Édition du 16 décembre 2025

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Élections fédérales 2025

À terme, l’engagement de Carney envers le statu quo néolibéral ne fera qu'affaiblir le Canada

J’ai lu le livre de Mark Carney pour que vous n’ayez pas à le faire

La souveraineté est devenue l’enjeu le plus important des prochaines élections fédérales. La réponse de notre pays aux menaces d’annexion de notre voisin du sud a supplanté tout le reste. Les postures agressives du président Trump, y compris ses menaces tarifaires, ses insultes publiques et son bellicisme général, ont bouleversé le paysage politique canadien. Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a perdu son élan, transformant ce qui semblait être une victoire facile pour les Conservateurs en une véritable compétition politique. Le plus grand bénéficiaire de ce tumulte est le Parti libéral et son nouveau chef, le premier ministre Mark Carney.

10 mars 2025 | tiré de Canadian dimension
https://canadiandimension.com/articles/view/i-read-mark-carneys-book-so-you-dont-have-to

Alors que les menaces américaines envahissent la conscience publique, les Canadien-nes réfléchissent à ce que pourrait signifier une éventuelle victoire libérale. Carney pourrait être responsable de bien plus que du maintien de l’indépendance nationale. Il se positionne pour gouverner un Canada libre et indépendant, et ses décisions pourraient façonner nos vies pour les années à venir.

Heureusement, nous n’avons pas besoin de nous fier à la documentation de campagne pour discerner la vision de Carney pour l’avenir. Les décennies qu’il a passées dans le secteur privé et la fonction publique, ainsi que son livre de 2021, Value(s) : Building a Better World for All, offrent un aperçu de l’imagination politique de banquier central qui serait le premier ministre.

La carrière de Carney se situe des deux côtés du fossé entre le privé et le public. Il a fait ses armes au sein de certaines des sociétés financières les plus prédatrices de l’industrie, et a passé des années à travailler à la division des services bancaires d’investissement de Goldman Sachs Canada et chez le géant de l’investissement immobilier Brookfield Asset Management. Lorsqu’il est passé dans le secteur public en 2004, il s’est joint au ministère fédéral des Finances, où il a orchestré la vente de milliards de dollars d’actifs publics.

En 2008, dans la foulée de la Grande Récession, M. Carney est promu à la direction de la Banque du Canada. En 2013, il a traversé l’Atlantique et est devenu gouverneur de la Banque d’Angleterre. Voyant de quel côté le vent soufflait, Carney s’est forgé la réputation d’un ardent défenseur d’un système monétaire bien réglementé qui privilégie la faible inflation et la stabilité du marché.

En tant que banquier central des deux côtés de l’Atlantique, Carney a fait sa part pour maintenir un statu quo à faible friction adapté aux intérêts à long terme des grandes entreprises. Il écrit avec fierté sur ses réalisations et il croit fermement à la solidité fondamentale de notre système économique et au rôle que jouent les banques centrales en tant que force stabilisatrice en son sein.

M. Carney a quitté la Banque d’Angleterre en 2020 et a rejoint les Nations Unies où il a occupé le poste d’envoyé spécial pour l’action et le financement du climat. Il parle et écrit avec passion sur l’environnement. Il croit en la réalité du changement climatique d’origine humaine et aux risques qu’il pose pour la vie sur cette planète. Pour Carney, le changement climatique est essentiellement un problème d’ingénierie, qui peut et doit être résolu par l’innovation technologique encouragée par des incitations commerciales. Il affirme que les investisseurs sont déjà en train de se désinvestir des entreprises destructrices de l’environnement et de se réorienter vers le capitalisme vert : « Un nouveau système financier durable est en train de se construire. Il finance les initiatives et les innovations du secteur privé. M. Carney croit que le rôle du gouvernement dans la lutte contre le changement climatique devrait être de soutenir une transition du marché qui est censée être déjà établie. «  La meilleure approche, dit M. Carney, est une taxe sur le carbone progressive et sans incidence sur les revenus. » Il va même jusqu’à dire : « Le cadre fédéral canadien de tarification du carbone est un modèle pour d’autres. »

Bien qu’il se soit depuis distancié de cette réponse à la dégradation du climat, la réponse limitée de Carney au réchauffement climatique est emblématique de son approche de la politique en général. Il croit vraiment que le statu quo n’a besoin que de quelques ajustements à la marge et que tout ira bien.

Carney nomme librement les défauts inhérents au capitalisme néolibéral : catastrophe environnementale, formation d’oligopoles, marchés de plus en plus turbulents, échanges inégaux, niveaux historiques mondiaux d’inégalité des revenus. Il est également capable d’articuler leurs effets destructeurs sur la vie des individus et sur le tissu social au sens large. Mais ses solutions sont incapables de s’attaquer à la racine du problème.

Lorsqu’il parle d’inégalité des richesses, il évite de parler de l’élimination des échappatoires fiscales et de l’augmentation des impôts des riches – en fait, il préconise une réduction des impôts sur les soi-disant start-ups. Lorsqu’il parle de stagnation des revenus, il ne parle pas de l’augmentation du salaire minimum et de l’augmentation du pouvoir des syndicats. Lorsqu’il parle de la délabrement des infrastructures sociales, il n’a rien à dire sur l’augmentation des dépenses publiques dans les domaines de la santé et de l’éducation. Lorsqu’il parle des dangers d’un marché dominé par des oligopoles, il refuse de parler de l’utilisation du pouvoir de l’État pour démanteler les grandes entreprises qui ont adopté des comportements de prix abusifs et de recherche de rente.

