Édition du 16 avril 2024

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Aristote (-384 -322)

Le travail comme facteur d’équivalence

Économie, de oikos en grec « maison ». Pour Aristote la science de la vie de la cité est la politique, alors que la science de la vie familiale est l’économie

Disciple de Platon (de -367 à -347) et précepteur d’Alexandre le Grand, Aristote s’éloigne de l’idéalisme platonicien pour analyser le fonctionnement réel de l’économie marchande de la Grèce antique. Aristote partage les préoccupations de Platon de créer l’harmonie dans la Cité et d’encourager le détachement vis-à-vis des richesses matérielles. Pour Aristote, le bonheur doit être atteint non pas dans une vie future, mais dans le cadre de la Cité en visant l’amélioration des conditions sociales d’existence. À ce sujet, Aristote se posera la question suivante et il s’agit d’une interrogation qu’on se pose encore aujourd’hui : Comment organiser la production et la répartition des biens matériels dans la Cité ?

La chrématistique (Grec : khrêmatopoios « qui procure des richesses »)

Aristote fait de la chrématistique le pivot de son analyse économique. Il distingue deux formes : la première qui consiste à procurer des biens pour la consommation domestique (cette activité est pleinement légitime selon Aristote) et la seconde orientée vers l’accumulation illimitée de la richesse (cette activité est condamnable à ses yeux).

Comme l’indique la citation qui suit, la richesse, selon Aristote, n’est pas la monnaie :

« On pose souvent en fait la richesse comme n’étant rien d’autre qu’une abondance de numéraire, parce que c’est à la monnaie qu’ont rapport la chrématistique et sa forme mercantile. À d’autres moments, en revanche, on est d’avis que la monnaie est une pure niaiserie, une chose entièrement conventionnelle et sans rien de naturel, parce que, ceux qui s’en servent venant à lui substituer un autre étalon, elle perd toute valeur, et aussi parce qu’elle n’est d’aucune utilité pour les diverses nécessités de la vie, et que, tout en disposant de moyens monétaires considérables, on pourra souvent manquer de la nourriture la plus indispensable. C’est cependant une étrange richesse que celle dont la possession n’empêche pas de mourir de faim, comme cela arriva au fameux Midas de la fable, dont la prière, cupide au-delà de toute mesure, avait pour effet de changer en or tout ce qu’on lui présentait ! »
« Aussi cherche-t-on à établir une notion toute différente de la richesse et de l’art de l’acquérir, et cette recherche se justifie. En effet, l’art naturel d’acquérir des richesses et la richesse naturelle sont tout autre chose que nous venons de voir. La chrématistique naturelle relève de l’économie domestique, tandis que le commerce est l’art de créer des richesses, non pas de toute façon, mais seulement par le moyen d’échange de biens. Et c’est cette dernière forme qui, semble-t-il, a rapport à la monnaie, car la monnaie est dans ce cas principe et fin de l’échange. »
Aristote, Politique.

Aristote, à l’instar de Platon, croit que la recherche illimitée de richesse est un vice. Il dénonce le prêt à intérêt, les monopoles et les pratiques spéculatives. Voici un extrait intéressant d’Aristote au sujet des pratiques monopolistes des commerçants :

« On devrait bien aussi former un recueil des renseignements que nous possédons à l’état dispersé sur les moyens grâce auxquels certains particuliers ont réussi à faire fortune, car tous ces moyens sont utiles à ceux qui tiennent en honneur la chrématistique. Citons l’exemple de Thalès de Milet. Comme on lui faisait des reproches de sa pauvreté, qu’on regardait comme une preuve de l’inutilité de la philosophie, l’histoire raconte qu’à l’aide d’observations astronomiques, et l’hiver durant encore, il avait prévu une abondante récolte d’olives. Disposant d’une petite somme d’argent, il avait alors versé des arrhes pour utiliser tous les pressoirs à huile de Milet et de Chio, dont la location lui fut consentie à bas prix, personne ne se portant enchérisseur. Quant le moment favorable fut arrivé, il se produisit une demande soudaine et massive de nombreux pressoirs, et il les sous-loua aux conditions qu’il voulut. Ayant ainsi amassé une somme considérable, il prouva par là qu’il est facile aux philosophes de s’enrichir quand ils le veulent, bien que ce ne soit pas là leur ambition. Thalès donc, à ce qu’on rapporte, donna de cette façon un exemple frappant de sa sagesse, mais […] le procédé qu’il apporta pour faire fortune a une portée générale, et vaut pour quiconque est en mesure de s’assurer à soi-même un monopole. » Aristote, Politique.
Il demande de faire effectuer le travail manuel par les esclaves (Aristote, Politique, Livre 1).

Aristote : un opposant au communisme de Platon

Aristote est l’adversaire du communisme de Platon : « En général, écrit-il, partager la vie d’autrui, mettre tout en commun, est pour l’homme une entreprise difficile entre toutes. » (Aristote, Politique, livre II, chap. 5). Plus loin il précise que : « Les possesseurs de biens en commun ou en indivision ont entre eux des conflits beaucoup plus fréquents que les citoyens dont les intérêts sont séparés. » (Aristote, Politique). Il est convaincu que la communauté de biens n’apportera pas la paix dans la cité et que l’éducation des enfants sera mal assurée dans le système de Platon, car « chacun se soucie au plus haut point de ce qui lui appartient en propre, mais quand il s’agit de ce qui appartient à tout le monde, on s’y intéresse bien moins. » (Aristote, Politique, livre II, chap. 3).

La place des femmes dans l’unité domestique selon Aristote

Pour Aristote, la femme est destinée à obéir à l’homme : « Chez l’homme, le courage est une vertu de commandement, et chez la femme une vertu de subordination » (Aristote, Politique, livre I, ch. 13). Il reprend à son compte le point de vue de Sophocle selon lequel : « A une femme, le silence est facteur de beauté » (Aristote, Politique, livre I, chap. 13).

Le legs d’Aristote dans la pensée économique moderne

Certains aspects de la pensée d’Aristote ne pourront qu’être rejetés ultérieurement par les économistes (c’est le cas de sa vision au sujet des esclaves et des femmes). D’autres par contre marqueront certaines pratiques de l’Occident médiéval (la condamnation du prêt à intérêt). D’autres finalement correspondent à des préoccupations fondamentales pour les économistes même d’aujourd’hui. C’est particulièrement vrai pour la recherche de la détermination du rapport d’échange entre les biens qui selon Aristote doit répondre à un principe de justice.

Dans Éthique à Nicomaque, Aristote s’interroge sur le critère permettant de fonder l’équivalence dans les échanges. Même si sa réponse n’est pas affirmée avec force, il avance l’idée que le travail doit être vu comme facteur d’équivalence. Dans ce livre, Aristote postule que quand un architecte échange la maison qu’il construit avec le travail d’un cordonnier, « il faut que l’architecte reçoive du cordonnier le travail de celui-ci et qu’il lui donne en échange le sien. » Cette idée de « valeur-travail » sera présente, dans les travaux des fondateurs de l’économie-politique du XVIIIe et du XIXe siècles (Smith et Ricardo) et aussi chez nul autre que Karl Marx.

Yvan Perrier

yvan_perrier@hotmail.com

Zone contenant les pièces jointes

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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