit que cette facture serait refilée aux consommateurs et aux consommatrices. C’est confondre les marchands de pommes et les banques. Il est possible, je dis bien possible, que dans un marché très compétitif avec plusieurs joueurs et une série de petites entreprises, l’établissement des prix soit lié aux variations de coûts de production et de facteurs externes comme les taxes. Pour les banques, dans une situation d’oligopole, le mécanisme d’établissement des prix est fort différent. Chaque année, elles augmentent leurs frais de services, non pas parce que les coûts augmentent, mais simplement parce qu’elles profitent de leur position sur le marché pour imposer les tarifs les plus élevés possible. Donc, oui, on peut s’attendre à des hausses de tarifs bancaires, mais ça n’aura rien à voir avec cette décision du gouvernement québécois. J’y reviendrai dans mon billet prochain.
Enfin, le ministre des Finances n’a pas consacré beaucoup de temps à nous expliquer deux autres mesures : la diminution du crédit d’impôt pour une cotisation à un ordre professionnel ou un syndicat et l’harmonisation de la prime au travail. En tout, c’est 141 M$ (une bonne part des 600 M$ de nouveaux revenus que le gouvernement va chercher) qui seront déboursés par les travailleurs et travailleuses de la « classe moyenne » (pour la plupart syndiqué-es) ou par les travailleurs et travailleuses à petit salaire. On se demande ce qui justifie cette stratégie, sinon un message politique envoyé aux syndicats qui s’apprêtent à négocier leurs conventions. Si c’est le cas, le message est difficile à décoder précisément, mais on peut certainement comprendre qu’il relève plus du registre de l’hostilité que de celui de l’annonce d’une négociation de bonne foi.
Voici donc comment s’achève le premier acte et comment s’entame le deuxième : sur une mise à jour économique moins encourageante économiquement que ce qu’on en dit. Décoder les nouvelles décevantes présentées comme des moments glorieux sera le lot de tout esprit critique lors du deuxième acte. Alors qu’il fallait se méfier de la catastrophe depuis huit mois, il faut maintenant craindre la fanfare. Tout cela en attente du troisième acte dont on nous a chanté hier les prometteuses louanges : le moment des cadeaux, quand les baisses d’impôts viennent enfin récompenser l’effort collectif… quitte à recréer la crise des finances publiques dont on viendra de se sortir.