Au lieu de cela, il préconise des solutions politiques conçues pour maintenir et étendre le pouvoir et la richesse des ultra-riches. M. Carney souhaite que davantage d’argent public soit versé au secteur privé. Il croit que l’État devrait financer les entreprises immobilières et technologiques, que le Canada devrait « utiliser les investissements gouvernementaux à la fois pour soutenir l’activité économique à court terme et pour construire le capital physique, numérique et naturel dont nous avons besoin ».

Il estime que le pouvoir de l’État devrait être utilisé pour soutenir les petites et moyennes entreprises, ou PME, afin de stimuler l’innovation et de créer une prospérité générale. Mais là aussi, il y a un oubli politique choquant. Carney ne fait aucune mention de la législation antitrust qui serait nécessaire pour empêcher les PME prospères d’être absorbées par des mastodontes nationaux et internationaux.

Pour Carney, l’idée que les grandes entreprises prennent de l’ampleur n’est pas une source d’inquiétude. « Il n’est peut-être pas à la mode de soutenir la création de richesse, mais c’est essentiel si nous voulons relever nos nombreux défis. » De son point de vue, le problème n’est pas l’accumulation de richesse, le problème est que les gens qui ont accumulé cette richesse se comportent mal.

Comme le suggère le titre de Value(s), la réponse de Carney aux excès du capitalisme est une réprimande morale. Il estime que « les individus et leurs entreprises doivent retrouver leur sens de la solidarité et de la responsabilité vis-à-vis du système. Plus largement, en basant la valorisation sur les valeurs de la société, nous pouvons créer des plates-formes de prospérité. » C’est le cœur de sa vision d’un monde meilleur. Il croit sincèrement qu’il est possible de créer un néolibéralisme éthiquement responsable.

En fin de compte, Carney n’a aucun intérêt à contester le pouvoir de l’oligarchie corporative ; Au lieu de cela, il veut utiliser les incitations du marché pour encourager les oligarques à agir de manière prosociale. Il croit que les excès du capitalisme peuvent être maîtrisés en créant les bonnes mesures, les bonnes mesures et les bons points de repère. M. Carney présente des évaluations environnementales, sociales et de gouvernance (ou ESG) conçues pour donner aux entreprises la possibilité de se tenir responsables de leurs indicateurs clés de performance socialement et écologiquement responsables. Il veut rendre visibles les externalités négatives du capitalisme afin que les investisseurs puissent avoir la possibilité de prendre des décisions fondées sur des valeurs quant à l’endroit où ils placent leur argent. Il aime les B-corps et les entreprises en mission. Il croit sincèrement que ces exercices de blanchiment de l’éthique sont capables d’entraîner un véritable changement, malgré le fait que ces mesures de gouvernance d’entreprise existent depuis des décennies et que la polycrise n’a fait que s’accélérer.

Carney regarde droit dans les yeux les catastrophes en expansion et en multiplication du capitalisme tardif et reste inébranlable dans sa conviction que les changements structurels sont inutiles. Il voit un monde au bord du gouffre et ne veut rien faire d’autre que de bricoler les subtilités de la politique publique. Cela ne devrait pas nous surprendre. La carrière de Carney est définie par de petits ajustements ; Une augmentation de 0,5 % des taux d’intérêt, une reformulation de la réglementation des prêts – ces ajustements fins pourraient remplir le rôle d’un banquier central, mais pour un Premier ministre, ce bricolage n’est pas suffisant.

La vision de Carney pour l’avenir du Canada est celle d’une oligarchie d’oligarques mieux élevés. D’un néolibéralisme avec des « valeurs ». Un capitalisme qui fait le choix d’être raisonnable et responsable. Une technocratie d’entreprise qui résout la double crise de la baisse du niveau de vie et de la catastrophe environnementale sans ralentir l’accumulation de capital.

« Pour construire un avenir meilleur, nous avons besoin d’entreprises imprégnées de raison d’être et motivées par le profit », écrit Carney. « Leurs activités produiront une valeur partagée qui profitera aux actionnaires ainsi qu’aux employés, aux clients, aux fournisseurs et à la communauté au sens large. »

C’est à la fois insuffisant et impossible.

Le Canada a besoin d’un premier ministre capable de reprendre le pouvoir aux forces du capital et d’exercer ce pouvoir dans l’intérêt des citoyen-nes. Nous devons taxer les riches, supprimer les échappatoires fiscales, emprisonner les fraudeurs fiscaux, introduire des plafonds de richesse, nationaliser les entreprises prédatrices, mettre fin à la propriété de nos médias par des fonds spéculatifs et des milliardaires, et insister sur la propriété publique des industries et des ressources clés. Nous avons besoin d’un premier ministre qui utilisera ces revenus accrus pour réinvestir radicalement dans la santé, l’éducation, le logement social, les soins aux aînés et le développement économique.

L’engagement de Carney à consolider le statu quo néolibéral ne fera que miner le Canada à long terme – et lorsqu’il aura terminé, nous serons encore plus vulnérables aux démagogues d’extrême droite comme Pierre Poilievre.

Le Canada mérite mieux.

James Hardwick est un écrivain et un défenseur de la communauté. Il a plus de dix ans d’expérience au service d’adultes en situation de pauvreté et d’itinérance au sein de diverses ONG à travers le pays.

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